De notre correspondant
Nommé surgeon general, ou ministre de la Santé, par Bill Clinton, le Dr David Satcher quitte ses fonctions. Sa conception de la médecine préventive et sociale ne risquait pas d'être du goût du conservateur George W. Bush.
Le Dr Satcher, un Noir du Tennessee, s'est spécialisé, à l'université Meharry, dans la prévention de la grossesse des adolescentes. Quand il a été nommé surgeon general, il n'a pas hésité à tenir aux Américains un langage qui les dérangeait. Il n'est pas prouvé, affirmait-il, que, en prêchant l'abstinence (comme le préconise la nouvelle administration), on réduise le nombre des MST et des grossesses indésirables. Il n'est pas anormal de fournir délibérément des aiguilles propres aux toxicomanes. Et la société américaine devrait accepter l'homosexualité chez les hommes comme chez les femmes. Après le départ de Bill Clinton, le Dr Satcher a publié un rapport sur la « santé sexuelle » qui a été dénoncé par un porte-parole de la Maison-Blanche. Ce qui n'a pas découragé le Dr Satcher. « Quand on occupe ce genre de fonctions, on doit être préparé à recevoir des coups de la Maison-Blanche », déclare-t-il au « Quotidien » dans un entretien téléphonique.
Il sait très bien où la science s'arrête et où la politique commence. « Lorsque je dis que la toxicomanie est un problème médical, je m'appuie sur des faits scientifiques incontestables. Cela signifie-t-il que le Congrès va aussitôt réagir en adoptant une loi pour tenir compte de ce que je dis ? Les gens sont plus à l'aise quand il s'agit de mettre des drogués en prison qu'ils ne le sont pour financer des programmes de traitement et de prévention. »
L'ancien ministre (M. Bush lui cherche un successeur) est fier d'avoir commenté des problèmes politiquement dangereux, comme la sexualité, le suicide et les maladies mentales. Quand les données scientifiques sont précises et vérifiées, il n'y a aucune raison, dit-il, de prétendre qu'il n'existe pas de solution à un problème. Une honnêteté élémentaire doit conduire le ministre de la Santé à s'exprimer en s'appuyant sur des arguments scientifiques. Mais il est plus difficile de se prononcer lorsqu'on n'est pas informé. Dans la crise provoquée par les attaques au bacille du charbon, le Dr Satcher reconnaît qu'il n'avait pas toutes les réponses, à la fois sur les origines des attaques et sur les moyens de les circonscrire.
En revanche, l'affaire du charbon a donné lieu à des rumeurs extravagantes et à de la désinformation. « Il y a eu de la panique, de la confusion, de l'inquiétude dans le public. Je me suis décidé à parler, même si c'était pour dire que je ne savais pas tout, que j'étais en train d'apprendre comme d'autres médecins, chercheurs ou experts. »
Le Dr Satcher a été nommé trois ans après le départ de son prédécesseur, Jocelyne Elders, qui a dû démissionner parce qu'elle avait scandalisé l'Amérique en proposant aux adolescents de se masturber plutôt que de courir le risque d'avoir un enfant ou de contracter une MST. Même le libéral Clinton avait dû se séparer d'elle ; de même qu'il a décidé d'interdire le financement fédéral d'un programme d'échanges de seringues pour les toxicomanes que le Dr Satcher avait lancé.
« Et pourtant, j'avais raison, dit-il. Toutes les études que nous avons faites démontrent que l'accès à des seringues propres n'encourage pas la toxicomanie. Simplement, le président Clinton a estimé que mon idée envoyait à la population un message dangereux. »
« L'idéal, ajoute-t-il, c'est qu'un jour le surgeon general ne parle plus au nom du gouvernement mais au nom de ses convictions appuyées sur des données scientifiques. »
Une chose est sûre : si le Dr Satcher avait déjà des problèmes avec l'administration Clinton, il ne risquait pas d'être laissé à son poste par l'administration Bush.
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