Dans l'épreuve extrême, inattendue et implacable qu'il affronte moins de huit mois après son entrée à la Maison-Blanche, George W. Bush est-il capable d'assumer ses fonctions et responsabilités ?
Ses compétences avaient soulevé beaucoup de doutes dans l'opinion américaine et internationale avant même son élection. Ses débuts à la Maison-Blanche avaient surpris et parfois interloqué ses partenaires étrangers. On l'avait accablé de tant de quolibets avant même que ne survînt l'effroyable désastre du 11 septembre qu'on n'a pas cru bon, ensuite, de le juger autrement.
Commentaires sardoniques
Lundi encore, la presse européenne, mais pas toujours la plus sérieuse, l'a couvert de commentaires sardoniques sous le seul prétexte qu'il a réclamé la tête de Ben Laden « mort ou vif ». Quelques-uns d'entre nous auraient tendance à penser que, s'agissant d'un homme qui a fait tant de mal, ou, en l'absence de preuves, qui n'a jamais caché sa haine de l'Amérique et de l'Occident, le propos du président des Etats-Unis n'est pas particulièrement choquant. Et on est encouragé à conserver la même opinion quand les journaux qui reprochent à M. Bush de se comporter en « shériff du Texas » ne sont pas des parangons de déontologie professionnelle. Tel ce journal français du soir qui a eu le goût exquis d'associer ses moqueries à un entretien « exclusif » avec le terroriste Carlos qu'on est allé chercher au fond de sa cellule pour qu'il ait la bonté de nous expliquer comment ses confrères en terrorisme nous feront mourir à petit feu. Quel scoop ! Quel bel hommage rendu aux six mille victimes de New York et de Washington ! Et comme il est utile de glorifier ainsi l'assassinat de masse !
Couardise ?
Plus sérieusement, M. Bush qui, au fond, n'a jamais été que le fils de son père (la présidence, c'est une bonne campagne électorale avec énormément d'argent) n'a pas soulevé, jusqu'au 11 septembre, l'admiration des foules. Pourquoi devraient-elles changer d'attitude aujourd'hui ?
D'aucuns ont noté que les propos de M. Bush sur le Bien et le Mal n'étaient pas de la meilleure veine, les Etats-Unis n'étant pas une nation particulièrement innocente ; d'autres remarquent qu'il y a eu vacance au pouvoir quand l'avion présidentiel s'est posé en Louisiane - et y resté pendant de longues heures - en attribuant à M. Bush une couardise que nie son entourage, qui explique cette escale par des raisons de sécurité, d'ailleurs bien compréhensibles dès lors que des avions de ligne s'abattaient sur les symboles de la puissance américaine. D'autres enfin pensent que tout ce qu'il fait depuis huit jours est à peu près nul, qu'il accuse Ben Laden sans preuves, qu'il n'a pas la maîtrise de ses services de renseignements, qu'il n'existe politiquement que par ses conseillers les plus proches, que sa rhétorique est belliqueuse et ronflante, que le projet d'envahir l'Afghanistan est une folie (et une injustice faite aux Afghans) et que, en définitive, le président des Etats-Unis est déboussolé, craintif, incertain, ignorant, plongé dans une crise dont il ne possède ni les tenants ni les aboutissants.
Il est indéniable que M. Bush n'a pas abandonné une phraséologie (Dieu, la Bible, la foi) qui, en d'autres circonstances, ferait sourire et montre que la séparation de l'Eglise et de l'Etat n'est pas vraiment acquise aux Etats-Unis. Quant à l'escale de Louisiane, il faut quand même se rappeler que la sécurité personnelle du président est une question d'ordre constitutionnel : que la crainte d'une attaque contre la personne même du chef de l'exécutif fût fondée ou non, le risque de donner cette victoire supplémentaire aux terroristes méritait que M. Bush se conduisît avec la prudence la plus grande.
