En ce début du millénaire, on n'ose écrire que le cancer se banalise, mais on se pose cependant la question : le cancer ne va-t-il pas devenir une maladie comme les autres ?
A l'origine de ce changement, programmé depuis dix ans et chaque année plus perceptible, il y a deux facteurs, d'ailleurs liés l'un à l'autre : un contrôle thérapeutique plus performant, une moindre « diabolisation » de la maladie.
Les cancers guérissent mieux. On estime que la mortalité, tous cancers confondus, diminue de 0,8 % chaque année au moins. Pour le cancer du sein, les chiffres sont supérieurs : en dix ans (1987-1997) la mortalité par cancer du sein a baissé de plus de 20 %, ce qui donne un rythme annuel de 2 %. Pourtant, le nombre de nouveaux cas de cancer du sein reste stable. Il est déjà important qu'il n'augmente plus, après la véritable épidémie que nous avons connue dans ces vingt dernières années.
Des données concernant la réduction de la mortalité sont également communiquées dans les cancers de la prostate, du colon, du col utérin. Malheureusement, les cancers tabac-dépendants du poumon continuent de grever lourdement la mortalité par cancer.
A quoi est due cette évolution globalement favorable ?
On pense d'abord aux progrès de la thérapeutique. Il est évident que la thérapeutique cytotoxique (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie), qui est et reste la thérapeutique de base, a beaucoup progressé : chirurgie mieux ciblée (ganglion sentinelle) ; radiothérapie conformationnelle ; chimiothérapie sélectionnée pour les protocoles les plus performants, nouveaux agents (taxanes, dérivés du platine, etc.) ; stratégie d'hormonothérapie plus riche, etc. Les résultats notables obtenus dans le cancer du sein et les cancers digestifs en sont l'illustration.
Il est évident également que, dans l'avenir, des stratégies nouvelles d'intervention vont venir épauler l'abord cytotoxique. Elles dérivent des fantastiques progrès réalisés en génomique et protéomique de la cellule tumorale et s'attaquent à des cibles aussi diverses que l'angiogenèse, l'apoptose, le cycle cellulaire, le signaling intracellulaire, les récepteurs de facteurs de croissance, les télomérases, les métalloprotéinases. A côté de la destruction cellulaire vont donc figurer les thérapeutiques de « contrôle » ou de « redressement » et les interventions ciblées, non sur la cellule cancéreuse, mais sur son environnement angiogène ou matriciel. Devant ce foisonnement d'études expérimentales, précliniques, de phase I et II, il convient cependant de garder la tête froide et de noter qu'à l'heure actuelle, les exemples tirés de la nouvelle oncologie sont encore très peu nombreux :
- tout d'abord le « miracle de l'année », à savoir l'abord antityrosinekinase de la leucémie myéloïde chronique avec une équation parfaite : leucémie myéloïde chronique = translocation 9-22 = tyrosinekinase abl incontrôlée = inhibition spécifique de la TK (Glivec) = disparition de la maladie (durable ?) ;
- ensuite, les résultats appréciables de certains anticorps monoclonaux (anti-CD 20 dans les lymphomes, anti-CD 37 dans les leucémies aiguës myéloïdes, anti-Her-2 dans le cancer du sein, anti-EGF-R dans les cancers de la tête et du cou, du côlon et du pancréas ;
- enfin, quelques résultats de « vaccination » dans le mélanome (12 % de rémissions objectives), le cancer du rein métastatique (30 % de rémissions objectives, mais délais d'observation court et un seul travail), et quelques autres cancers.
Stratégies de dépistage
Mais, sans sous-estimer les résultats des traitements, il semble bien qu'une grande proportion de la réduction de mortalité par cancer soit liée à des détections plus précoces, par la mise au point et la généralisation de stratégie de dépistage et aussi par la meilleure éducation du public.
L'exemple le plus probant est celui du cancer du sein. La mammographie systématique, qu'elle soit individuelle ou de masse dans la population, a permis de reconnaître de plus en plus fréquemment les cancers infracliniques (en dessous de 10 mm) qui en arrivent à représenter maintenant jusqu'à de 30 à 40 % des cancers diagnostiqués, alors qu'il y a vingt ans ces formes ne représentaient que quelques pourcentages des cancers du sein. Or, qui dit cancer du sein dépisté tôt, dit thérapeutique plus aisée, meilleurs résultats, et gain appréciable de survie. Dans un article récent, L. Tabar, pionnier de la mammographie systématique en Suède, et qui sera présent à Eurocancer 2001, rapporte les résultats obtenus par son équipe depuis 1988 : la mortalité a diminué de 63 % chez les femmes se pliant au dépistage systématique.
Et on peut donc penser que dans l'avenir le cancer du sein guérira dans 80 % des cas au moins au lieu de 55 %) rapportés actuellement.
Même tableau optimiste pour le cancer de la prostate, dépisté tôt par l'examen urologique annuel, le dosage de PSA et les échographies. Au moins 40 % des cancers de la prostate dépistés actuellement sont de petits cancers qui ne dépassent pas la capsule de la glande et sont donc accessibles, soit à une chirurgie non mutilante, soit à la radio-radiumthérapie dans de très bonnes conditions.
Des progrès sont également notés dans le cancer du côlon grâce au dépistage des polypes par côlonoscopie, par l'éducation du public et l'observance de règles diététiques (diminution des viandes rouges et des graisses animales, ingestion de fruits et légumes frais).
Là encore cependant, les cancers du poumons restent un redoutable obstacle puisque jusqu'à présent il n'existe pas de méthode de dépistage précoce et qu'il n'est d'ailleurs pas prouvé que ce dépistage précoce améliore les résultats thérapeutiques. D'où l'utilité des campagnes antitabac.
Conjugaison du diagnostic précoce et d'une meilleure thérapeutique, les résultats sont là : on s'achemine, peut-être encore trop lentement, vers une guérison des cancers de l'ordre de 80 % des cas. Par rapport aux chiffres actuels (50 %), c'est un progrès très important. Le cancer deviendrait-il une maladie « acceptable » ?
Parallèlement à ces progrès, s'installe lentement dans le public, l'idée que le cancer ne sera plus dans l'avenir le coup de tonnerre dans un ciel serein, la catastrophe annoncée, le crabe toutes pinces dehors (d'ailleurs un très mauvais sigle bien qu'il soit unanimement adopté par les organisations anticancer). Il y a plusieurs raisons à cette extinction progressive de la diabolisation :
- d'abord et avant tout les meilleurs résultats thérapeutiques : quand on peut annoncer une guérison probable de huit cas sur dix, le médecin et naturellement aussi le patient sont dans une situation beaucoup plus confortable ;
- ensuite, la généralisation dans la presse écrite, à la radio et à la télévision de mises au point éducatives et de conseils, centrés surtout sur le dépistage, les raisons du traitement, ses modalités, ses résultats. Relais qui sera pris bientôt par Internet ;
- enfin, la prise en charge par les patients eux-mêmes et leur famille de leurs problèmes spécifiques : informations claires, abord psychologique prudent et respectueux de la personne, exposé des choix thérapeutiques, lutte contre la douleur, circulation du dossier médical.
Les Etats généraux de la Ligue contre le cancer sont un exemple frappant de cette nouvelle politique qui privilégie le patient au sein du système de soins et invite les soignants à participer au dialogue.
Le cancer, une maladie comme les autres ? Le pari est lancé. Réponse dans les dix ans qui viennent.
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