Nouveau président du Leem (Les Entreprises du médicament, le syndicat patronal de l’industrie pharmaceutique), Christian Lajoux avait annoncé, en prenant ses fonctions l’été dernier, que la communication de cette organisation devrait être plus directe et plus ferme. A l’occasion de ses premiers commentaires sur la préparation du Plfss (projet de loi de financement de la Sécurité sociale) 2007 et de l’état de santé du secteur qu’il représente, il a montré qu’il tenait parole.
Le Leem, encore sous le coup du plan gouvernemental d’économies sur le médicament des années 2005-2007 – il a dans ce cadre été mis à contribution à concurrence de 3,4 milliards d’euros –, digère apparemment assez mal les projets de Xavier Bertrand pour le Plfss 2007. Poursuite du développement des génériques, Ondam (objectif national de dépenses d’assurance-maladie) sur les produits de santé négatif (– 2,6 %), taxe exceptionnelle sur les ventes directes de médicaments… Ce Plfss ne fait pas l’affaire de l’industrie pharmaceutique qui cherche à livrer un message : elle est tout à la fois le bon élève de la réforme et la mal-aimée du Plfss.
«Nous n’avons pas l’intention de nous laisser marginaliser», a indiqué d’entrée de jeu Christian Lajoux. Allusion aux risques que fait peser, selon lui, le Plfss sur la santé des entreprises du médicament : «Ce Plfss 2007 constitue un nouveau rendez-vous manqué entre l’industrie et les pouvoirs publics.» Certes, Christian Lajoux salue comme il se doit le fléchissement de la taxe (provisoire) sur les ventes de médicament, qui passe de 1,76 à 1 %. Mais «nous allons nous battre pour la faire encore baisser».
Une hypothèque sur l’avenir.
Le ton est donné, et Christian Lajoux ne va pas en changer. L’Ondam 2007 sur les produits de santé ne trouve pas grâce à ses yeux non plus : «On ne constate aucune inflexion sur les objectifs des pouvoirs publics. Avec –2,6% de croissance sur les produits de santé, la décroissance attendue du marché du médicament est de –3 à –4% pour 2007.» Pour le patron du Leem, derrière cet Ondam «arbitrairement ventilé» entre honoraires et produits de santé se cache «une volonté claire du gouvernement d’opposer les acteurs de santé, de façon à leur faire perdre la vision globale du système de santé».
Christian Lajoux a également rappelé que les entreprises du médicament faisaient déjà face, depuis l’été 2006, à une baisse historique de leurs ventes «qui déstabilise notre système de santé». Le Leem prévoit, en effet, d’arriver à la fin de 2006 à une croissance nulle des ventes de médicaments, voire à une baisse de 1 %, contre une croissance habituellement comprise entre 5 et 7 % au cours des dix dernières années. Pour Christian Lajoux, «la démarche comptable des pouvoirs publics hypothèque l’avenir», et la stagnation des ventes de médicaments constitue un «basculement qui aura des conséquences sur l’emploi, même si, aujourd’hui, c’est plus visible sur les emplois indirects. Il y a des plans sociaux en préparation». Christian Lajoux assure sur ce sujet que, selon tous les économistes de la santé, la bonne croissance du marché du médicament, «c’est la croissance du PIB, plus 2 ou 3points».
Pour le patron du Leem, cette décélération des ventes risque d’avoir une conséquence presque immédiate pour l’industrie française. Confronté comme les autres aux nécessaires besoins de rapprochements, voire de fusions, le secteur pharmaceutique français risque, selon lui, «de ne pas avoir les moyens des nécessaires adaptations. Notre fragilisation extrême, brutale et radicale, ne nous permet pas de prendre le tournant de la bataille internationale qui se déroule».
Inadmissible.
Autre point fort de l’actualité du Leem : la politique conventionnelle qui le lie aux pouvoirs publics par l’accord-cadre Etat-industrie. Le président du syndicat a indiqué à ce sujet qu’il est en ce moment en discussion avec le Ceps (Comité économique des produits de santé, qui fixe notamment les prix des médicaments), mais aussi avec l’ensemble «des acteurs de la gouvernance de la santé». Christian Lajoux affirme qu’il veut signer avec le Ceps un nouvel accord-cadre de trois ans «qui nous mette à l’abri des incohérences du système de santé. Sauf revirement du Ceps, on ne devrait pas signer un accord trop douloureux».
Le patron du Leem redoute les conséquences de la lettre d’orientation que le ministre de la Santé vient de remettre au Ceps. Selon Xavier Bertrand lui-même, il lui demanderait de rechercher «une gestion cohérente et dynamique des prix, en diminuant le prix des médicaments qui restent particulièrement coûteux dans une classe génériquée ou qui sont des contournements de génériques». L’industrie pharmaceutique a du mal à digérer cette lettre, tout comme l’association LIR (Laboratoires internationaux de recherche, qui regroupe les principaux laboratoires étrangers présents sur le sol français). «Nous sommes très préoccupés par cette recommandation», prévient Christian Lajoux, pour qui les termes de la lettre sont «inadmissibles: ce serait une atteinte à la propriété industrielle. Faire baisser les prix des médicaments innovants avant l’expiration de leur brevet ne laisserait pas le temps aux industriels de se retourner».
Soigner mieux, soigner moins.
Sur les autres sujets abordés, Christian Lajoux ne s’est pas montré moins pugnace. La supposée surconsommation française de médicaments ? Une théorie parmi d’autres, selon le patron du Leem, qui rappelle que la vision de son organisation du «soigner-mieux n’est pas le soigner-moins». Christian Lajoux reconnaît toutefois que la France est souvent dans le peloton de tête pour la consommation de médicaments avec quatre ou cinq autres grands pays développés.
En matière d’automédication, en revanche, le patron du Leem a tenu à «saluer la position du ministre de la Santé» qui se propose de la développer. Mais il rappelle que la dernière vague de déremboursement de mars 2006 «n’a pas dynamisé le marché», loin s’en faut, car les patients sont en droit de se demander quelle est la qualité réelle d’un médicament déremboursé pour service médical rendu insuffisant. Christian Lajoux propose donc à Xavier Bertrand de lancer «une grande campagne sur l’automédication».
Le patron du Leem s’est réjoui de la prochaine publication, par le ministère de la Santé, du code de bonne pratique de la FMC (formation médicale continue), négocié entre l’industrie et le ministère : «Cet accord est exigeant sur la qualité de la formation et sur la demande de transparence. Il ne s’agira donc évidemment pas pour nous de faire la promotion du médicament au cours des sessions de FMC.»
Enfin, alors que le conseil stratégique des industries de santé (Csis), mis en place par Jean-Pierre Raffarin, ne s’est toujours pas réuni, Christian Lajoux a confirmé que le Leem était «très demandeur d’une nouvelle réunion, promise pour le mois de décembre prochain».
Kervasdoué : « Ne nous trompons pas de sujet »
Quelle est la mesure du péril pour les industriels du médicament ? L’économiste Jean de Kervasdoué (1) commente avec un brin d’ironie l’inquiétude manifestée par le Leem. Sur ce dossier, « ne nous trompons pas de sujet, met-il en garde, et distinguons la question de la santé publique de celle de l’industrie ».
« En termes de santé publique, poursuit-il, on ne peut que se féliciter de la baisse de consommation du médicament observée et prônée en France. Elle est heureuse, car nous avons un volume de consommation exceptionnel dans le monde – et des pays qui consomment moitié moins que nous affichent des indicateurs de santé publique proches des nôtres. » L’autre niveau de réflexion – l’industrie – se décompose lui aussi en deux parties. « Il y a d’un côté les industriels qui – et cela concerne une bonne partie d’entre eux –, se résument aujourd’hui, pour utiliser un terme du XVIIIe siècle, à des “comptoirs” de vente. » Avec des taux de prescription de produits de santé en berne, « ceux-ci, oui, vont vendre moins et ne seront pas contents », admet Jean de Kervasdoué. Quant au second plateau de la balance, il laisse l’économiste sceptique. « Comme me confiait, se souvient-il, un patron de l’industrie il y a quelques années : “ La France, j’y fais 6 % de mes ventes, je n’y passe pas 6 % de mon temps.” Une des très grosses erreurs faites par tous les gouvernements et répétées aujourd’hui par l’industrie est de confondre politique de l’assurance-maladie et politique industrielle. Pourtant, quand des industriels font un effort de recherche, d’implantation en France, on a les moyens de les aider, via, par exemple, des crédits impôts recherche. Mais, collectivement, ces mêmes industriels pourraient se féliciter de la politique du bon usage du médicament. »
> K. P.
(1) Professeur titulaire de la chaire d’économie et de gestion des services de santé au Conservatoire national des arts et métiers.
Sur le Plfss 2007 : voir aussi notre Dossier web du 28/09/06
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