Lundi 15 octobre, 12 h 45. Le téléphone sonne chez le Dr François Bossi, au service des maladies infectieuses de la Pitié-Salpêtrière. C'est le patron des urgences qui signale l'arrivée de personnes ayant été en contact avec des poudres blanches suspectes. Les premières. « Ce jour-là, elles seront 36 à être convoyées par les sapeurs-pompiers et le SAMU, raconte le chef de clinique. Immédiatement, il nous a fallu libérer des chambres pour 12 d'entre elles. En une heure, les patients qui les occupaient, tous parfaitement coopératifs, étaient transférés dans d'autres services. »
C'est ainsi qu'en un tournemain, la salle Pasteur, au troisième étage du pavillon Laveran, se trouvait transformée en local
« strictement réservé au plan Biotox », pour reprendre les termes des affichettes encore apposées sur la double porte. Chaque jour de la semaine, une centaine de cas suspects (puisqu'on ne peut pas parler de patients) vont les franchir. Aucune nouvelle hospitalisation ne sera décidée à partir du mardi 16.
« Mieux valait prendre des mesures initiales très fermes, quitte à les assouplir dans un second temps, plutôt qu'à l'inverse être d'abord laxiste et se raviser trop tard », commente le Pr Bricaire.
Le chef de service affirme qu'il n'a pas été pris au dépourvu.
« Cela faisait un an que nous élaborions un plan de prise en charge des victimes d'actions terroristes en infectiologie, explique-t-il au "Quotidien".
Un travail réalisé avec la participation d'un microbiologiste lillois et de trois infectiologues (deux parisiens et un lyonnais) dans le cadre de diverses réunions interministérielles (Santé, Défense, Intérieur et, parfois, Environnement), ainsi qu'au sein de la direction générale de la santé, avec Bernard Kouchner et le Pr Lucien Abenhaïm, à l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) et, en aval, à l'AP-HP, avec son directeur général, Antoine Durrleman. »Le 10 septembre dernier, tous ces experts se retrouvaient à l'hôpital Bichat (l'un des deux hôpitaux parisiens référents, avec la Pitié-Salpêtrière).
« Nous étions bien conscients alors que le risque bioterroriste planait sur l'Occident, confie François Bricaire.
Mais lorsqu'ont éclaté les événements du lendemain, nous avons compris que nous devions imaginer tous les scénarios possibles en matière d'attaque biologique ou chimique et nous avons accéléré la mise en place de Biotox. Le 15 septembre, les premières alertes ont changé notre rythme et nous ont fourni l'occasion d'un exercice en grandeur réelle, alors que nous nous disposions à procéder à des simulations. »Pour autant qu'aucun cas suspect n'a encore reçu de confirmation biologique, le Pr Bricaire considère qu'on est toujours au stade d'un exercice d'alerte. Un exercice qu'il juge
« parfaitement réussi », en rendant un hommage appuyé à la mobilisation des médecins et des infirmières de son service.
Pendant une semaine, donc, les consultations se sont succédé au rythme effréné d'une centaine par jour.
Le protocole a pu être rodé dans ses moindres détails.
« A son arrivée à l'accueil, au troisième étage, chaque cas suspect est reçu par une infirmière qui relève son identité et ses coordonnées et détermine si l'on a affaire à un contact primaire (personne ayant manipulé directement la poudre ou ayant été exposée dans la même pièce, à une distance de deux ou trois mètres) ou secondaire (personne qui passait à proximité, dans un couloir ou une pièce contiguë). Seuls les premiers sont orientés vers un médecin qui leur explique les risques en cas d'exposition à une poudre contaminée ; ils sont ensuite déshabillés, puis douchés, et reçoivent une tunique de l'AP-HP, le temps que leurs proches leur apportent une tenue de rechange. Les vêtements sont consignés dans une chambre du service, dans des sacs de plastique, jusqu'au retour des résultats d'analyse. Les bijoux, montres, clés, etc., sont gardés à part, pour que leurs propriétaires puissent repartir avec ces objets. Les personnes subissent encore un prélèvement des fosses nasales en vue d'une analyse complémentaire. Enfin, elles reçoivent des comprimés pour trois jours d'antibiothérapie (ciprofloxacine le plus souvent, ou amoxicilline, pour les femmes enceintes). »Toutes ces opérations se déroulent désormais très rapidement. En l'espace d'un quart d'heure (pour peu qu'on lui ait fourni aussitôt ses vêtements de rechange), une personne peut quitter le service. Le résultat des analyses lui sera communiqué par téléphone dans les deux ou trois jours suivants.
« C'est là que se situe le maillon faible de notre procédure
, estime le Pr Bricaire.
Un résultat communiqué dans les vingt-quatre heures représenterait l'idéal et nous éviterait une antibioprophylaxie intempestive. Or, il faut généralement attendre le troisième jour pour avoir le retour de l'analyse. »Pour accélérer la cadence, un laboratoire de l'AFSSA est désormais mobilisé, en plus du laboratoire militaire du Boucher. Mais ce sont les tests eux-mêmes qui devraient être affinés, souhaite le Pr Bricaire.
Aucun phénomène d'anxiété
A cette réserve près, l'application de Biotox à l'hôpital de référence de la Pitié doit être considérée comme un succès, assurent les médecins. « Aucun incident n'est à déplorer, se félicite le Dr Bossi. Aucun phénomène d'anxiété n'a été observé, ni chez les consultants, ni chez le personnel. » Celui-ci a d'ailleurs reçu une formation psychologique adaptée, dès avant l'instauration de Biotox, pour réagir, en particulier, à des cas de fièvre hémorragique.
Depuis le début de la semaine, sous l'effet conjugué des appels au civisme lancés par Bernard Kouchner, des jugements sévères prononcés par les tribunaux et de la montée en ligne de nouveaux hôpitaux de référence en région parisienne (Saint-Louis et Saint-Antoine, notamment), on ne dénombre plus qu'une dizaine de consultations quotidiennes à la salle Pasteur du pavillon Laveran. C'est la décrue. La mobilisation cependant demeure. Le Pr Bricaire est missionné par le ministère de la Santé pour répondre aux questions des médias comme à celles des grandes entreprises qui redoutent d'être exposées. Sans oublier les coups de fil de médecins demandeurs de FMC.
Et les experts continuent pendant ce temps de plancher pour tenter d'imaginer l'inimaginable : des scénarios d'attaque avec le virus de la variole, ou des toxines botuliques. Avec des « frappes » massives qui se traduiraient par l'arrivée au pavillon Laveran des cas suspects par centaines.
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