La transformation tumorale d'une cellule comportant un certain nombre d'étapes, et la mutation de plusieurs gènes, la compréhension du mécanisme repose habituellement sur deux étapes : d'abord, on recense les gènes mutés ; ensuite, on étudie l'ordre dans lequel surviennent ces mutations, de manière à reconstruire un schéma fonctionnel. De ce point de vue, le cancer du côlon est un cas particulier.
Dès 1990, en effet, l'Américain Bert Vogelstein proposait que la mutation du gène APC soit le prélude obligé de la transformation des cellules intestinales. Depuis, divers gènes, également mutés dans le cancer du côlon, ont été identifiés. Ainsi, k-ras, qui code une protéine G impliquée dans la prolifération cellulaire, l'apoptose et le remodelage du cytosquelette, est muté dans 50 % des cancers coliques ; DCC, qui code une protéine transmembranaire, est muté dans 70 % des cas, de même que l'anti-oncogène p53. Sur la base des travaux de Vogelstein, la mutation du gène APC restait néanmoins considérée comme l'événement princeps de la transformation.
L'événement princeps de la transformation
C'est cette notion qui est remise en cause par un travail effectué dans le laboratoire du Pr Daniel Louvard, à l'Institut Curie. Sylvie Robine et Klaus-Peter Janssen ont en effet pu obtenir des souris transgéniques, portant un exemplaire muté du gène k-ras, et qui, pour 80 % d'entre elles, développent spontanément des tumeurs du côlon, sans qu'APC intervienne. En revanche, 40 % des tumeurs portent une mutation de novo de p53.
D'autres équipes avaient déjà tenté d'obtenir des lignées murines mutées en k-ras. Mais aucune tumeur du côlon n'avait été constatée chez les animaux. Apparemment, l'expression du gène k-ras muté dans les cellules souches intestinales est requise pour la transformation tumorale. En l'occurrence, cette expression a pu être obtenue en plaçant le transgène sous contrôle du promoteur du gène de la villine, exprimé spécifiquement dans l'intestin.
Ces souris transgéniques démontrent donc que les voies de transformation tumorale sont diverses dans l'intestin, et ne commencent pas nécessairement par le gène APC. Cette notion a d'ailleurs été confirmée par une étude britannique, publiée en juillet dans les « Proceedings » de l'Académie des sciences américaine, qui montrait qu'environ 40 % des tumeurs humaines portent des mutations de k-ras et de p53, sans mutation d'APC. Le « dogme APC » dans le cancer du côlon semble donc devoir être abandonné.
Des études cliniques sont nécessaires
Dans l'immédiat, la portée de ce résultat semble surtout fondamentale. D'un point de vue clinique, cependant, on note que la réponse thérapeutique des tumeurs pourrait dépendre à la fois des gènes mutés et de l'ordre dans lequel sont apparues les mutations. Ces paramètres mériteraient donc d'être pris en considération dans les études. En outre, le modèle murin obtenu à l'Institut Curie est a priori un bon modèle pour développer des médicaments. Le Pr Louvard a indiqué que ce développement figure au programme.
K.-P. Janssen et coll. « Gastroenterology », vol. 123, pp. 492-504, août 2002.
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