D ANS le débat très vif qui oppose tenants et adversaires de la vaccination du bétail contre Brucella melitensis, les divergences procèdent du même constat : en France, la maladie, qui, dans les années soixante-dix, était enzootique, est aujourd'hui parfaitement maîtrisée. Sa prévalence n'excède pas 0,5 % des troupeaux et, chez l'homme, 49 cas seulement ont été déclarés pour l'année dernière.
Une enzootie tenace et rebelle
Pour autant, peut-on, à ce stade, parler d'éradication de la bactérie ? Oui, assurent les partisans de l'arrêt de la vaccination, dès cette année, en Languedoc-Roussillon, et un peu plus tard, en Provence-Alpes-Côte d'Azur ; ainsi, font-ils valoir, la France pourrait-elle se prévaloir de la certification « indemne de la maladie », rejoignant le petit club très fermé que constituent à ce jour quatorze pays dans le monde*.
Pas du tout, rétorquent les opposants à la nouvelle réglementation, qui préviennent que l' « arrêt vaccinal trop précoce aboutirait à perdre le bénéfice de 25 ans de travail » (voir encadré). La brucellose, explique Yves Cornille, vétérinaire en PACA, est « une enzootie tenace et rebelle, particulièrement lorsque l'élevage est fondé sur la transhumance, économiquement incontournable. Il ne faut jamais baisser trop tôt la garde et crier victoire ».
Médecins, vétérinaires, biologistes, scientifiques de divers horizons, ils ont donc décidé de créer leur comité, intitulé « Comité brucellose méditerranéenne », pour tenter de fléchir les deux ministres concernés, Jean Glavany, à l'Agriculture, et Bernard Kouchner, à la Santé.
« Nous, écrivent-ils, résidant dans ces zones à risque, savons pertinemment que, depuis un peu moins de vingt ans, le recours à un vaccin efficace et peu coûteux pratiqué sur toutes les agnelles de renouvellement des troupeaux transhumants dans les montagnes méditerranéennes a pour ainsi dire éliminé l'épizootie (...) En préservant ces troupeaux nomades, nous avons du même coup protégé de l'endémie brucellique tout le pourtour méditerranéen, dont les montagnes sèches, les piémonts et les callées permettent l'existence et le développement de multiples élevages (ovins aux races souvent rustiques qui se mélangent l'été dans les estives d'altitude et qui voisinent avec des élevages sédentaires de bovins ou de caprins laitiers à production fromagère de qualité l'AOC Pélardon). »
Justifiable ni scientifiquement, ni politiquement
« Messieurs les ministres, apostrophent les signataires, de même que vous aviez cru la fièvre aphteuse éradiquée, croyez-vous, aujourd'hui, que la brucellose n'est plus qu'un mauvais souvenir ? (...) Cet arrêt exigé de la vaccination n'étant justifiable ni scientifiquement, ni politiquement, pourquoi préférez-vous à une politique de prévention et de maîtrise des risques, qui a largement fait ses preuves, une politique d'éradication fondée sur une alternative purement kafkaïenne : un troupeau, s'il n'est pas indemne de brucellose et sédentaire, est un troupeau mort ? »
Le Dr Christian Flaissier, l'une des chevilles ouvrières du comité, urgentiste à Lassalle (Gard) et conseiller général, a été reçu avec une délégation par un responsable de la direction générale de la Santé (DGS), le 18 avril dernier. « Mais, rapporte-t-il au « Quotidien », notre interlocuteur nous a surtout invités à balayer devant notre porte, en déplorant que les médecins négligent leur travail d'épidémiologistes de terrain en ne déclarant pas les maladies à déclaration obligatoire, telle la brucellose. D'où l'urgence de l'élaboration du futur réseau d'épidémiosurveillance régional qui va être bientôt mis sur pied. »
Surtout, la DGS se retranche derrière le fait que, malgré sa composante santé humaine, le dossier reste piloté par la seule direction générale de l'Alimentation (DGAL), au ministère de l'Agriculture.
Cependant qu'au cabinet du ministre Jean Glavany, on dément catégoriquement tout projet visant à limiter la politique vaccinale, dans quelque département ou région que ce soit.
L'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA), enfin, suit l'évolution des données épidémiologiques, dans le cadre des réunions interrégionales organisées chaque année. La dernière en date s'est tenue à la mi-avril. Certaines directions de services vétérinaires (DSV), comme celles de Lozère ou de l'Hérault, y ont affiché leur volonté de cesser la vaccination. Mais aucune décision n'a été arrêtée. Le combat entre adversaires et partisans du vaccin a encore de beaux jours devant lui.
* Norvège, Suède, Finlande, Danemark, Allemagne, Suisse, Autriche, Iles Britanniques, Canada, Japon, Australie, Nouvelle-Zélande et Guyane française.
La longue marche de l'éradication
Jusque dans les années soixante-dix, la brucellose était considérée comme une fatalité qui frappait tout « bon berger ». En 1972, une enquête sérologique démontra le haut niveau d'infection ovin, très supérieur au taux bovin, dans les régions PACA et Languedoc-Roussillon.
La prophylaxie sanitaire par abattage fut alors abandonnée, car elle aurait conduit à supprimer de 30 à 40 % du cheptel ovin. Un premier vaccin fut alors élaboré (Aborstop ND), mais il présentait deux inconvénients majeurs : des réactions inflammatoires locales et la nécessité d'une seconde injection l'année suivante. Petit à petit, la prophylaxie médicale, fondée sur la vaccination systématique, se développa cependant en secteur de montagne et s'étendit à tous les départements touchés par l'épizootie. Les résultats, après cinq à huit ans, furent tangibles, entraînant une régression du nombre d'avortements brucelliques déclarés.
En 1981, un nouveau vaccin, le Rev 1, apporta une amélioration sensible en ne nécessitant plus qu'une seule injection sur les jeunes ovins impubères. En 1984, l'usage par voie conjonctivale de Rev 1 (sur la muqueuse de l'il) réduisit considérablement les niveaux d'anticorps détectables par les tests officiels de dépistage. La prophylaxie médico-sanitaire qui s'en est suivie a permis de ramener à moins de 0,5 % la proportion des troupeaux infectés dans les régions PACA et Languedoc-Roussillon.
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