Aucune des mesures du plan annoncé par Jacques Chirac à l'occasion de la Semaine contre le cancer, n'est inattendue. Le « chantier » ouvert le 14 juillet 2002 par le président de la République a été bien préparé par la commission d'orientation installée par les ministres de la Santé et de la Recherche et qui a rendu ses conclusions il y a deux mois (« le Quotidien » des 17 janvier et 10 mars).
Interdiction de la vente de cigarettes aux moins de 16 ans, hausse des prix du tabac, dépistage systématique du cancer du sein, promotion de la consommation des fruits et légumes, meilleure coordination des soins, consultation d'annonce, Institut du cancer... : tout cela était attendu. Mais les 70 mesures du « plan de mobilisation nationale contre le cancer », avec l'objectif ambitieux de diminuer de 20 % la mortalité par cancer (150 000 décès par an) à l'horizon 2007, devraient avoir des répercussions importantes - si elles sont effectivement mises en uvre - pour les médecins comme pour les patients.
Pour les médecins
« Le plan vise à transformer radicalement la façon dont le cancer est soigné en France », pas moins. Cette révolution repose sur la coordination systématique des soins hospitaliers et de ville : dans quatre ans, la pratique de la cancérologie devra s'inscrire obligatoirement dans le cadre des réseaux (avec procédure d'agrément). Ces réseaux devraient avoir un financement pérenne, et non plus temporaire comme à l'heure actuellement. En 2005 pourrait en outre démarrer l'expérimentation d'un forfait pour le traitement primaire d'un patient, réalisé par une ou plusieurs structures du réseau et versé au réseau.
Chaque nouveau patient devra bénéficier d'une concertation pluridisciplinaire pour élaborer un programme personnalisé de soins, d'un médecin de référence et d'un « dossier médical communiquant ».
Pour faciliter la prise en charge de proximité, le généraliste aura un forfait de suivi couvrant les épisodes interhospitaliers, les traitements à domicile et le suivi post-thérapeutique, forfait financé sur la dotation nationale de développement des réseaux de santé. La cotation de certains actes de cancérologie libérale (surveillance d'une chimiothérapie, par exemple) sera également revue, avec un tarif « incitatif à la pratique pluridisciplinaire ». Les professionnels qui accueilleront les patients seront aussi mieux formés : le cancer sera enseigné dès le début des études médicales et soignantes, « comme une maladie, mais également comme une exigence d'accompagnement des patients ». Ils seront aussi plus nombreux et mieux qualifiés et, grâce à la coordination des soins et des réseaux, ils auront « plus de temps médical ». La formation initiale en cancérologie sera, assure-t-on, plus attractive pour attirer davantage de médecins, la capacité d'encadrement des services formateurs sera accrue ; la formation continue sera mieux organisée.
Les équipements diagnostiques et thérapeutiques seront aussi plus nombreux. La France va tenter de rattraper son retard en se dotant de nouveaux équipement de radiodiagnostic : 1 TEP (tomographe par émissions de positons) pour 1 million d'habitants, dont au moins 1 par centre de lutte contre le cancer et CHU, 2 scanners ou IRM de plus par région, soit 40 au total pour le cancer. Elle doit aussi rénover « rapidement » son parc de radiothérapie : suppression d'ici à 2005 de la totalité des « Cobalts» encore en activité, remplacement de 50 accélérateurs d'ici à 2007.
Les inégalités dans l'accès aux médicaments et aux dispositifs innovants et onéreux devraient être diminuées par un rapprochement des modes de financement du public et du privé (la mise en place prévue de la tarification à l'activité). Et la nomenclature des actes d'anatomopathologie et de biologie évoluera en fonction des techniques.
Pour les patients
Les médecins ne devront plus, comme cela leur est quelquefois reproché, annoncer le diagnostic de cancer en quelques minutes ; la consultation d'annonce sera rémunérée par un forfait versé aux établissements, pour financer le dispositif de soutien au patient et le temps du médecin.
Les patients pourront trouver toutes les informations utiles au plus près de leur domicile et par tous les moyens (téléphone, Internet, kiosques d'information).
La chimiothérapie et, de manière plus générale, les soins à domicile seront facilités grâce notamment aux réseaux locaux. Le plan veut mettre en place, d'ici à cinq ans, 2 000places supplémentaires d'HAD (hospitalisation à domicile), par création et reconversion.
La lutte contre la douleur et le soutien psychologique et social sont aussi une priorité : création d'unités mobiles, augmentation du nombre de psychologues et de psychiatres (150 postes), financement d'un forfait de 3 à 5 consultations auprès de psychologues de ville formés à la psycho-oncologie...
Il faut également, malheureusement, développer les soins palliatifs, dont 80 % de l'activité est consacrée au cancer. Cela se fera notamment par la conversion « en tant que de besoin » des lits MCO (médecine, chirurgie, obstétrique), la création d'équipes mobiles et celle de 200 unités de soins palliatifs en institution.
Les parents pourront plus facilement rester auprès de leur enfant malade, avec l'amélioration des dispositifs existants. Les associations qui interviennent à l'hôpital verront leur rôle renforcé.
