De notre envoyé spécial
En 1979, après la chute du Kampuchéa démocratique, pas plus d'une cinquantaine de médecins et de vingt-cinq pharmaciens avaient réchappé du génocide perpétré par les Khmers rouges. Tout le système de santé était naufragé. Jusqu'au fleuron hospitalier de la capitale, Calmette, qui avait été « pété à la hache », comme dit Alain Deloche, et transformé en orphelinat.
« La France a pris une part prépondérante dans la reconstitution des élites médicales, sans doute parce qu'elle a été la première à l'uvre, dès avant les accords de Paris (en 1993), estime un haut fonctionnaire du Quai d'Orsay en poste à Phnom Penh. L'option que nous avons choisie dès le départ, au contraire de la coopération en Afrique où nous travaillons d'abord en appui sur les structures de santé de base, a été de rebâtir en commençant par le sommet, en remettant sur pied les grandes structures hospitalo-universitaires. Dans l'urgence, puisque nous étions sur un champ de ruines, nous avons rebâti l'hôpital Calmette ».
Coopération, substitution, collaboration
Aujourd'hui, Calmette n'est peut-être pas l'établissement le plus important du pays (qui compte 42 hôpitaux au total), mais il tourne 24 heures sur 24, avec des services bien équipés auxquels le mois dernier des scanners ont été livrés par la France. Certains de ses services, telles la chirurgie ou la neurologie, constituent des pôles techniques réputés dans toute la région, grâce aux Prs Roux et Chazal.
Dans un premier temps, coopération rimait avec pure et simple substitution. Mais en une décennie, les médecins cambodgiens ont été formés rapidement, au nombre aujourd'hui de 5 000 en comptant les officiers de santé (proportionnellement plus nombreux que dans les pays voisins), des médecins aux revenus qui restent dérisoires : un hospitalier touche entre 20 et 30 dollars par mois à Phnom-Penh. Et maintenant, ce sont les formateurs de formateurs qui arrivent aux commandes. « Il y a dix ans, se souvient le Pr Alain Carayon, qui vient de succéder au Pr Jean-Jacques Santini comme conseiller du recteur de l'université des sciences de la vie*, M. Vu Kim Pour, c'était le niveau zéro : ni eau ni électricité, pas de tables, pas de craie. A présent, les transferts de compétences se sont quasiment accomplis et on est en train de transformer le modèle de coopération franco-cambodgien en modèle de collaboration. Six filières de troisième cycle sont opérationnelles, pour lesquelles des accords avec plusieurs universités françaises permettent de finaliser la formation des étudiants. »
Après des années d'une implication plutôt limitée (quelques heures de cours par an), le Pr Carayon, emballé par ses étudiants khmers, a fini par renoncer, pour eux, à sa carrière de chercheur en neurobiologie à la Pitié, à Paris : « Ils ont une force d'attention sans commune mesure avec celle des Français, ce sont de véritables éponges. Et leurs performances aux examens sont souvent supérieures. »
Une faculté de pharmacie toute neuve
Le dernier événement en date sur le plan hospitalo-universitaire, l'inauguration en grande pompe de la faculté de pharmacie de Phnom Penh, a mobilisé le Premier ministre Hun Sen, son ministre d'Etat, ministre de la Santé, le Dr Huong Sun Huot, et quantités de personnalités du monde médical venues tout exprès de France, secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, le Dr Renaud Muselier, en tête. Cette réalisation, la première de la fondation Pierre-Fabre, fruit d'une association avec la fondation Rodolphe-Mérieux, accueille désormais 230 étudiants, dans un bâtiment high-tech où, sur trois niveaux et 2 200 m2, se suivent salles de cours, de conférence, de travaux pratiques (chimie, chimie analytique, biologie, pharmacotechnie), bibliothèque, médiathèque et bureaux. L'investissement s'élève à 700 000 euros, auxquels s'ajoute le budget de la refonte complète du cursus de base des futurs pharmaciens et de deux DESS (pharmacie hospitalière et médicament).
