De notre correspondante
à New York
Une équipe américaine a développé une puissante méthode moléculaire, dite de « troncature protéique digitale », pour parvenir à détecter la présence de gènes APC mutés dans les selles des patients. Leur étude de faisabilité montre que ce test est positif chez plus de la moitié des patients qui ont un cancer ou une tumeur pré-maligne du côlon et négatif chez les sujets normaux. Les chercheurs perfectionnent maintenant le test pour améliorer sa sensibilité.
« Nous avons encore du chemin à faire avant de pouvoir utiliser en toute confiance un tel test de dépistage dans la population générale, mais nous sommes encouragés par le fait que nous avons détecté des mutations chez une fraction importante des patients atteints de tumeurs au stade précoce et jamais chez les personnes indemnes », commente dans un communiqué le Dr Kinzler, cancérologue au Kimmel Cancer Center de l'université Johns Hopkins (Baltimore). Les investigateurs prévoient encore 3 à 5 ans avant la disponibilité du test en pratique clinique.
Extrêmement spécifique
« L'avantage d'utiliser comme biomarqueur le gène APC est qu'il est, à la différence des tests de sang occulte ou des marqueurs précédemment utilisés, extrêmement spécifique et trouvé aux stades les plus précoces et curables de la formation tumorale », note pour sa part le Dr Volgestein, cancérologue, lui aussi au Kimmel Cancer Center. « Si ce test identifie des mutations du gène APC, cela veut dire que l'existence d'un cancer ou d'une croissance pré-maligne est extrêmement probable. »
Les mutations du gène APC (Adenomatous Polyposis Gene), identifiées pour la première fois en 1991 par Vogelstein, Kinzler, et autres chercheurs, débutent la cascade d'erreurs qui aboutissent à la formation du cancer colorectal. A l'inverse, les mutations p53 ne sont présentes qu'au stade tardif du cancer et les mutations Ki-ras peuvent être présentes aussi dans des cellules hyperprolifératives non cancéreuses.
La présence du gène APC muté au stade précoce de quasiment tous les cancers du côlon (familiaux et sporadiques) le désigne, a priori, comme un excellent marqueur pour détecter les tumeurs colorectales.
Un défi technique
Toutefois, la détection des mutations du gène APC dans les selles représentait un défi technique pour plusieurs raisons. Les mutations peuvent survenir n'importe où dans les 1 600 premiers codons du gène. Dans les selles, les gènes APC mutants (provenant des cellules cancéreuses excrétées) sont bien plus rares que les gènes APC normaux (provenant des cellules normales excrétées). Ainsi, comme le précise le Dr Giovanni Traverso, membre de l'équipe, « il n'y a qu'un gène APC muté parmi 250 copies APC normales. Ajoutez à cela que des milliers de mutations possibles peuvent survenir dans le gène, en trouver seulement une revient à trouver une aiguille dans une botte de foin, alors que vous ne connaissez ni la taille, ni la forme de l'aiguille ».
Pour surmonter ces difficultés, Traverso et coll. ont d'abord dû amplifier la minuscule quantité de matériel génétique, malgré la présence dans les selles d'inhibiteurs de la polymerase chain réaction (PCR). Pour cela, ils ont suivi le protocole suivant : capture de l'ADN sur des perles enrobées d'oligonucléotides, élimination des inhibiteurs de la PCR, disposition sur une grille à puits de sorte que chaque puits contienne 2 à 4 gènes, puis PCR pratiquée dans chaque puits. Ensuite, pour identifier les mutations au sein de ces fragments d'ADN amplifiés, les chercheurs ont recouru à un test digital de « troncature protéique ». En effet, pratiquement toutes les mutations du gène APC interrompent sa transcription, ce qui donne pour résultat une protéine anormalement courte, ou tronquée. La présence d'une mutation peut donc être déduite lorsqu'une réaction de transcription-translation in vitro produit une protéine APC tronquée. Les protéines normales ou tronquées (d'où le terme digital) sont alors révélées par électrophorèse.
Le test de troncature protéique digitale
L'étude de faisabilité porte sur 74 échantillons de selles - 28 de patients ayant un cancer colorectal non métastasé, 18 de patients ayant un adénome pré-malin et 28 de témoins sans cancer colorectal. Résultat, le test de troncature protéique digitale détecte une mutation du gène APC chez 61 % des patients avec cancer colorectal, chez la moitié de ceux qui ont un adénome prémalin et, enfin, chez aucun des témoins.
« La découverte de gènes APC dans les 74 échantillons de selles étudiés est un tour de force », commente dans un article « perspective » le Dr Robert Schwartz, éditorialiste. Toutefois, ajoute-t-il, « la méthode n'est clairement pas prête pour l'application clinique ». Traverso et coll. ont révélé une possibilité, mais il pourrait y en avoir d'autres, remarque-t-il. « Le prochain test de dépistage moléculaire du cancer colorectal pourrait être basé, non pas sur un gène muté, mais sur une protéine anormale que la nouvelle science de la protéomique pourrait découvrir. » Rendez-vous dans 3 à 5 ans.
« New England Journal of Medicine », 31 janvier 2002, p. 311.
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