Dans le cancer de la prostate, on a identifié peu de facteurs de risque modifiables, bien qu'on ait beaucoup étudié, ces dernières années, les facteurs alimentaires. On a toutefois observé, d'un côté, un effet délétère des apports élevés en produits laitiers, en viande, en graisse et en énergie totale et, de l'autre, un effet bénéfique des tomates, du lycopène, du sélénium et de la vitamine E.
Pour ce qui est des produits laitiers, les choses ne sont, pour l'instant, pas si simples que cela. Certes, on observe une plus forte incidence du cancer prostatique dans les pays où la consommation de produits laitiers par habitant est la plus élevée. Certes, sur quatorze études épidémiologiques analysées, douze ont montré un risque relatif de cancer prostatique de 1,5 à 2,5 pour une consommation élevée. Et l'on a pensé que, le lait étant une source majeure de calcium, le calcium alimentaire pourrait favoriser le cancer prostatique par le biais d'une diminution de production de la vitamine D3 active (1,25 dihydroxy-cholécalciférol ; 1,25 diOH-D3), hormone à laquelle on attribue un effet protecteur sur la prostate.
Des études divergentes
L'étude HPFS a accusé le calcium et non pas les laitages en eux-mêmes : risque relatif de 4,57 pour une consommation supérieure à 2 000 mg/j par rapport à moins de 500 mg/j. Une étude suédoise a aussi associé le calcium alimentaire au cancer métastatique de la prostate. En revanche, une étude finlandaise a montré une association non significative entre le calcium alimentaire et le cancer prostatique. Un travail néerlandais a trouvé une association positive avec les laitages mais pas avec le calcium. Trois études cas-contrôles (Etats-Unis, Grèce, Japon) n'ont pas retrouvé d'association significative entre calcium alimentaire et cancer ; un travail serbe a même montré une association inverse entre calcium et cancer. Enfin, une étude américaine n'a pas mis en évidence de lien entre suppléments calciques et cancer prostatique. On le voit : le problème est largement controversé et il était indispensable d'y voir plus clair. D'où l'intérêt, dans la Physician Health Study, de l'analyse des apports en laitages et en calcium et de la survenue d'un cancer prostatique.
Cette étude, largement connue dans sa globalité, est un essai randomisé en aveugle contre placebo portant sur l'aspirine et le bêta-carotène, qui a porté sur 22 071 médecins américains (tous des hommes) et qui a commencé en 1982. L'analyse concernant les laitages, le calcium et la prostate n'a porté que sur 20 885 sujets. Pendant le suivi, 1 012 cas de cancer de la prostate ont été rapportés par les individus.
Il faut d'abord dire que les hommes qui consommaient le plus de produits laitiers fumaient moins, faisaient plus d'exercice physique, étaient plus âgés et consommaient plus de multivitamines que les autres.
Les hommes dont les apports en laitages et en calcium étaient les plus élevés avaient un risque de cancer prostatique supérieur de 30 % à celui des hommes qui avaient les apports les plus faibles. Pour chaque tranche de 500 mg quotidiens supplémentaires de calcium provenant de laitages, le risque de cancer prostatique augmentait de 16 %. Le rôle de facteurs alimentaires associé (poisson, ufs, poulet) a été écarté.
Faibles taux de vitamine D
On a analysé le risque de cancer associé à cinq produits laitiers ; seul le lait écrémé possède une association significative. Le calcium provenant des laitages écrémés représentait 57 % de l'apport calcique alimentaire.
Pour étudier une possible suppression de la production de vitamine D3 active par le calcium, les auteurs ont étudié l'association entre calcium apporté par les laitages et taux sérique de 1,25 diOH-D3 chez 373 des sujets de l'étude. Résultat : le calcium était inversement associé aux concentrations de vitamine D : pour chaque augmentation de 300 mg de calcium ingéré, le taux de vitamine D diminuait de 2 pmol/l (p = 0,007). L'association était plus forte quand on ne considérait que le calcium provenant du lait écrémé.
« Nos résultats, qui concordent avec ceux de précédentes études, supportent l'hypothèse selon laquelle les produits laitiers et le calcium sont positivement associés au cancer de la prostate », concluent le auteurs.
« Etant donné la forte corrélation entre laitages et apports calciques, nous ne pouvons pas exclure la possibilité que d'autres composants des produits laitiers (par exemple les graisses) jouent un rôle dans l'association. Toutefois, le lait écrémé était le laitage le plus fortement corrélé au risque alors que la graisse et les protéines des laitages n'étaient pas significativement associées au risque. »
Peut-on expliquer une action de l'excès de calcium sur la prostate par le biais d'une diminution de la vitamine D ?
Quand le taux de calcium circulant est élevé, indiquent les auteurs, la production de 1,25 diOH-D3 est supprimée par contre-régulation des hormones thyroïdiennes. L'étude, qui montre une corrélation inverse entre apports calciques et taux de vitamine D, suggère qu'un facteur de risque alimentaire modifiable peut influencer la concentration de 1,25 diOH-D3.
« In vitro, le 1,25 diOH-D3 et ses analogues inhibent la prolifération cellulaire et favorisent la différenciation de cellules prostatiques tumorales. Chez les rongeurs, l'administration de 1,25 diOH-D3 ou ses analogues est associée à une réduction de la croissance des tumeurs glandulaires coliques et prostatiques.
Un bémol aux incitations
Chez l'homme, des taux élevés de 1,25 diOH-D3 sont associés à un faible risque de cancer de la prostate dans une étude mais pas dans trois autres. Ainsi, une accumulation d'arguments expérimentaux suggère que des taux circulants élevés de 1,25 diOH-D3 peuvent être bénéfiques en s'opposant au développement du cancer de la prostate, mais les résultats d'études chez l'homme, où une seule mesure sérique a été effectuée, sont divergents. »
« En conclusion, indiquent les auteurs, ce travail soutient et renforce des observations précédentes selon lesquelles des apports élevés en produits laitiers, et spécialement de calcium provenant de produits laitiers, sont associés à un risque accru de cancer de la prostate. Ces résultats peuvent inciter à mettre un bémol à la promotion d'apports élevés en calcium aux Etats-Unis. Des investigations supplémentaires sur cette hypothèse sont nécessaires. »
June Chan et coll. « Am J Clin Nutr », 2001 ; 74 : 549-554.
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