Ce n'est pas par hasard si Pierre Fabre, avec Philippe Bernagou (le directeur de la fondation), a choisi le Cambodge pour lancer ce qu'il n'hésite pas à qualifier de « guerre contre le faux médicament » (« le Quotidien » du 14 juin 2002. Car, comme le confirme le Dr Huong Sun Huot, le pays « souffre d'un sérieux problème de contrôle de qualité des médicaments, avec des contrefaçons endémiques estimées à la moitié des médicaments en vente dans les quelque 2 000 pharmacies illicites que compte le royaume ainsi que sur les marchés ; dans le cadre du plan stratégique de santé publique, poursuit le ministre, il est prévu d'augmenter le nombre des officines, à raison d'une pharmacie pour 2 000 habitants ». A terme, la nouvelle faculté devrait permettre à l'ensemble de la filière du médicament de recouvrer le fort potentiel qui était le sien avant 1975.
Un foisonnement d'initiatives
Non moins prioritaire dans un pays qui reste à plus de 80 % rural, le maillage des centres de santé : « Un pour 1 000 habitants, et un centre de référence pour douze centres de santé », précise encore le Dr Huong Sun Huot, qui ne mésestime pas l'énormité du chantier : le nombre de lits d'hôpital s'élève à 0,96 par millier d'habitant contre 3,30 au Vietnam ou 2,6 au Laos. Ce déficit est d'autant plus alarmant que, parmi d'autres indicateurs de la situation sanitaire dramatique du Cambodge, le ratio de mortalité infantile atteint ici 89,4 pour mille, près du triple de celui-ci observé dans les autres pays d'Asie du Sud-Est. Quant aux enfants qui survivent, 49,3 % d'entre eux accusent jusqu'à six ans un déficit pondéral modéré à sévère.
Dans ce contexte, le Dr Huot ne cache ses « regrets devant le tassement de l'aide publique française ». Dans ces conditions, l'implication de bailleurs privés est d'autant plus salutaire : somme toute, ce sont des initiatives comme celles de Pierre Fabre, de l'Institut Pasteur (qui inaugure ces jours-ci son département antirabique), de la Chaîne de l'espoir ou de Médecins du Monde qui, ces dernières années, prennent peu à peu le relais des interventions publiques. Ce que Renaud Muselier appelle « un foisonnement d'initiatives, avec des hommes et des moyens multilatéraux ».
Moyennant quoi, la médecine cambodgienne reste plus que jamais francophone. Le ministre de la Santé s'en réjouit, lui qui, sous les Khmers rouges, a connu l'exil en France, en qualité de faisant fonction d'interne à l'hôpital de Coulommiers (Seine-et-Marne) ; à partir de 1988, sous l'égide d'une ONG, il participait, village par village, à la libération de son pays, en état de choc après le génocide. Quinze ans plus tard, devenu ministre, il poursuit une autre longue marche dans les sévères étendues planes de la campagne cambodgienne, sanitaire et médicale. Pays de la douceur de vivre, s'il en est, le Cambodge n'en a toujours pas fini de renaître d'un génocide parmi les plus sauvages de l'histoire.
* Médecine, pharmacie, odontostomatologie et ETSM (Ecole technique de soins médicaux ).
ESTHER : le premier partenariat hospitalier contre le sida
ESTHER (Ensemble pour une solidarité thérapeutique hospitalière en réseau), le programme de coopération hospitalière contre le sida conçu l'an dernier par Bernard Kouchner pour créer des liens entre pays riches et pays pauvres, à partir de partenariats inter-hospitaliers, devait voir le jour d'abord en Afrique (Sénégal et Mali). Mais c'est finalement le Cambodge qui en a la primeur, à partir de ce mois-ci. Avec, en appui aux institutions de santé, un budget de 1,2 million d'euros sur trois ans.
« Quatre établissements sont impliqués dans l'opération, explique le Dr Régine Lefait-Robin, médecin inspecteur de santé publique qui supervise la manuvre depuis Phnom-Penh : Calmette, le CHU de Siem Reap (au nord-ouest, près des temples d'Angkor) et, en France, les CHU du Kremlin-Bicêtre et de Tours.
Dans un premier temps, nous allons nous concentrer sur les prescriptions d'antirétroviraux qui, jusqu'à présent ont connu une utilisation très anarchique. Grâce au microscope à fluorescence dont nous sommes nouvellement équipés, nous allons pouvoir mettre en uvre un suivi biologique et immunologique des patients. Une technique alternative de comptage des CD4 a été mise au point, qui divise par quatre le coût des analyses et nous allons la valider dans les prochains mois. »
A Phnom-Penh, MSF assure déjà le suivi d'une file active de quelque 2 000 patients, à l'hôpital Norodom Sihanouk, avec une vigilance particulière pour la transmission mère-enfant et la prise en charge après accouchement.
L'institut Pasteur dispose d'une soixantaine de lits pour les patients. Depuis 1995, il fait fonctionner, avec l'appui des coopérants français, des centres de dépistage anonymes et gratuits qui aujourd'hui sont opérationnels dans six des vingt-quatre provinces que compte le royaume.
« Les autorités cambodgiennes considèrent de longue date le sida comme un problème de santé prioritaire », note le Dr Lefait-Robin. De fait, la prévalence du VIH parmi les donneurs de sang est passée de 0,10 % en 1991 à 3,6 % en 1997. Durant cette période, l'épidémie a gagné parmi les groupes de populations à haut risque (prostituées, militaires et policiers) comme dans la population générale. En 1998, la prévalence de séropositivité atteignait 3,6 % chez les adultes de 18 à 45 ans. Mais on observe depuis trois ans une légère tendance à la baisse.
Actuellement, 150 000 Cambodgiens seraient infectés. Un quart d'entre eux sont des enfants nés de mères séropositives.
Fondation Pierre Fabre : l'humanitaire et les médicaments
Créée en 1999, reconnue d'utilité publique, la fondation Pierre Fabre (FPF), que dirige Philippe Bernagou, oeuvre dans un but strictement humanitaire pour aider les populations des pays en développement à se procurer les médicaments essentiels.
Au Cambodge, elle a cofinancé avec la fondation Rodolphe Mérieux la nouvelle faculté de pharmacie, dans le but de fournir au pays les moyens matériels et humains de former des spécialistes du médicament ; les 687 pharmaciens qui avaient été formés depuis 1980, l'ont été jusqu'à présent dans des conditions précaires, le plus souvent sans recours aux travaux pratiques. Désormais, avec des salles de cours et de TP équipées en mobilier et matériel scientifique et informatique dernier cri, une bibliothèque entièrement reconstituée et enrichie en ouvrages et revues scientifiques par l'Association des étudiants et pharmaciens khmers de France, l'aide de professeurs issus de facultés de pharmacie françaises, les étudiants cambodgiens, au nombre cette année de 250, vont recevoir une formation de base performante, avec deux DESS proposés : un DESS de pharmacie hospitalière et un DESS du médicament. La durée de formation s'étale sur deux ans et demi (deux ans de cours et six mois de stage).
La fondation Pierre Fabre est également présente au Bénin (réhabilitation du Laboratoire national de contrôle de la qualité des médicaments et de la centrale d'achat des médicaments essentiels), et en Afrique intertropicale (soutien d'un programme de recherche sur la trypanosomiase qui ravage la région), ainsi qu'au Liban, avec le dispensaire de Khaldieh (nord de Beyrouth) créé sous l'égide : l'Association Malte-Liban.
« La moitié de la population n'a toujours pas accès aux médicaments essentiels alors même que se développent de nouvelles pandémies et que d'anciennes resurgissent », explique Pierre Fabre, quand on l'interroge sur la raison d'être de la Fondation qui porte son nom ; jugeant cette situation « totalement insupportable », il entend « participer activement à la correction des déséquilibres du marché du médicament et à la lutte contre les dérives ».
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