C à 20 euros : la CNAM met ouvertement en garde les généralistes

Publié le 17/03/2002
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C'est la fin de la récréation qui est sifflée mais il n'est pas du tout certain que tout le monde rentre dans le rang.
Jusque-là tolérée dans les faits, voire volontairement ignorée, l'application unilatérale de tarifs de consultation dits sauvages (en général le C à 20 euros à l'appel des coordinations de généralistes) ne fait plus du tout sourire les hauts responsables de l'assurance-maladie.
Hier considéré comme la marque du ras-le-bol de quelques centaines de généralistes jusqu'auboutistes, le « C à 20 euros », mot d'ordre que les syndicats médicaux n'ont jamais repris à leur compte pour éviter de tomber sous le coup du délit d'entente, est désormais dans la ligne de mire de la CNAM. La caisse déclare que « 10 % des consultations » étaient facturées 20 euros à la « mi-février », ce qui signifie « bien plus de 10 % des généralistes » qui ont désormais augmenté d'autorité leur tarif de consultation. Elle reconnaît toutefois la difficulté de « compter » les généralistes en secteur I qui appliquent le tarif de 20 euros en raison de l'utilisation conventionnelle du « DE » (dépassement d'honoraires exceptionnel pour exigence particulière du patient). Désormais, les caisses primaires s'efforcent en tout cas d'identifier les médecins qui dépassent fréquemment les tarifs conventionnels, de les rappeler à l'ordre par courrier, avant de les « convoquer » individuellement pour explication.
Lors de la manifestation du 10 mars à Paris, des centaines de généralistes arboraient un badge explicite, en référence à une publicité célèbre : « Je prends le C à 20 euros parce que je le vaux bien. » Quant à la coordination nationale des généralistes, elle affirme fédérer entre 15 000 et 20 000 médecins, dont « une grande partie » applique le C à 20 euros.

Rupture de contrat

« Quel que soit le nombre de généralistes concernés », la CNAM rappelle aujourd'hui les règles d'un jeu dangereux. Tout en refusant d'utiliser le terme de « sanctions » individuelles, les responsables de la caisse expliquent que le généraliste qui applique unilatéralement le C à 20 euros « casse le contrat individuel » qu'il a signé avec l'assurance-maladie en se conventionnant librement. Un contrat qui, souligne Jean-Marie Spaeth, président de la CNAM, n' « a de sens » que dans la mesure où il engage « les deux parties ». En échange du respect des tarifs conventionnels (C à 18,50 euros en l'occurrence), l'assurance-maladie prend notamment en charge une partie des cotisations sociales payées par les médecins qui équivaut, toujours selon la caisse, à « 10 500 euros » en moyenne pour un généraliste en secteur I (pour l'année 2001).
C'est cette prise en charge qui pourrait être remise en cause par l'assurance-maladie si des dépassements tarifaires non justifiés sont durablement constatés. « On est en train de rappeler gentiment aux médecins l'existence de ce contrat et des devoirs qu'il implique, avertit Jean-Marie Spaeth. Il y a eu une période de latence, mais en mars on ne laissera plus rien passer », dit-il, avant de préciser toutefois que les caisses ne feraient pas preuve de zèle rétroactif. Le patron de la CNAM regrette que certains médecins fassent entrer la santé « dans le secteur marchand », au risque de « casser le système » du conventionnement. Pour Daniel Lenoir, nouveau directeur de la CNAM, « la rupture du contrat conduira nécessairement au non paiement des cotisations » [que l'assurance-maladie verse directement aux URSSAF]. Les responsables de la caisse soulignent enfin qu'une pratique tarifaire « illégale » expose les médecins à des poursuites du fisc et à des sanctions pénales.
La coordination nationale des généralistes, dont la consigne est plus que jamais « le C à 20  euros », dénonce une « tentative d'intimidation » vouée à l'échec. Pour son porte-parole, le Dr Jean-Marc Rehby, « un nombre croissant de généralistes transgressent la réglementation, car ils n'en peuvent plus de ces honoraires déshonorants et veulent non pas gagner plus, mais travailler moins ». Mais, ajoute-t-il, « les médecins expliquent leur démarche aux patients et ils n'appliquent pas le C à 20 euros à tout le monde ». Il rappelle surtout que, dans la plupart des départements, les généralistes qui facturent le C à 20 euros ont signé des « chartes de solidarité » pour riposter collectivement (fermeture des cabinets, déconventionnement, passage de frontières) si un seul médecin est « attaqué » par sa caisse primaire. « Ce qui est nouveau dans ce mouvement, c'est la solidarité des généralistes grâce à Internet, aux forums, aux listes de diffusion et à la manif », affirme le Dr Rehby, pour qui « il n'y aura plus de retour en arrière ».

" Terre brûlée"

Le Dr Dino Cabrera, président du Syndicat des médecins libéraux (SML), redoute pour sa part « l'escalade et la politique de la terre brûlée ». « Si les caisses suspendent la prise en charge des cotisations sociales, certains médecins risquent d'augmenter encore plus leurs tarifs, souligne-t-il. Déclarer la guerre serait une absurdité alors que chacun sait que le C à 20 euros est une question de semaines. »
Revendication emblématique du conflit actuel, le C à 20 euros est-il populaire ? Oui, si l'on en croit un sondage SOFRES selon lequel 76 % des Français estiment que la rémunération de 20 euros pour une consultation est justifiée. Oui, également, si l'on constate que MG-France a repris cette revendication à son compte lors de sa dernière assemblée générale et que Jacques Chirac, comme beaucoup d'autres candidats, s'est engagé à la concrétiser s'il est élu.
La CNAM tient, mais pour combien de temps encore, un discours différent. On explique que de nombreux assurés « ont du mal à dire non à leur médecin en face-à-face » mais que « les mêmes patients se plaignent ensuite auprès des caisses ».

Cyrille DUPUIS

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7088