Si, en général, le monde médical a accueilli favorablement l'accord avec la CNAM qui porte la valeur du C à 20 euros et celle du V à 30 euros dans certaines conditions, il n'en va pas de même pour la presse grand public qui tire à boulets rouges sur l'avantage exorbitant qu'auraient obtenu les généralistes du secteur I. Il nous a donc semblé utile de répondre aux arguments qu'elle a exposés.
1) C'est une geste électoral. Personne ne nie que le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a voulu tenir la promesse électorale de Jacques Chirac et en tirer profit avant le premier tour des législatives. Mais une promesse tenue, c'est déjà un acte positif ; en tout cas, c'est beaucoup mieux qu'une promesse trahie.
En outre, la crise qui a opposé le corps médical aux pouvoirs publics pendant sept mois s'est rapidement transformée, de conflit social, en problème politique. Le président de la CNAM, qui se félicite aujourd'hui de l'accord, s'est d'abord battu sur le front du dialogue social, en rappelant la seule méthode valable, la discussion entre partenaires ; Jean-François Mattei lui a aussitôt donné satisfaction en lui rendant visite et en lui confiant, comme il se devait, la tâche de négocier avec les syndicats médicaux.
Mais il ne lui a pas caché la volonté de son gouvernement de conclure le plus vite possible. L'objectif était peut-être électoral, mais l'affaire ne pouvait être réglée qu'au plus haut niveau politique.
2) Le C à 20 euros ne résout rien. Effectivement, il ne remplace nullement la réforme de fond du système de soins à laquelle doivent s'atteler tous les partenaires sociaux. Mais il a des conséquences positives immédiates : il empêche le système, tel qu'il fonctionne actuellement, de sombrer dans l'anarchie, avec des déconventionnements, la poursuite des grèves de garde, le refus des médecins de télétransmettre (un dossier qui n'est pas réglé), et un tel découragement dans le corps médical que la qualité des soins en aurait été atteinte à la longue. Les 20 euros ne sont pas une réforme, mais ils ouvrent la voie de la réforme, avec des syndicats médicaux qui aborderont les discussions dans un esprit de conciliation et de coopération. On ne fait pas, rappelons-le, une réforme du système de soins sans la participation du corps médical.
C'est stupide de croire que les médecins se moquent de l'augmentation des dépenses de santé. Ils savent qu'elle pèse sur l'avenir de l'exercice médical. Ils contribueront à une forme de maîtrise qui ne menace pas l'exercice lui-même.
3) Cela représente en moyenne 6 000 euros par an pour chaque généraliste ; aucune profession n'a jamais obtenu une telle augmentation.
C'est l'argument « bombe atomique », mais c'est une projection statistique et financière plus facile à énoncer qu'à prouver. Au total, depuis le 1er janvier, les généralistes ont obtenu une revalorisation du C de 2,46 euros. Pour 4 000 actes par an, cela fait 9 840 euros par an ; pour 5 000 actes par an, cela fait 12 300 euros par an.
C'est effectivement beaucoup. Mais il est entendu que l'on ne parle ici que des recettes. Comme les dépenses de gestion d'un cabinet représentent en moyenne la moitié des recettes, on arrive effectivement à quelque 6 150 euros de revenu supplémentaire pour un omnipraticien à forte activité.
Il demeure que, avant les deux revalorisations de cette année, le C n'a pas été augmenté pendant sept ans, ce qui, sous l'effet de l'inflation, correspond à une perte de pouvoir d'achat d'au moins 10 à 12 %. Et puis se pose la question rituelle, mais vraie : que fait-on aujourd'hui avec 20 euros ? Est-ce que payer un bac plus 10 à raison d'un euro la minute de travail - ou plus exactement un demi-euro la minute, soit 30 euros de l'heure - est déraisonnable ?
