ON A BIEN COMPRIS que l'attentat du 11 mars à Madrid avait pour objectif de faire perdre la droite espagnole aux élections. Les électeurs se sont jetés dans le piège et les socialistes ont triomphé. Ce monstre qui n'a rien d'humain et se nomme Abou Moussab Al Zarqaoui fait-il le bon calcul pour ce qui concerne l'élection présidentielle aux Etats-Unis ? La réaction des Américains, c'est la colère et le dégoût face aux méthodes épouvantables des preneurs d'otages. La décapitation filmée d'Eugene Armstrong (le son venant à l'appui de l'image) n'est ni la première ni la dernière du genre : la pratique conduit quelques experts, qui oublient peut-être un ou deux principes de base, à s'émerveiller sur l'usage extrêmement « professionnel » que les terroristes font de la vidéo. Il n'est pas sûr qu'elle invite l'électorat à choisir un candidat plus pacifique que M. Bush, sauf si la multiplication des films d'horreur prend la campagne de vitesse, c'est-à-dire qu'à la colère et à la rage succède la peur aux Etats-Unis.
Absence de perspective.
On dira donc que la dose de sauvagerie que les insurgés ajoutent à leurs crimes n'est pas de nature à faire céder les Américains.
Ils ne sont pas insensibles, en revanche, au chaos qui règne en Irak, à l'incapacité des forces de la coalition d'y maîtriser le cours des événements, aux conflits internes (on parle déjà de guerre civile) qui s'ajoutent à la guerre que les diverses factions irakiennes font aux Etats-Unis. Au-delà de la férocité, c'est l'absence de perspective politique qui est consternante : et c'est pourquoi John Kerry s'est finalement décidé à attaquer George Bush sur le seul sujet qui compte en définitive : l'invasion de l'Irak, avec ses terribles conséquences, n'était pas indispensable à la lutte contre le terrorisme.
Jusqu'à présent, l'électorat boudait le candidat démocrate parce qu'il le connaissait mal et hésitait à troquer un président qu'il perçoit comme ferme et décidé à se battre, contre un homme qui, pour s'être battu courageusement autrefois, n'en a pas moins commenté avec virulence l'engagement des Etats-Unis au Vietnam.
Et s'il s'est trouvé des militaires, et même de hauts gradés, pour le calomnier, ce n'est pas parce qu'ils doutaient de son courage, mais parce que la condamnation de toute guerre décidée par l'Amérique leur apparaît comme une trahison.
M. Bush, qui est un ancien planqué, ne manque pas de répéter que toute manifestation d'opposition à « sa » guerre en Irak est « unamerican », mot que l'on peut traduire par « dégénérée ».
Le dénommé Zarqaoui est sans doute un as pour fabriquer des videos d'épouvante, mais il n'est pas assez compétent en politique intérieure américaine pour dire ce qui va se passer dans les semaines qui viennent, pour la bonne raison que personne ne se risque à faire un pronostic : on ne sait pas si le volcan irakien va nuire à Bush ou à Kerry, si les électeurs vont s'accrocher à l'homme très imparfait qu'ils connaissent bien ou s'ils vont réaliser qu'il y a du Tartarin chez cet homme-là, plus généreux en mots qu'en actes concrets.
Manque de moyens.
S'ils écoutaient le candidat démocrate au contraire, ils finiraient par comprendre que, en dépit des sommes folles que Bush a dépensées, il n'a pas les moyens, en hommes et en matériels, de battre ses ennemis sur le terrain.
PERSONNE NE PEUT DIRE SI KERRY NE CONTINUERA PAS LA GUERRE OU SI BUSH NE LA TERMINERA PAS
La question ne porte d'ailleurs pas sur le vainqueur de l'élection présidentielle américaine mais sur ce que doit faire le prochain président des Etats-Unis. Et c'est d'ailleurs ce qui complique la tâche de M. Kerry : quand il dit, en somme, que l'invasion de l'Irak n'en valait pas la peine, il donne aussi le sentiment qu'il souhaite mettre un terme à la guerre, abandonner les Irakiens à leur sort et prendre la poudre d'escampette. C'est ce qui s'est passé au Vietnam et cela s'appelle une défaite. Il n'est pas sûr du tout que les Américains, en dépit de l'horreur irakienne, soient mûrs pour une défaite.
Qu'il s'agisse de Bush ou de Kerry, la vraie question portera sur les voies et les moyens d'une victoire en Irak. Elle est possible, elle coûterait cher, elle nous débarrasserait quand même de quelques monstres, mais elle n'aurait pas de prix : ce sont la stature géopolitique de l'Amérique et son rôle de superpuissance qui sont en question.
Une révision déchirante ?
Personne ne peut dire aujourd'hui que M. Kerry, s'il était élu et en dépit de son passé de militant anti-guerre du Vietnam, procédera à une révision aussi déchirante. Personne ne peut dire aujourd'hui que sa réélection transformera M. Bush en colombe. En outre, une liquidation hâtive du conflit constituerait une invitation à tous les terroristes du monde à sévir encore plus. Il n'est pas sûr que le peuple américain, effectivement divisé à l'heure actuelle, ne retrouve pas, face à d'ignobles atrocités, une forme d'unité belliqueuse.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature