LA BIRMANIE (aujourd'hui appelée Myanmar) est à la fois un cas particulier et un cas classique. Particulier, parce que, dans ce pays, dont le peuple est profondément non violent, sévit depuis quarante-cinq ans une dictature militaire, un record de longévité remarquable. Classique, parce que, en dépit de la spécificité birmane, qui est unique, on observe des comportements que l'on retrouve dans les nations que gouvernent des généraux.
La junte militaire birmane, c'est un peu Augusto Pinochet qui aurait réussi au-delà de toute probabilité et se serait maintenu au pouvoir jusqu'à sa mort. On a là les ingrédients habituels de l'autoritarisme : une corruption qui serait l'une des plus répandues du monde, une gestion tellement catastrophique que, malgré les richesses naturelles dont il dispose, le peuple birman est dans une misère noire, une brutalité des dirigeants qui, après quelques semaines de tolérance, ont réprimé les manifestants : on ne voit pas du tout ce qui pourrait contraindre les généraux à partir, sinon une intervention de l'extérieur.
La mafia au pouvoir.
En outre, l'appareil hiérarchique de l'armée gouverne depuis assez longtemps pour que les généraux ne connaissent plus de limites : leur enrichissement personnel, comparé aux difficultés économiques de la population, relève de la provocation pure et simple. C'est un peu comme si la mafia gouvernait l'Italie : non seulement les militaires veulent conserver le pouvoir quel qu'en soit le prix, mais ils ne cachent même plus que, loin de préserver l'ordre social, ils protègent leurs immenses privilèges. Ils ne sont au pouvoir ni pour appliquer une politique, ni parce qu'ils nourrissent un dessein particulier, mais parce que c'est au pouvoir qu'ils auront le plus d'argent.
LE MONDE NE FERA RIEN CONTRE LA DICTATURE MILITAIRE
Il y a bien un gouvernement en exil, présidé par le Dr Sein Win, qui se trouvait tout récemment à Paris. Il y a bien cette extraordinaire figure de la résistance, Aung San Suu Kyi, fille de celui qui a fondé la nation birmane et elle-même prix Nobel de la paix, enfermée presque continuellement depuis dix-sept ans et dont la famille vit en Grande-Bretagne. La passion de la non-violence dans l'opposition démocratique biaise le rapport de forces : les généraux ont les armes, les résistants n'ont que leur voix et leur corps. Il est impossible d'observer la scène birmane, de se référer à ce demi-siècle de dictature, de se souvenir que les généraux ont tout simplement ignoré en 1990 un résultat électoral qui accordait 396 sièges (sur 485) à la Ligue nationale pour la démocratie, ou qu'ils ont déjà écrasé une révolte en 1988, sans faire une évaluation pessimiste de la crise actuelle.
La Birmanie cumule tous les travers de la dictature : c'est l'Argentine de Pinochet, mais aussi l'Algérie de 1991, où des élections favorables aux islamistes ont été suivies d'un coup d'Etat, ou encore l'Albanie d'Enver Hoxha : un pays entièrement replié sur lui-même, totalement indifférent au monde et où le confort d'un tout petit nombre s'appuie sur la pauvreté de tous les autres.
Bref, les dictatures de droite ne valent guère mieux que les dictatures communistes, et le totalitarisme, quelle que soit son inspiration, continue à faire des ravages en 2007.
Impuissance du monde.
Et nous, que faisons-nous ? Rien. Si nous ne sommes pas allés au Darfour pour mettre un terme au génocide, nous ne risquons pas d'aller en Birmanie. Les Etats-Unis condamnent le régime et n'y sont pas engagés économiquement. Il faudrait accroître les sanctions contre le régime militaire, mais la Chine, qui ne voit «aucun danger de déstabilisation en Asie du Sud-Est», oppose son veto à toute résolution du Conseil de sécurité de l'ONU.
Cela veut dire que le peuple birman est livré à lui-même et que le monde lui suggère de faire tout seul sa révolution contre des chars et des canons.
Les bons connaisseurs de la Birmanie expliquent que le rôle des moines bouddhistes est central et qu'une répression par les armes de ces personnages sacrés déclencherait une révolution. Et que, en conséquence, l'armée essaiera de jouer l'usure. Cependant, elle a déjà tiré sur la foule, on compte des morts, et les bonzes manifestent tous les jours. Il est bien improbable que les personnages cyniques qui occupent le pouvoir adopteront la subtile analyse en vertu de laquelle on ne peut pas toucher au cheveu d'un moine.
Le bilan est accablant : le droit d'ingérence a reculé de manière considérable sur tous les fronts du monde, en partie parce que l'intervention américaine en Irak en a abusé, en partie parce que les guerres d'Irak et d'Afghanistan n'ont pas établi des démocraties durables, en partie parce que l'Irak, l'Afrique, les Balkans, la Somalie semblent avoir épuisé toute l'énergie des démocraties et, avec elle, leur foi dans la justice. Il n'est pas aisé de préconiser l'intervention au nom du droit d'ingérence quand elle ne suffit ni à la pacification du pays concerné ni à l'instauration d'un système libre. Le cas birman est de ce point de vue affreusement conforme à l'histoire : c'est la liberté qu'on refuse à un peuple. Et il ne pourra la conquérir, malgré son goût prononcé pour la non-violence, qu'en se sacrifiant. Car, selon toute vraisemblance, il n'y aura personne pour lui venir réellement en aide.
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