Il n'a échappé à personne que, après avoir reconquis en une semaine les deux tiers de l'Afghanistan, les forces de l'Alliance du Nord piétinent devant Kunduz et Kandahar et que quelques-unes de leurs offensives ont été repoussées par les talibans.
La situation sur le terrain contraste avec une diplomatie active qui a permis la réunion à Bonn, depuis hier, de toutes les tendances afghanes, dans le but de définir l'avenir institutionnel du pays. Mais l'aide humanitaire ne peut pas être acheminée, et les forces françaises et britanniques n'ont pas été autorisées par l'Ouzbékistan à pénétrer en Afghanistan où, par ailleurs, l'Alliance a fait savoir qu'elle ne tenait pas à accueillir des forces étrangères, c'est-à-dire non américaines.
Récidive
La complexité du conflit a déjà amené bon nombre de subtils commentateurs à récidiver : non contents de s'être lourdement trompés une première fois à propos de l'invincibilité qu'ils attribuaient aux talibans, ils parlent maintenant de l'enlisement de l'Amérique et lui prédisent un deuxième Vietnam.
Grossière erreur : les forces américaines ne peuvent s'enliser en Afghanistan pour la simple raison qu'elles n'y sont pas, ou qu'elles y sont sous la forme homéopathique. Les quelques centaines de soldats américains sur place ne combattent pas les talibans directement : ils traquent les terroristes et le toujours introuvable Oussama ben Laden ; et guident les bombardiers B 52, devenus du coup beaucoup plus précis. Un simple message de Washington suffirait à rappeler ces hommes en moins de deux ou trois heures.
Il est vrai que les talibans n'ont perdu qu'une bataille, pas la guerre. Ils se sont repliés précipitamment en abandonnant une bonne partie du territoire afghan, et ils l'ont peut-être fait à dessein. L'Afghanistan est un pays tellement particulier que l'on peut aller jusqu'à dire que, pour les talibans, Kaboul n'est pas importante. Et que ce qui compte à leurs yeux, c'est moins l'intégrité de leur régime que leur pouvoir de nuisance. Tant qu'ils se battent, ils n'ont pas perdu et tant que l'Alliance ne les aura pas éliminés, elle ne pourra pas parler de victoire.
Le secrétaire d'Etat à la Défense, Ronald Rumsfeld, s'est montré, ces derniers temps, à la fois sceptique et ferme. Il n'a pas manifesté une joie immense lors de la déroute des talibans et il a continué à parler de la durée du conflit au-delà de l'hiver. Il ne cache pas non plus sa détermination à renverser le régime et à détruire les réseaux terroristes.
La simple vérité est la suivante : sans les bombardements, l'Alliance n'aurait conquis ni Kaboul ni Mazar-e Sharif ; Kunduz et Kandahar ne poseraient aucun problème aux Américains si ces villes avaient été désertées par les civils. Ils ne peuvent pas raser deux cités dont les populations sont otages des groupes les plus fanatiques, non seulement les talibans, mais les mercenaires étrangers, arabes, pakistanais et autres, qui se battent avec d'autant plus de fougue qu'ils ne comptent guère sur la miséricorde de leurs ennemis. Les « étrangers » n'ont rien à perdre.
Mort ou vif
Aussi bien les Etats-Unis n'auraient-ils pas hésité à les exterminer s'ils n'étaient retenus par une élémentaire compassion pour les Afghans innocents.
Au Congrès, quelques élus ont exprimé le souhait que l'armée américaine utilise des minibombes atomiques, petites merveilles qui font de terribles dégâts, contre les grottes où se cachent les amis de Ben Laden. M. Bush fait semblant de ne pas entendre, ce qui montre qu'il n'est pas le va-t-en-guerre que l'on décrivait le jour où il a donné l'ordre de capturer Ben Laden « mort ou vif », expression qui n'a choqué que ceux pour qui les victimes des Twin Towers n'avaient eu que ce qu'elles méritaient. Capturer mort ou vif l'homme le plus dangereux du monde reste la mission numéro un des forces américaines. Elles peuvent échouer.
Mais le plus important est de ne laisser aucun répit aux terroristes. Ils sont harcelés partout, en Afghanistan, en Europe et aux Etats-Unis ; ceux qui ont échappé à la traque mondiale ne bougent plus. Privés d'argent, ils devront tôt ou tard rentrer chez eux. Ben Laden lui-même n'en mène pas large. Celui qui, il y a deux mois, semblait capable de terrasser l'Amérique, fuit les bombes et les commandos, change de cachette toutes les nuits, et ne songe plus à enregistrer des messages vidéo pour annoncer l'Apocalypse. On dit qu'il ne se livrera jamais, qu'il se fera tuer plutôt que de se rendre. C'est le programme de Bush : mort ou vif.
La guerre peut durer, mais les talibans ne pourront plus jamais reprendre le pouvoir, même s'ils ne sont pas tous tués ou faits prisonniers. L'Amérique sait que, dans le cas où l'Alliance reculerait, une nouvelle vague de raids aériens assommerait les talibans. Le bilan de la bataille, sinon de la guerre, est donc positif et conforme à ce que l'on pouvait raisonnablement en attendre : il était logique que, après avoir commis un crime aussi cruel, après s'être livré à une provocation d'une ampleur géopolitique, après avoir blessé le cur même de l'Amérique, Ben Laden déclenchât une réaction dévastatrice. Le terrorisme, qui a bénéficié pendant des années de beaucoup de complaisances, a signé son arrêt de mort lorsqu'il s'en est pris aux tours de New York. Sa conception suicidaire du combat politique n'a pas seulement sacrifié les auteurs des attentats, elle a sacrifié le terrorisme lui-même.
Hitler au petit pied
Bien entendu, de nouveaux attentats seront commis, et il faudra sans doute des années pour venir à bout du fanatisme intégriste. Mais les Américains ont accumulé d'énormes réserves d'énergie que M. Bush, il faut le reconnaître, s'emploie à canaliser, non seulement pour que les Etats-Unis ne soient pas exposées à des critiques valables, mais pour que la bataille aille jusqu'à son terme.
On verra, avec le temps, que Ben Laden n'est qu'un Hitler au petit pied. Quand on prétend ne laisser aucune chance à un ennemi qui dispose d'une puissance de feu inégalée, il faut craindre le retour du boomerang, le backlash. Les Japonais et les Allemands en ont fait l'expérience il y a une soixantaine d'années : ils ont défié l'Amérique et en ont fait en trois ans une superpuissance.
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