Répondant à une demande conjointe du président de la République et du gouvernement, Alain Claeys a tenté d'éclaircir la position ambiguë de la France concernant la brevetabilité du vivant au vu du contexte mondial actuel. Rendu à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, son rapport, bien que clair, n'aura qu'une portée relative. En effet, le calendrier du Parlement n'a pas inscrit la question des brevets au rang de ses priorités. Il incombera donc au prochain gouvernement de prendre position sur cet épineux sujet.
Dans ce cas, pourquoi la survenue d'un tel rapport à ce moment précis ? « Pour répondre aux interrogations des Français, justifiées, sur les risques de marchandisation du vivant », explique Alain Claeys . Le député, également rapporteur du projet de loi bioéthique, ajoute qu'il « imaginait mal la révision de cette loi sans une observation préalable du contexte international. Il était donc logique d'étudier la brevetabilité du vivant en toile de fond. »
La légalité européenne
Force est de reconnaître que sur ce sujet, le Parlement français tarde à légiférer. Chaque Etat membre a disposé de deux ans pour traduire en droit national la directive européenne « relative à la protection des inventions biotechnologiques » (98/44). La date butoir, juillet 2000, est désormais largement dépassée, et pourtant sept pays n'ont toujours pas obtempéré : l'Autriche, la Belgique, l'Italie, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suède et, au premier rang des protestataires, l'Allemagne et la France. Raison invoquée : le refus de transcrire l'article 5 de la directive, accusé de laisser la porte ouverte à l'instauration de monopoles sur des gènes stratégiques.
En France, on en est toujours au stade du projet de loi. Ce dernier a été présenté au conseil des ministres le 31 octobre 2001. Il prévoit une transcription complète de la directive, à un détail près : le fameux article 5. Dans son rapport, Alain Claeys reconnaît que cet oubli volontaire risque de « mettre notre pays en porte-à-faux avec la légalité européenne ». En effet, est-il juridiquement acceptable de ne transposer qu'à moitié ? Le choix français, qui fait prévaloir le droit national sur le cadre européen, expose la France à une sanction de la Cour de justice des communautés européennes. Et Alain Claeys d'ajouter: « La cohérence de cette politique semble impliquer une nouvelle négociation avec la Commission (européenne) sur le texte de la directive ou au niveau international des ADPIC » (Accords sur les aspects des droits de propriété internationale liés au commerce) .
Onze recommandations
Pour aller dans ce sens, le rapporteur dresse une liste de onze recommandations. A commencer par l'organisation d'une vaste réflexion nationale, jusqu'à présent inexistante. « La question est de savoir si le vivant en général, et l'humain en particulier, doivent être considérés comme des choses appropriables ou non. » Mais le rapport ne dit pas la manière dont le débat sera porté sur la place publique. Tout au plus y apprend-on qu'une discussion devrait avoir lieu au Parlement, d'ici à quelques mois. Discussion qui, aux yeux d'Alain Claeys, « semble indispensable de façon préalable au débat de transposition de la directive 98/44/CE ».
L'Office européen en accusation
Au niveau européen, Alain Claeys propose, dans un premier temps, de transformer le groupe de conseillers pour l'éthique de la biotechnologie de la Commission en autorité indépendante. Laquelle pourrait être consultée par l'Office européen des brevets (OEB) lors du dépôt de demandes de brevet. Autre amélioration indispensable, selon Alain Claeys, le fonctionnement de l'OEB. Cette organisation intergouvernementale, qui n'appartient pas à l'Union européenne, « n'est reliée à rien et, du coup, se retrouve en dehors de tout. C'est un électron libre à maîtriser ». Le député français n'est pas seul à critiquer l'OEB. L'octroi en 1994 d'un brevet sur une hormone, la relaxine, et sur le gène qui la code, « a déplacé la séparation entre invention et découverte », selon Alain Claeys. Elle a rendu un gène brevetable du simple fait de sa reproduction par un processus technique. Le député réfute la conception retenue par l'OEB selon laquelle un gène est assimilé à une simple molécule chimique. Conception également retenue par l'OMC, lors de la ratification des accords ADPIC à Marrakech en 1994. Un gène est forcément « autre chose », juge Alain Claeys, sans toutefois parvenir à définir la nature précise de cette « autre chose ». En conséquence, le rapporteur propose de modifier la Convention de délivrance des brevets européens (CBE), qui détermine le fonctionnement de l'OEB. « Il faut y introduire un article précisant que les séquences génétiques humaines ne sont pas brevetables en tant que telles et que la brevetabilité s'applique exclusivement aux brevets de procédés et d'application. »
Un régime spécifique de protection
Pour mettre la communauté internationale au diapason, Alain Claeys recommande par ailleurs l'introduction de cette même modification dans les ADPIC. « Il faut créer un régime spécifique de protection intellectuelle pour les biotechnologies. Et exclure de la brevetabilité les séquences génétiques humaines "en tant que telles". » Pour avaliser cette « exception du vivant », l'OMC devrait donc revoir l'article 27 des ADPIC.
Au final, le rapport d'Alain Claeys résume parfaitement le contexte difficile qui empêche la France de prendre position sur la brevetabilité du vivant. Jolie énumération de bonnes intentions. Reste à trouver comment débloquer rapidement de la situation, tant au niveau français qu'au niveau européen et international.
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