ARTS
Né en Suisse (1827), mort en Italie (1901), Böcklin traverse en solitaire un XIXe siècle tourmenté par les conflits politiques et militaires, les secousses sociales, la montée progressive du doute face aux valeurs artistiques jusqu'alors reconnues. Il ne participe à aucun combat mais sa curiosité le conduit à voyager, à travers cette Europe qui se forme. Il sera tour à tour à Bâle, Weimar, Munich, mais surtout dans cette Italie qui le fascine et où il situe sa vision idéaliste d'un monde où la mythologie gréco-latine retrouve un sens nouveau, revivifié.
Inclassable, on le situera, pour simplifier, du côté du symbolisme, encore qu'il n'est pas non plus éloigné d'une tradition germanique et romantique. Ce sont les surréalistes, dont Chirico et Max Ernst, qui vont le redécouvrir et lui donner sa véritable place. Comme incitateur de rêve et visionnaire absolu. Faute de pouvoir refaire le monde, comme le voudront les surréalistes, il en ignore la part médiocre et réinvente une sorte d'âge d'or où hommes, bêtes et plantes vivent dans une totale harmonie. Même la mort se transforme en une sorte de ritualisation où l'ordre d'un monde mystérieux mais palpable dans sa peinture, s'organise dans une sorte de grandeur où la désolation s'équilibre avec le cadre qui la métamorphose.
Son compatriote Félix Vallotton pourra, dans la « Revue Blanche » qui ne l'ignorait pas, préciser que pour Böcklin « peindre est une tâche d'élection ».
Un idéal de grandeur et d'harmonie
Cette ambition sera le nerf de cette guerre solitaire, tenace et éprouvante dans laquelle tout peintre s'engage s'il veut laisser une uvre forte, propre à renouveler notre vision du monde, à nous en offrir des pages exemplaires et susceptibles de nourrir notre méditation. Car la peinture de Böcklin s'éprouve moins à l'aune d'une prétendue qualité picturale qu'elle a d'évidence, qu'à son contenu relevant de la philosophie ou de la poésie, d'une forme de pensée capable de s'arracher aux contingences du quotidien.
Faiseur d'images sublimantes, étayées par une grande culture littéraire, un savoir faire technique irréprochable, Böcklin utilise la peinture comme médiatrice d'une pensée obstinée illuminée par une sorte d'idéal de grandeur et d'harmonie, défiant la montée de la modernité qui bouleverse ses contemporains. S'il n'a pas l'humour acerbe d'un de ses équivalents dans l'ordre du surréalisme (Magritte), il a un sens particulièrement vif de l'atmosphère qu'il distille avec un raffinement exigeant. L'insolite naît d'un détail, parfois d'une situation, d'une mise en scène qui fait basculer la réalité dans les vertiges de l'onirisme cher aux surréalistes. C'est là qu'il annonce un certain sens du mystère développé chez Chirico.
Tout au plus laisse-t-il percer un ton dédaigneux, voire ironique, vis-à-vis de la société de son temps, mobilisée par l'appât du gain, par ce qui deviendra l'obsession de la consommation. Sans férocité, sans violence, il invente un monde en totale contradiction avec les aspirations de la bourgeoisie de son temps. Révolutionnaire par sa manière, moins hautaine que vaguement dédaigneuse, de défier la réalité tout en s'appuyant sur ses données naturalistes.
Devant une toile de Böcklin on se prend à rêver, ce qui n'est pas le moindre des mérites d'une peinture au « clavier bien tempéré ».
Musée d'Orsay, jusqu'au 13 janvier, tous les jours, sauf le lundi, de 10 h à 18 h, le jeudi de 10 h à 21 h 45. Entrée 45 F donnant accès aux collections permanentes du musée. Un catalogue édité par la RMN. En marge de l'exposition Böcklin, et comme un prolongement, l'exposition Klinger/Brahms illustre les rapports peinture-musique où le peintre, sculpteur, graveur et écrivain allemand Max Klinger offre un contrepoint saisissant à l'uvre du musicien. Un ensemble de manuscrits et documents sur Brahms complète savamment la démonstration.
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