En revanche, il n'a rien fait à ce jour qui mérite une critique sérieuse. En réalité, il a entendu plus de mises en garde et d'avertissements des pays arabes et même de ses alliés les plus proches, comme Tony Blair, que de témoignages d'amitié indéfectible. A Londres, à Paris, à Rome et ailleurs, on n'avait pas plus tôt affirmé sa solidarité avec la nation en deuil qu'on ajoutait dans le même souffle qu'on agirait en toute souveraineté ; et qu'il n'était pas question de s'aligner sur des décisions américaines dont on disait, avant même qu'elles fussent prises, qu'elles comportaient plus de périls que d'espoirs de résultats.
On a donc fait à M. Bush un procès d'intention que rien, en dehors d'une sémantique propre à satisfaire ses compatriotes, dont on ne semble pas assez mesurer le chagrin et la rage, ne justifiait. Et de fait, il apparaît clairement qu'il examine plusieurs options, dont aucune ne le satisfait vraiment. Pour ce qui concerne l'Afghanistan, il a préféré envoyer aux mollahs une délégation pakistanaise chargée de leur demander la livraison de Ben Laden, mais il n'y a pas (encore) dépêché un corps expéditionnaire ; il a tenu aux pays arabes et musulmans un langage très ferme par lequel il ne leur demandait pas autre chose que de se charger eux-mêmes du nettoyage des réseaux terroristes qu'ils abritent, étant entendu que l'Amérique, aujourd'hui, ne peut plus tolérer ce qu'elle a traité jusqu'à présent par l'indulgence ou la passivité ; il a laissé s'exprimer tous les conseilleurs d'Europe et d'ailleurs, y compris M. Chirac hier et M. Blair aujourd'hui, lesquels, après tout, n'ont pas à déplorer la mort de 6 000 de leurs concitoyens ; il a parlé d'une guerre, certes (et pourquoi pas ?), mais qui sera longue, pénible et coûteuse. Ce qui semble signifier qu'il ne compte pas régler le problème par une aventure militaire spectaculaire mais par le travail minutieux de ses services secrets, lequels, dans l'affaire, l'auraient plutôt déçu et doivent l'aider plus que jamais.
Il se peut qu'il change d'avis, bien entendu. Mais d'une part, les souffrances de l'Amérique suffiraient à expliquer son bellicisme ; et M. Bush, qui conduit une nation de 270 millions d'habitants, ne peut pas ignorer le message qu'ils lui adressent et qui, à une très forte majorité, contient une exigence de vengeance et de châtiment.
Ni déçus ni dupes
Or M. Bush n'a même pas parlé de vengeance. Il a simplement souligné une évidence : les Etats-Unis ne peuvent plus rester exposés à des attaques semblables à celles du 11 septembre et il faut bien qu'ils mettent en uvre une action propre à en diminuer le nombre, et même à les éliminer.
On a assez reproché à cet homme d'avoir été élu dans des conditions incertaines pour ne pas lui nier le droit et le devoir de se comporter comme le représentant de son peuple. Pas plus qu'on ne peut reprocher aux Américains de répondre par la colère à un fanatisme sanglant et destructeur.
On peut se moquer des Américains et de leur président, mais ils ne sont pas aussi stupides qu'on le dit. Que vous le croyiez ou non, c'est par courtoisie qu'ils nous ont remerciés pour les messages de sympathie que nous leur avons adressés, c'est avec émotion qu'ils ont reçu la réaffirmation verbale de notre solidarité et c'est par souci des règles diplomatiques qu'ils ont fait jouer certaines clauses de l'OTAN qui tendent à nous associer à eux contre les agresseurs. Mais ils ne sont pas dupes. Ils ne sont ni étonnés ni déçus de ce que M. Blair ou M. Jospin apportent des nuances à leur solidarité, nuances qui veulent dire que nos engagements sont verbaux, pas physiques. Ils ne se sentent ni isolés ni durablement menacés : ils sont forts de leur nombre et de leurs armes. Et s'ils doivent agir sans notre concours, ils le feront.
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