Réunions discrètes, dîners qui ne le sont pas moins, conversations téléphoniques confidentielles : les tractations se multiplient ces derniers jours pour trouver enfin une sortie au conflit qui, depuis plus de six mois, conduit les médecins généralistes, à l'appel de deux syndicats, à faire la grève des gardes et de week-end.
L'intention du gouvernement est d'arriver à résoudre le problème des revalorisations d'honoraires réclamées par la CSMF et le SML, le C à 20 euros et le V à 30 euros, avant le premier tour des élections législatives. Et le temps presse, puisque ce scrutin a lieu dans un peu plus d'une semaine, le 9 juin.
Si le gouvernement réussit à mettre autour d'une table les responsables de l'assurance-maladie et les leaders syndicaux, il aura certes réussi une belle performance, tant les positions paraissaient figées. Mais il n'aura pas pour autant résolu l'une des questions essentielles de ce dossier, sinon la plus importante : comment financer une hausse des tarifs des médecins généralistes et surtout la concilier avec les impératifs de l'assurance-maladie dont l'équilibre est déjà plus que menacé ?
• L'augmentation des prélèvements
C'est la solution la plus simple et la plus rapide. Mais elle ne va pas sans risque politique pour le gouvernement.
D'ores et déjà, Nicole Notat, dont Alain Juppé a vanté les qualités, et que certains proches de Jacques Chirac auraient bien vu au gouvernement, a mis en garde le pouvoir : pas question, a-t-elle dit, de faire payer aux salariés les revalorisations d'honoraires par une augmentation de la CSG. « Il faut que cela soit fait dans un ensemble qui assure les bonnes pratiques médicales et l'équilibre des comptes de la Sécurité sociale. » De plus, le gouvernement peut-il augmenter cet impôt alors qu'il se prépare à annoncer une réduction de l'impôt sur le revenu ? Reprendrait-il d'une main ce qu'il donnerait de l'autre ?
Le Premier ministre se retournerait-il alors vers une augmentation des cotisations maladie ? François Fillon, le ministre des Affaires sociales, puis Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux PME, ont préconisé cette solution. Mais Jean-Pierre Raffarin peut-il y recourir, alors même que Jacques Chirac, tout au long de sa campagne présidentielle, n'a cessé de dire qu'il fallait réduire les prélèvements obligatoires, alléger les charges, réduire les impôts ? « Les solutions avancées par certains ne regardent qu'eux », a d'ailleurs dit prudemment Jean-François Mattei, quelques heures plus tard.
Reste la cotisation de réduction de la dette sociale (CRDS) inventée par le plan Juppé, pour apurer les déficits cumulés de la Sécurité sociale et dont l'échéance était fixée à 2009. Martine Aubry, en 1997, lors du projet de loi de financement de la Sécurité sociale 1998, avait augmenté de cinq ans ce délai, jusqu'en janvier 2014. Une des solutions envisagées aujourd'hui pourrait être de prolonger encore sa durée afin de permettre le financement des augmentations tarifaires. Pour un économiste, comme Claude Le Pen, « c'est même la solution la plus envisageable, mais sans doute aussi la moins satisfaisante, car on ne règle en rien le problème posé par l'équilibre des comptes de la protection sociale ».
• Creuser le déficit de l'assurance-maladie
Cette solution, qu'il faut bien envisager, reste improbable. Selon les dernières prévisions, le déficit de l'assurance-maladie, en dehors de toute revalorisation d'honoraires, fin 2002, atteindrait déjà les 4,5 milliards d'euros, voire les 5 milliards d'euros (presque 35 milliards de francs). Un trou important, et que le gouvernement ne peut se permettre de creuser encore, même pour faire plaisir aux médecins, sans mécontenter les assurés sociaux. De plus, Jacques Chirac a promis l'équilibre de tous les comptes en 2007, ce qui lui a valu déjà une remontrance de la Commission européenne, qui a rappelé au gouvernement l'échéance de 2004. Il est clair que les mêmes experts de Bruxelles admettraient très mal une politique qui ferait fi des déficits.
• Gager les augmentations sur des objectifs de maîtrise
Là, le gouvernement marche sur des œufs. Il se rappelle le précédent du plan Juppé. Les médecins, qui combattent depuis cette date toute politique de maîtrise des dépenses qui ressemble tant soit peu à un dispositif comptable avec des objectifs opposables, ne sont pas prêts à accepter, surtout aujourd'hui, des contraintes économiques. Ils l'ont dit haut et fort. Et Michel Chassang, président de la CSMF, l'a encore affirmé, il y a quelques jours, en disant clairement qu'il ne signerait jamais un document imposant des objectifs précis aux médecins. Cependant, plusieurs responsables des caisses ont d'ores et déjà fait savoir qu'ils ne donneraient pas un chèque en blanc aux médecins. Dès lors la marge de manœuvre du gouvernement est étroite. Il s'agit simplement, dit-on du côté du ministère de la Santé, d'encourager les médecins à prescrire plus de génériques et moins d'antibiotiques, à mettre en pratique les recommandations médicales, à participer activement à des campagnes de santé publique et de bon usage du médicament. Sera-ce suffisant pour faire baisser les dépenses de santé et gager ainsi les augmentations d'honoraires ?
Le président de la CNAM (voir page 4) le croit assurément, qui précise que les augmentations d'honoraires pouvaient être autofinancées par les bonnes pratiques médicales et le bon usage du médicament.
• Une politique de déremboursements
Enfin, on peut concevoir que le gouvernement, pour faire des économies, accepte de dérembourser certaines prestations. Cela ne peut concerner l'hôpital, bien entendu, ni même la médecine de ville, sauf à provoquer un tollé chez les médecins et les assurés sociaux. Reste évidemment le médicament. Déjà bien touchée par le plan Guigou de juillet 2001 et les baisses de prix et de taux de remboursements, l'industrie pharmaceutique pourrait de nouveau être mise à contribution, même si, comme le dit encore Claude Le Pen, ce secteur a déjà bien donné. Mais le déremboursement des médicaments dont l'efficacité (le service médical rendu) a été jugée insuffisante par la Commission de la transparence, qui passe en revue l'ensemble de la pharmacopée, pourrait rapidement redevenir d'actualité, malgré les dénégations de certains hommes politiques de la majorité présidentielle.
Le gouvernement n'est pas au bout de ses peines. Car, mis à part ce dossier des médecins généralistes, il lui faudra bien régler celui des spécialistes et des autres professions de santé, qui vont rapidement demander que les accords pris avant l'élection présidentielle soient respectés. C'est le cas, entre autres, des orthoptistes, des dentistes et des biologistes. Ces derniers, en particulier, n'ont guère apprécié le refus du gouvernement précédent d'augmenter leur lettre clé B, prévue par un accord signé avec la CNAM. Ils l'ont déjà fait savoir à Jean-François Mattei, qui s'est inquiété, lors de son entretien avec le président du Centre national des professions santé, le Dr Jacques Reignault, du coût de l'ensemble de ces mesures.
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