Pour tous les Français
« La lutte contre le tabac est une exigence prioritaire et absolue », dit Chirac. Le plan veut réduire de 30 % le tabagisme des jeunes et de 20 % celui des adultes : interdiction de la vente au moins de 16 ans, hausse des prix, renforcement de la loi Evin (dans les établissements scolaires et les entreprises, en particulier), campagnes grand public. Mais aussi aide au sevrage : les infirmières scolaires pourront délivrer des substituts nicotiniques, les substituts pourraient être prise en charge partiellement par l'assurance-maladie (expérimentation, dans le cadre d'un protocole d'arrêt), chaque département devrait disposer d'une consultation hospitalière antitabac dans les deux ans.
Le plan prévoit aussi de renforcer la lutte contre les cancers professionnels et environnementaux et l'alcoolisme : les emballages comporteront l'avertissement « L'excès d'alcool peut faciliter la survenue de cancers » ; les médecins et les infirmières seront formés lors de leurs études au repérage précoce des buveurs excessifs ; la démarche de conseil sera incluse dans la consultation de prévention prévue par la future loi de santé publique.
Le dépistage est l'autre important chapitre de la prévention. L'engagement du dépistage organisé du cancer du sein à compter du 1er janvier 2004 sera tenu, promet-on une nouvelle fois. Pour le dépistage du cancer du côlon, du cancer du col de l'utérus, du mélanome, là aussi des intentions, mais en dehors de l'effort dans le domaine de l'imagerie, rien de précis.
Quoi qu'il en soit, le gouvernement promet la transparence et un dispositif de suivi. Une mission nationale de projet placée auprès du ministre de la Santé « s'assurera du respect scrupuleux des engagements pris et des calendriers fixés ». La création de cette mission est la première mesure de l'échéancier de 2003, la dernière de 2007 étant : « Evaluation du plan cancer et réorientations éventuelles ». Jacques Chirac, dont le mandat s'achève aussi en 2007, assure pour sa part : « J'ai fait de la lutte contre ce fléau un des grands chantiers de mon mandat, pour que tout soit mis en uvre. J'en rendrai compte devant les Français. »
Le Plan cancer est accessible sur le site Internet du ministère de la Santé (www.sante.gouv.fr) et une boîte à lettres électronique est à la disposition de ceux qui veulent le commenter ou faire d'autres suggestions.
Sur quotimed.com, des informations complémentaires.
Un plan de 640 millions d'euros
Si le plan privilégie les mesures d'organisation, il comporte aussi des mesures de moyen, notamment pour renforcer les équipes. Le montant total des mesures nouvelles représente 10 millions d'euros dès 2003, pour atteindre 640 millions d'euros en 2007. Un « effort considérable » qui sera financé par la hausse des droits sur le tabac.
Ces moyens nouveaux correspondent à environ 3 900 postes de travail, dont plus de 1 700 soignants et technicien, 500 médecins, 400 postes de soutien aux patients et 660 autres postes.
Un institut pour le cancer en 2004
L'Institut national du cancer (INCa) est l'institution emblématique du programme de lutte contre le cancer. Il est destiné à coordonner l'ensemble des acteurs de la cancérologie et à donner une visibilité internationale à la politique de santé en cancérologie.
Le vote des dispositions législatives nécessaires à sa création devrait, selon le calendrier défini par le gouvernement, intervenir dans le courant de l'année 2003. Sa mise en place effective est prévue pour 2004.
Placé sous la tutelle des ministères de la Santé et de la Recherche, il bénéficiera de financements publics, mais également privés dans le cadre du mécénat ou des donations.
Dans le domaine des soins, l'Institut est la structure qui possède la vision globale de la lutte contre le cancer, depuis l'épidémiologie et les risques cancérigènes, jusqu'aux dispositifs de prise en charge, réseaux et établissements de soins. Il impulsera et suivra la réalisation des dispositions concernant la qualité et la coordination des soins, ainsi que l'accès équitable des patients aux meilleurs soins, quel que soit leur lieu de prise en charge. Il aura un rôle d'acteur vigilant de la mise en uvre du plan cancer. Pour éviter les redondances, ses actions seront coordonnées avec celles des structures existantes : InVS (épidémiologie), INPES (prévention et éducation à la santé) et ANAES (évaluation).
Dans le domaine de la recherche, l'INCa n'a pas vocation à se substituer aux organismes de recherche (INSERM, CNRS, CEA ...). L'institut fonctionnera comme une agence d'objectifs et de moyens. Il définira la stratégie globale de recherche et les programmes d'action dans les domaines de la recherche biologique et génomique, de la recherche clinique et en sciences sociales. Il financera et pilotera des programmes thématiques forts auprès des cancéropôles ou d'autres structures de recherche. De même, il pourra développer des programmes de partenariats forts et transparents avec l'industrie. L'INCa se veut « un acteur nouveau qui pourrait préfigurer une évolution de la recherche publique française autour d'agences d'objectifs et de moyens et de grands instituts thématiques ». Sa structure souple devrait lui permettre d'être réactif, efficace et libre de ses recrutements.
Dr L. A.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature