L E président George W. Bush arrive aujourd'hui en Europe où il assistera notamment au sommet de l'OTAN à Bruxelles et au sommet des Quinze à Göteborg (Suède). Ce voyage est la première occasion pour le nouveau président des Etats-Unis (qui, auparavant, n'a fait que de très rares séjours à l'étranger) pour réaffirmer le leadership américain.
M. Bush s'efforce de conduire une politique volontariste, inspirée de la « révolution reaganienne ». Il milite pour une réduction des interventions du gouvernement fédéral dans la vie économique et sociale et souhaite renforcer la suprématie militaire de son pays. Son secrétaire à la Défense, Ronald Rumsfeld, vient de confirmer le projet américain de missiles antimissiles qui inquiète à la fois les Russes et les Européens. M. Bush n'a donc pas renoncé à un projet qui divise les Occidentaux et comporte un risque de retour à la guerre froide.
Les idées et les moyens
Néanmoins, M. Bush a compris ces dernières semaines qu'il ne suffit pas d'arriver au pouvoir avec des idées de changement. Encore faut-il avoir les moyens de les appliquer. Sur plusieurs dossiers très importants, il s'est aperçu soit que son point de vue était inapplicable, soit qu'il devait en négocier l'application, d'abord avec les parlementaires américains, ensuite avec les alliés des Etats-Unis, et surtout qu'il devait éviter les « dommages collatéraux » qu'entraîne un nouveau programme.
M. Bush a remporté un succès en faisant adopter par le Congrès une loi qui réduit massivement les impôts sur une période de dix ans. Il a aussi essuyé une défaite avec le basculement de la majorité du Sénat à la suite de la défection d'un sénateur républicain. Or c'est le Sénat qui approuve ou non la politique extérieure du président. Et c'est au Sénat que se trouve une majorité hostile aux missiles antimissiles.
M. Bush estime que le traité ABM de 1972, qui lui interdit d'acquérir un avantage stratégique en matière de défense antimissiles, est caduc. Mais il ne peut pas effacer le traité unilatéralement ; il doit négocier avec Moscou, s'il veut rester dans le droit international.
A ce jour, les essais de défense contre les missiles balistiques ont tous échoué. Le président américain est donc dans une position étrange : il doit défendre un système dont personne ne sait s'il fonctionnera un jour et il doit en négocier la création avec des interlocuteurs qui n'en veulent pas. M. Bush a exposé ses motivations, centrées pour la plupart sur le danger que font courir aux Etats-Unis et à l'Europe les programmes nucléaires des Etats dits voyous : la Corée du Nord, l'Irak et l'Iran. Sans compter l'Inde et le Pakistan, qui disposent de l'arme nucléaire, mais ne constituent pas une menace pour des pays situés hors d'Asie.
Un président proche des militaires
Au Congrès, on attribue plutôt l'entêtement de M. Bush à ses liens avec un complexe militaro-industriel qui n'a jamais désarmé, même pendant les deux mandats de Bill Clinton. Le nouveau président a déjà augmenté le budget du Pentagone et nombre de parlementaires le soupçonnent de renvoyer l'ascenseur aux chefs de très grandes entreprises qui ont largement alimenté sa cagnotte électorale et entendent bien, aujourd'hui, toucher les dividendes de leur investissement.
Les interlocuteurs européens ne manqueront pas de souligner les difficultés technologiques, budgétaires et diplomatiques auxquelles se heurte M. Bush. Mais ils savent aussi qu'il a déjà intégré leurs objections ou plutôt qu'il les a écartées d'un revers de la main : les Etats-Unis sont souverains, donc libres d'élaborer leur politique. La discussion doit commencer sur la base du fait accompli. Pour dorer la pilule, le chef de l'exécutif américain s'est déclaré prêt à étendre la défense contre toute agression nucléaire à l'Europe et à la Russie. Il se charge des relations avec la Chine ; il se charge aussi du Congrès.
Il est peu probable, dans ces conditions, que les rencontres de Bruxelles et de Göteborg aboutissent à un retrait du projet. Tout ce que les Européens peuvent faire, c'est de tenter de faire en sorte qu'il soit conforme à leurs propres intérêts et qu'il obtienne l'approbation de Vladimir Poutine, après une négociation russo-américaine. La tâche ne sera pas facile.
Danger pour les Balkans
Elle sera tout aussi rude en ce qui concerne l'OTAN et la présence des forces américaines en Europe. M. Bush exige, bien plus que Bill Clinton, une réduction du contingent américain, principalement dans les Balkans qui, en réalité, auraient plutôt besoin d'un accroissement des effectifs militaires internationaux, pour maintenir la paix en Bosnie et au Kosovo, et empêcher la guerre en Macédoine. Mais, dans cette affaire, M. Bush dispose d'un argument convaincant : l'insuffisance de l'engagement européen dans les Balkans est notoire. C'est une simple affaire de gros sous : l'Union européenne ne s'est pas encore donné les moyens d'entretenir une force internationale capable de pacifier les points chauds du continent. M. Bush demande donc que les Européens prennent le relais des Etats-Unis.
Sur le Proche-Orient, le ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, vient de déclarer que les positions européenne et américaine sont très proches, pour ne pas dire identiques. L'Europe en général et la France en particulier ont cependant un parti pris propalestinien alors que les Etats-Unis, en dépit de l'élection de M. Bush, restent plutôt favorables à Israël. Ce qui unit les deux continents dans ce dossier diplomatique, c'est le risque de guerre, que ne souhaitent ni les Etats-Unis ni l'Europe (et encore moins les pays arabes dits modérés). Quelles que soient leurs préférences, les Occidentaux n'ont pas manqué de constater que, depuis environ quinze jours, Ariel Sharon a mis en uvre un cessez-le-feu unilatéral qui est parfois violé mais qui traduit une retenue que personne n'attendait de M. Sharon. Mais ils savent aussi que le prochain attentat palestinien entraînera des représailles israéliennes d'autant plus dures que le jugement de l'opinion internationale s'est inversé récemment en faveur d'Israël. Comme d'habitude, le Proche-Orient est un baril de poudre ; il a contraint M. Bush qui, pratiquement, aurait voulu s'en désintéresser, à exercer des pressions sur les deux belligérants, à nommer un médiateur américain et à s'engager dans la recherche d'une solution négociée. Il était facile de dénoncer le zèle diplomatique de Bill Clinton, il est beaucoup moins facile d'ignorer une crise qui menace directement les intérêts américains.
Un manque de curiosité
C'est le problème central de George W. Bush. Il n'a pas beaucoup de curiosité pour les affaires du monde, au point qu'il réagit à un début de crise avec nonchalance, comme on l'a vu avec l'affaire de l'avion-espion américain qui a atterri en Chine. Mais, comme on l'a vu aussi dans cette affaire, M. Bush est amené à réagir lorsque la crise est grave, et à la traiter dans l'urgence.
Ancien gouverneur d'un Etat du Sud, comme Bill Clinton, George W. Bush a un caractère et une formation complètement différents de ceux de son prédécesseur.
Il arrive en Europe avec un bagage culturel tellement léger qu'il devait ignorer le nom de Göteborg il y a quinze jours ; il n'est pas, c'est clair, très intéressé par des gens qui ne sont ni des électeurs ni des bailleurs de fonds électoraux. Il croit à un bonheur des Américains repliés sur leur vaste territoire. Il serait sûrement isolationniste si la puissance américaine n'apparaissait pas essentiellement dans l'influence qu'elle exerce sur le monde.
Enfin et surtout, il n'a aucune curiosité pour les expériences et les modes de vie étrangers. Il ne croit pas qu'on puisse éprouver un plus grand plaisir que de passer un week-end dans un ranch du Texas, ou qu'on puisse être mieux loti qu'un Américain, ou que l'Amérique puisse prendre des leçons à l'étranger. Cette certitude sans failles n'est pas tout à fait ridicule : les électeurs qui l'ont placé au pouvoir s'identifient à ce credo. Mais elle n'arrange pas les affaires entre le Vieux Continent et le Nouveau Monde.
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