A trois semaines de l'échéance officielle des négociations conventionnelles, le climat est à l'orage entre l'assurance-maladie et les spécialistes libéraux installés en secteur I. Et certaines blessures ne cicatriseront pas de sitôt.
Confortés par le discours de fermeté que tient la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM) depuis quelques semaines, plusieurs directeurs de caisse primaire ont durci leur position pour assurer, coûte que coûte, le respect des tarifs conventionnels.
Les spécialistes installés en secteur I avertis ou sanctionnés pour des dépassements d'honoraires « abusifs » se compteraient déjà par dizaines, certaines disciplines étant particulièrement touchées (dermatologues, ophtalmologistes, pédiatres, ORL, gynécologues...). « Nous avons recensé plus d'une centaine de lettres de rappel à l'ordre envoyées aux médecins et au moins une dizaine avec des sanctions financières exécutoires », affirme-t-on à la CSMF. Un recensement sans doute en deçà de la réalité.
Une vingtaine de caisses seraient particulièrement zélées. La CPAM des Vosges confirme avoir envoyé « onze lettres de sanctions » (mais davantage de courriers d'avertissements). Son directeur, Rémy Aucordonnier, assume totalement cette politique de « vigilance ».
Surcoût de 10 000 euros par an
« Nous réagissons lorsque nous constatons que le taux de DE d'un médecin a fortement évolué, explique-t-il. On ne va pas chipoter lorsqu'un spécialiste est passé à 23 euros avant la date légale. Mais il faut savoir que, chez certains, l'augmentation des DE est très sensible depuis le milieu de l'année 2002 : quand, par exemple, le taux de dépassements est passé de 3 % à 61 % de l'activité, quand la consultation facturée est presque systématiquement à 30, 33, voire 40 euros, j'estime qu'il faut intervenir pour faire respecter le contrat conventionnel. »
La caisse vosgienne ne fait pas dans la dentelle. « En général, ajoute son directeur, la sanction, c'est vingt-quatre mois de suspension de notre prise en charge des cotisations sociales. » A Lyon, un pédiatre a eu plus de chance: un mois de suspension. Les spécialistes soupçonnés d'abuser des dépassements tarifaires reçoivent au préalable une lettre de demande d'explications car le DE doit répondre à des « circonstances exceptionnelles de temps ou de lieu dues à une exigence particulière du malade ». Le médecin doit formuler ses observations dans un délai d'un mois. Selon plusieurs caisses primaires, les spécialistes invoquent souvent l'utilisation très large du DE pour compenser le blocage de leurs honoraires, argumentation qui correspond à la consigne répétée depuis des mois par la CSMF et le SML, mais qui, évidemment, n'est pas prévue dans le règlement conventionnel minimal.
« Intimidation »
Pour les spécialistes pénalisés, la facture risque d'être salée. Le montant de la prise en charge des cotisations « oscille entre 2 500 et 4 900 euros par trimestre », précise le directeur de la caisse des Vosges. De sorte que les pénalités pourraient être incomparablement supérieures aux montants des dépassements constatés. Condamné dans ce département, un médecin dermatologue juge « révoltante » une procédure qui tend à « montrer du doigt les médecins de secteur I » et à les présenter « comme des escrocs ».
Ce durcissement fait également bondir les représentants des spécialistes. Le Dr Gérard Rousselet, président du Syndicat national des dermatologues, confirme au moins trois cas de confrères sanctionnés « à Epinal, dans la Drôme, et à Saint-Nazaire », pour un surcoût moyen de 10 000 euros par an. « Les caisses réagissent de façon de plus en plus agressive et surtout totalement disproportionnée, c'est comme si on voulait "fusiller" quelques médecins pour l'exemple et pour des faits qui remontent souvent à l'été dernier », accuse-t-il. Le Dr Jean-François Rey, président de l'Union nationale des médecins spécialistes confédérés (UMESPE-CSMF), majoritaire, fait la même analyse. « Il y a manifestement un mot d'ordre national d'intimidation des spécialistes. On est en train de tester leur capacité de résistance, de créer un rapport de force », estime-t-il. Pour lui, ce « harcèlement » des spécialistes sur l'utilisation du DE, mais aussi « sur l'absence de télétransmission », augure mal de l'issue des négociations, qui reprennent dès vendredi en séance plénière, et dont la clé est justement la négociation de nouveaux espaces de liberté tarifaire. « Quand je vois l'agressivité de certaines caisses, je me dis qu'on est en train d'écrire un contrat de divorce, pas un contrat de mariage », constate le Dr Rey. Le 20 février, Jean-Marie Spaeth avait solennellement condamné l' « anarchie tarifaire » et fixé « les limites à ne pas franchir ».
« Cs à 28 euros pour tout le monde »
Les responsables de l'assurance-maladie retournent en effet l'argument avancé par les syndicats médicaux selon lequel il faut calmer le jeu en pleine période de négociations. « Chaque partenaire doit faire preuve de respect, les médecins aussi », tranche un directeur de caisse. Sur son site Internet, la CNAM souligne que l' « appel à pratiquer des dépassements tarifaires est d'autant plus choquant que l'assurance-maladie est actuellement en négociation pour revaloriser les honoraires de ces médecins. »
De nombreux spécialistes ont été simplement avertis, les caisses évoquant parfois des réactions d'assurés mécontents. C'est le cas de ce pédiatre qui estime avoir reçu une intimidation mignonne » de sa CPAM. « On me reproche des honoraires majorés correspondant à 20 % de mon activité, explique-t-il . Cela ne me surprend pas : ce taux correspond aux actes pour les patients de plus de deux ans (pour lesquels le forfait pédiatrique ne s'applique pas) . Moi, je facture le CS à 28 euros pour tout le monde. » Pour ce praticien, la procédure conventionnelle sera lancée s'il ne revient pas « dans les délais les plus brefs » à un usage « normal » du dépassement.
Dans les Deux-Sèvres, où la CPAM avait menacé directement 15 médecins de ne plus prendre en charge le paiement de leurs cotisations sociales, à hauteur de 1 000 euros par mois et par praticien, la sanction est toujours virtuelle. Mais Yves Lucas, directeur de la caisse de Niort, tient un discours sans aucune ambiguïté. « Je suis absolument déterminé. J'ai voulu mettre les formes et certains médecins ont bien compris le message. Mais ceux qui persistent et signent dans une utilisation du DE qui n'a rien à voir avec la pratique légale doivent savoir que, moi aussi, je persisterai et je signerai ». A bon entendeur.
Spaeth répond à Douste-Blazy
Jean-Marie Spaeth a vivement réagi, dans une lettre ouverte, aux propos du secrétaire général de l'UMP, Philippe Douste-Blazy, qui avait qualifié, dans un entretien publié le 4 mars par « le Quotidien », de « réactionnaire » l'attitude de la CNAM face aux dépassements d'honoraires pratiqués par des médecins spécialistes.
Le président de la CNAM dénonce avec la « plus extrême vigueur, le caractère outrancier » de ces propos. Ces prises de position, poursuit-il, font « injure à l'action de tous les responsables et de tout le personnel de l'assurance-maladie (...) qui servent l'ambition de notre pays d'un égal accès aux soins pour tous (...), une valeur constitutionnelle ».
« Sont-elles réactionnaires ; s'insurge encore Jean-Marie Spaeth, les caisses qui veillent à ce que les spécialistes (...) respectent les tarifs conventionnels, lorsque chacun sait en outre qu'en contrepartie de cet engagement, les caisses prennent en charge les cotisations sociales de ces professionnels libéraux à hauteur en moyenne de 14 000 euros par an ? »
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