Ce n'est sûrement pas au moment où les forces anglo-américaines sont engagées dans des combats meurtriers (il est clair que le bilan sera lourd à la fin de la guerre) qu'il faut se jeter sur George W. Bush et Tony Blair pour leur réclamer des comptes. Les opinions publiques américaine et anglaise qui, d'emblée, étaient partagées au sujet de l'invasion de l'Irak, l'ont d'ailleurs compris : dans leur majorité, sinon leur unanimité, elles font bloc autour de leurs dirigeants.
Le Premier ministre britannique nous semble d'ailleurs beaucoup moins critiquable que le président américain. L'attitude adoptée par Tony Blair a été constamment dominée par la solidarité, atlantique et historique, qu'entretiennent Britanniques et Américains. M. Blair n'a pas voulu qu'une faille se creuse entre deux peuples qui ont en commun le choix passionné de la démocratie et un certain modèle de développement. Il a pris des risques politiques énormes, mais il a su, grâce à son art personnel de la communication, rassembler autour de lui bon nombre d'élus et de concitoyens.
Postulats erronés
On aurait d'ailleurs souhaité que cette solidarité, qui n'empêche pas le rejet de la guerre, fût également exprimée sur le continent.
En revanche, la vitesse avec laquelle les postulats énoncés par le président des Etats-Unis ont été démentis suffit à démontrer l'imposture qu'ils contenaient.
Les alliés devaient être accueillis en « libérateurs », ce n'est pas vrai ; Saddam Hussein était une menace pour le monde, ce n'est pas encore prouvé ; l'Amérique disposait d'une vaste coalition, c'est faux, puisque même la Turquie lui aura manqué, geste de défi qu'elle paiera cher ; les armes américaines étaient tellement sophistiquées qu'on assisterait à un blitzkrieg, mais en fait elles sont impuissantes dans les villes.
Le problème ne vient pas de ce que les Etats-Unis rencontrent des difficultés sur le terrain, il vient de la distance infinie qui sépare les déclarations officielles et la réalité des faits. MM. Bush et Rumsfeld semblaient si sûrs d'eux qu'on imaginait qu'ils disposaient d'atouts secrets : technologies encore inconnues ou renseignements d'une qualité exceptionnelle. En réalité, ils n'avaient pour eux que leur arrogance.
Qu'ils gouvernent au mépris d'une opinion mondiale qui ne vote pas aux Etats-Unis mais avec le soutien du Congrès, au mépris de Saddam, au mépris de l'armée irakienne, passe encore ; car le régime de Bagdad ne mérite pas notre considération ; et si la France l'avait plus souvent rappelé pendant sa campagne diplomatique contre les Etats-Unis, son message aurait été plus valable. Mais que Bush, Rumsfeld, Cheney et consorts envoient à la mort ou dans les geôles irakiennes des jeunes gens, anglais ou américains, au nom de « leur vision du monde » est inacceptable.
Dans la combativité des Irakiens, qu'est-ce qui peut surprendre les gouvernants américains ? Qu'ils utilisent les méthodes classiques de la guérilla et du terrorisme, quoi de plus naturel face à une armada censée tout broyer sur son passage ? Pourquoi Saddam devrait-il respecter les « règles » de la guerre (il n'y en a jamais eu) dès lors qu'il joue sa vie, lui qui se prend pour l'empereur moderne de la Mésopotamie ? Qu'est-ce qui n'a pas été accompli mille fois au Proche-Orient, parfois contre des gens qui ne demandaient qu'à vivre et qui n'allait pas être fait, cette fois contre un envahisseur ?
Et enfin, si le projet consistait à établir en Irak une démocratie qui aurait contaminé le reste de la région, eh bien, il a chaque jour de moins en moins de chances d'être réalisé. La diplomatie américaine est déjà en échec : il est plus probable qu'au lendemain de la guerre un gouvernement irakien, qui comprendra toutes les tendances et ethnies sera constitué et que l'éventuelle mission d'un gouverneur militaire américaine ne durera pas plus de trois mois. C'est, de toute façon, préférable : les Irakiens ont encore moins de sympathie pour Bush que pour Saddam.
Tout cela ne signifie que la guerre commencée ne sera pas achevée. Mais la résistance irakienne sera nécessairement écrasée par une pression militaire plus forte ; le harcèlement des paramilitaires irakiens, les soldats déguisés en civils, les coups de main contre les Anglo-Américains qui s'occupent de la logistique, la diffusion d'images humiliantes conduiront les envahisseurs à ne pas faire de quartier. Les Américains n'ont pas manqué de courage qui ont traversé Nassariyah et franchi deux ponts sur l'Euphrate sous le feu nourri de l'ennemi. Le fait est que 4 000 Américains ont ouvert la voie vers Bagdad, qu'Oum Qasr est sécurisée, Bassorah affamée et privée d'eau et que les considérations humanitaires céderont le pas à l'usage croissant de la force.
Jusqu'au dernier des Irakiens
Saddam Hussein, vivant et en bonne santé, se battra jusqu'au dernier des Irakiens. Et les Anglo-Américains n'auront plus alors que le choix entre l'enfer infligé à un peuple et le risque de perdre encore plus de soldats. Inutile de dire que le choix sera vite fait.
Mais moins les prédictions de Rumsfeld se vérifient et plus la solution politique sera compliquée. La hâte avec laquelle les alliés foncent vers Bagdad montre bien la nature du dilemme. Les Américains espèrent encore que le jour même où Saddam sera pris ou tué, le peuple irakien les acclamera. La guerre, pour le moment, ne prend pas cette tournure. Dans moins de deux ans, les Américains voteront. Ils feraient mieux d'élire quelqu'un dans le genre de Clinton.
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