LE SUCCÈS CROISSANT de François Bayrou a ravivé les tensions au sein du Parti socialiste ; Laurent Fabius demande à Ségolène Royal de mettre la barre à gauche, toute, pour s'identifier à une alternative socio-économique forte ; Dominique Strauss-Kahn souhaite au contraire que la candidate tente de récupérer une partie des voix du centre-gauche qu'elle a abandonnées à son rival centriste.
M. Fabius semble ne pas voir que, en réclamant l'application d'une tactique qui lui a fait perdre largement la primaire socialiste, il engage la candidate dans une voie sans issue. Si le « non » au traité européen est apparu comme une victoire pour M. Fabius, il a été la première et la dernière de ses victoires. Il en a néanmoins conçu une stratégie à long terme de conquête du pouvoir. Le choix de Ségolène par le PS a donné un coup d'arrêt à son ambition ; le voilà qui revient par la brèche que le soudain affaiblissement de Mme Royal vient d'ouvrir.
Des centristes qui s'ignorent.
Il n'en tire pas la conclusion que les bayrouistes de la dernière heure sont des centristes qui s'ignorent ; il demande à la candidate d'aller chercher des électeurs là où ils ne sont plus, c'est-à-dire dans ce soubassement électoral où aucun candidat n'a pas plus de 2 ou 3 % des voix.
M. Fabius n'est donc pas convaincant et c'est pourquoi M. Strauss-Kahn ne devrait pas avoir de mal à persuader Mme Royal que son salut, s'il est encore possible, se situe dans une sorte de masse centrale, sinon centriste, qui ne sait pas vraiment ce qu'elle veut mais a décidé que François Bayrou, décidément, est bien sympathique. On comprend que le président de l'UDF soit étonné (et ému) de l'accueil qui lui a été réservé en Seine-Saint-Denis où il s'est rendu par le train et a même pu dire le prix du billet à ses nombreux interlocuteurs. Les habitants des cités, apparemment, trouvent M. Bayrou tout à fait humain, compréhensif, à l'écoute ; or Mme Royal a fait de l'écoute son arme électorale, elle a inventé la démocratie participative, elle a fait parler plus qu'elle n'a parlé. Il y a comme un défaut dans son plan.
Se peut-il que l'exposition excessive de Mme Royal aux médias ait fini par la desservir ? Faut-il penser que les révélations sur son patrimoine, ou seulement son maintien bourgeois, ou son slogan, l'« ordre juste », ou la dureté de son caractère, qu'elle a un peu de mal à cacher sous son éblouissant sourire, aient fini par lui causer du tort ? Il est vrai que M. Bayrou, sans être pauvre, ne paie pas l'ISF et que, contrairement à Mme Royal, dont le compagnon a pu dire un jour qu'il « n'aimait pas les riches », ajoutant de la sorte l'hypocrisie au sectarisme, se sent chez lui parmi les démunis, qui le perçoivent comme un des leurs. Chez les habitants des cités, en tout cas, la séduction qu'exerce M. Bayrou indique a contrario une méfiance pour la candidate socialiste.
« Part de marché ».
Quoi qu'il en soit, M. Fabius a peu de chances d'être entendu à l'intérieur de son propre camp s'il est confirmé que des tractations secrètes ont déjà eu lieu entre les lieutenants de Ségolène et ceux de François au sujet des législatives. On viserait un accord électoral qui permettrait à l'UDF de maintenir ses candidats avec le soutien du PS. Rumeur peut-être trop belle pour être vraie, mais qui décrit bien un climat fiévreux ; les corrections de trajectoire dans tous les partis doivent être mises en oeuvre d'autant plus vite que le temps commence à manquer : l'espoir que la campagne rentre dans l'ordre, par exemple si la progression de M. Bayrou n'était qu'un feu de paille, s'amenuise ; il faut du temps pour gagner une « part de marché », il en faut aussi pour la perdre.
Et Nicolas Sarkozy, que pense-t-il de tout cela ? Il ne semble pas intéressé par une incursion dans les terres du Béarnais. Il pense peut-être que le danger n'est pas imminent dans la mesure où il continue à faire la course en tête, en dépit d'un effritement des intentions de vote qu'il recueille au premier tour (il se stabilise à 28 %) ; il se dit que, si M. Bayrou arrive en force, il n'est pas certain de s'emparer de la deuxième place, car il fait jeu égal avec Mme Royal et qu'une variation d'un point de pourcentage relève de l'impondérable ; et M. Sarkozy croit dur comme fer que, face à Ségolène, il l'emportera.
Mais pas face à M. Bayrou qui, selon un sondage, battrait le candidat UMP par 55 contre 45, soit un écart de dix points ! C'est dire que, pour M. Sarkozy aussi, il y a péril en la demeure. Comment va-t-il prévenir ce nouveau danger que le harcèlement du « Canard enchaîné » ne fait qu'aggraver ? Ses dénégations n'empêcheront pas les révélations sur son ISF et les avantages qu'il a obtenus au moment de l'achat d'un appartement de le poursuivre, quels que soient ses arguments ; il peut vivre avec, mais il doit relever son score.
D'une certaine façon, celui de M. Bayrou a relégué le Front national au quatrième plan. Est-ce prématuré de l'affirmer tant que les résultats des enquêtes d'opinion ne sont pas confirmés par le scrutin lui-même ? Mais enfin, le FN est très discret cette année, on l'aurait presque oublié et la variété du choix électoral conduira peut-être une partie de son électorat à se porter vers la droite parlementaire. Ce qui explique la proposition de Nicolas Sarkozy de créer un ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale. On en a fait, à gauche et chez M. Bayrou, un sujet de scandale, campagne oblige. Mais on ne voit pas vraiment ce qu'un tel ministère changerait au sort des gens. Cette initiative apparaît plutôt comme une provocation de M. Sarkozy, une manière d'institutionnaliser la nouvelle sévérité de l'Etat à l'endroit de ceux qui « n'épousent pas nos valeurs », comme on dit aujourd'hui.
On n'a pas besoin d'être un fasciste patenté pour exiger des immigrés qu'ils accomplissent leurs devoirs et montrent leur attachement à la République qui les accueille ; il suffit que, en même temps, on les protège contre un racisme qui demeure tenace et que leurs droits, eux aussi, soient respectés, ce qui n'est pas toujours le cas.
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