On sait depuis longtemps qu'une grossesse menée à terme au début de la vie génitale active des femmes protège du cancer du sein mais on ne sait pas l'expliquer. Certes, ce mécanisme protecteur passe forcément par un effet des estrogènes (E) et de la progestérone (P) sur les cellules épithéliales mammaires qui deviennent réfractaires aux carcinogènes, mais comment ? Et pourquoi ? Un embryon de réponse est apporté cette semaine par une équipe américaine qui a travaillé sur un modèle de souris parturientes et « pseudoparturientes » qui, comme toutes les femelles de mammifères, sont également protégées du cancer du sein par une gestation précoce.
Des souris exposées à des carcinogènes mammaires
Les travaux des biologistes de Houston ont consisté à exposer des souris femelles à des carcinogènes mammaires après les avoir placées dans un environnement hormonal expérimental mimant la gestation.
Dans un premier groupe de femelles non parturientes âgées de 35 jours, l'apport en E et P était scrupuleusement monitoré grâce à des implants hormonaux sous-cutanés durant vingt et un jours. Au 21e jour, la stimulation hormonale était interrompue afin de laisser la glande mammaire régresser pendant 28 jours avant de procéder à l'injection du carcinogène mammaire (injection intrapéritonéale de méthylnitro-urée au 97e jour).
Dans un deuxième groupe de souris en gestation, les femelles ont mis bas et allaité leurs petits pendant sept jours. Leur glande mammaire était ensuite non sollicitée pendant 28 jours, avant examen histochimique. Enfin, sur un dernier groupe d'animaux, les chercheurs ont testé l'effet de la perphénazine (PPZ), un composé qui induit la différenciation de la glande mammaire, pendant 21 jours. Une fois de plus, les analyses histologiques étaient pratiquées à l'issue d'une période de mise au repos de la glande mammaire de 28 jours.
L'examen des tissus mammaires en immunohistochimie a essentiellement porté sur l'expression de la protéine P53 (du gène p53) connue pour conférer une protection tumorale par un effet réparateur sur l'ADN endommagé. Cette protéine qui fait partie des agents « suppresseurs de tumeur » joue un rôle essentiel dans la réponse cellulaire aux agressions externes telles que les radiations, les agents chimiques, chimiothérapiques... Dans toutes ces circonstances, la P53 tente de maintenir l'intégrité du génome. Pour preuve, on sait que l'expression du gène p53 est altérée ou mutée dans les tumeurs mammaires humaines (anomalie présente dans 40 % des carcinomes mammaires non familiaux). Cette anomalie est connue pour être non seulement un facteur de pathogénicité mais aussi de susceptibilité au cancer du sein. L'autre raison pour laquelle les biologistes se sont intéressés à la protéine P53 est que son expression est connue pour varier en fonction de l'imprégnation hormonale en E/P.
En examinant l'expression tissulaire, dans le temps et l'espace, de la P53, les chercheurs voulaient trouver une explication à la résistance aux carcinogènes induite par la grossesse.
Les résultats histologiques ont effectivement montré que l'exposition précoce à des taux gestationnels d'E et de P induit et maintient l'expression intranucléaire du gène p53 ; d'où une protection induite contre les carcinogènes. En revanche, l'expression de la p53 n'est pas provoquée par l'agent de différentiation mammaire, le PPZ ; ce composé n'a donc pas d'effet protecteur mammaire.
l'hypothèse d'une modification du devenir cellulaire
Reste que, dans les faits, on ne comprend toujours pas pourquoi l'expression du gène p53 provoquée par une grossesse à l'adolescence protégerait la glande mammaire toute la vie. Les chercheurs texans, confrontés à la même interrogation, ont émis l'hypothèse d'une « modification du devenir cellulaire » en fonction de l'imprégnation hormonale précoce. Selon ce modèle, à un moment critique de l'adolescence, l'environnement hormonal de la grossesse affecterait le destin d'un sous-groupe de cellules épithéliales mammaires et de leur descendance. Il existerait, par conséquent, des modifications persistantes des voies moléculaires entre les cellules épithéliales préalablement « imprégnées » d'hormones et les autres cellules glandulaires mammaires. D'où l'existence d'une résistance définitive aux oncogènes mammaires.
Lakshmi et coll., « Proc Natl Acad Sci USA »», vol. 98, n° 22, 23 octobre 2001.
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