Par ailleurs, les syndicats de médecins n'ont cessé de dire qu'un C revalorisé diminuerait le nombre d'actes. De très nombreux praticiens ont exprimé la volonté de travailler mieux et moins : ils feront vraisemblablement moins d'actes dans l'année. Il est donc possible que les fameux 6 000 euros supplémentaires seront amputés d'un tiers ou plus.
4) Politique de classe : le gouvernement enrichit les médecins et hésite sur l'augmentation du SMIC.
Ceux qui avancent cet argument ne semblent pas avoir compris que les médecins ne sont les salariés de personne, ni ceux du gouvernement, ni ceux de la CNAM. Ce sont, en termes de marché, ou de consommation, sinon en termes déontologiques, des prestataires de services, payés au service.
Pour faire une comparaison à la fois attristante et limpide, si vous ne voulez payer votre dépanneur de télévision que 18,50 euros quand il vous en réclame 90 ou 100, il ne viendra pas. Ou vous payez, ou vous restez sans télé. La différence, c'est que le médecin ne peut pas refuser de soigner un malade.
Les SMICards, au contraire, sont des salariés. Dans l'immense majorité des cas, ils n'ont pas suivi des études comparables aux études médicales ; ils n'ont donc pas fait cet énorme investissement qu'est une année d'étude. C'est une année où l'étudiant n'est pas payé. S'il en fait 10, c'est pour gagner un peu plus qu'un SMICard au terme de cette longue période de dénuement. Pendant le même temps (soit dix ans), le SMICard touche un salaire, si faible soit-il. Nos observateurs économiques « impartiaux » ont donc besoin d'une leçon d'arithmétique et de refaire leurs calculs.
5) Le gouvernement sera forcé d'augmenter la CSG ou les cotisations sociales. Il est vrai qu'il souhaiterait s'abstenir de le faire. Mais il est encore plus vrai que la santé a un prix et qu'il est temps de dire aux Français qu'ils ne paient pas vraiment le prix de la leur. Augmenter la CSG ne serait pas la fin du monde. Nous ne nierons pas toutefois que le niveau des prélèvements obligatoires est excessivement élevé dans ce pays. C'est pourquoi nous continuons à dire que la crise de la santé est surtout un problème de consommation de soins. Les Français en sont voraces parce qu'ils se sentent quittes du prix grâce à leur fiche de paie.
Il ne faut pas augmenter les prélèvements sociaux. Il faut peser sur les consommateurs de soins, leur rappeler qu'ils n'ont pas besoin d'une ordonnance pour acheter de l'aspirine, les contraindre à ne pas changer de médecin tous les mois, à ne pas chercher nécessairement une seconde opinion médicale, à ne pas demander une visite à domicile s'ils peuvent se déplacer, à ne pas demander à leur médecin de leur prescrire des médicaments dont il ne voit pas l'utilité.
L'accord conclu mercredi dernier encouragera les médecins à tenir tête aux gros consommateurs de soins, aux hypocondriaques, aux faux malades qui réclament des arrêts de travail injustifiés (il y a une grosse réforme à faire dans ce domaine). C'est la dépense globale de soins qu'il faut réduire, ce ne sont pas les recettes qu'il faut augmenter.
Si enfin, dans ce pays, on rend aux citoyens un peu de leur responsabilité, si, au lieu de leur dire en permanence que moins ils travaillent, mieux ils se portent, si on leur explique que ce sont eux qui ruinent le système quand ils restent à la maison parce qu'ils ont du vague à l'âme au lieu d'aller travailler, et pas ces affreux médecins qui « ne pensent qu'au fric », on aura fait un pas essentiel.
Le vrai prix de l'acte médical, le vrai prix du médicament innovant, le vrai prix d'un scanner : on n'échappera à la vérité des prix. Pendant près de dix ans, on a voulu faire croire aux Français qu'ils pouvaient avoir à la fois le meilleur système de soins et le moins cher. Pour qu'il reste bon et performant, il faut payer.
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