La mise en oeuvre du plan Biotox a-t-elle modifié le travail de l'Institut de veille sanitaire ?
Pr JACQUES DRUCKER
Notre dispositif d'alerte classique repose en temps normal sur la surveillance de certaines maladies infectieuses, au travers de leur déclaration obligatoire. Le plan Biotox nous a amenés à activer ce dispositif et à le renforcer sur des maladies que l'on avait cessé de surveiller : le charbon, bien sûr, la peste, voire le botulisme, deux maladies qui étaient encore soumises à déclaration, mais qui étaient très rares.
C'est en quelque sorte une fusée à trois étages, en allant de l'étage le plus large au plus resserré ; le maillage le plus large est constitué par les professionnels de santé, médecins et biologistes, qu'il s'agisse des libéraux ou des hospitaliers. Tout médecin qui est en situation de faire un diagnostic de maladie à déclaration obligatoire doit le signaler et il effectue ce signalement auprès du deuxième étage de la fusée d'alerte, la direction départementale de l'Action sanitaire et sociale (DDASS) et son médecin de santé publique.
Ce signalement doit être fait à partir du moment où un certain nombre de critères diagnostiques ont été remplis. Ce n'est pas une suspicion qui est déclarée, mais bien une maladie diagnostiquée.
Le médecin de santé publique complète une fiche épidémiologique sur la maladie et la fait remonter immédiatement à l'Institut de veille sanitaire. Ainsi, si un début d'épidémie vient à toucher plusieurs départements distants les uns des autres, l'information sera centralisée et, en fonction de la confrontation des informations, sera déclenchée l'investigation épidémiologique.
Si on estime être en présence d'une situation épidémique ou préépidémique, l'objectif est d'identifier l'origine et le mécanisme de la transmission du phénomène, pour le contrôler au plus vite.
Pour le charbon, un cas est une épidémie
Quand estimez-vous qu'on a affaire à un début d'épidémie ?
Tout dépend de la maladie. S'il s'agit du charbon, un cas est une épidémie. Plus exactement, un cas déclenche une investigation épidémiologique. Comme cette maladie a quasiment disparu en France, l'apparition d'un seul cas doit nous faire réagir comme si on était en présence d'une épidémie, même si les investigations démontrent par la suite que le cas est sporadique.
Dans le cas du charbon, les mesures sont renforcées. Nous n'attendons pas que le diagnostic soit confirmé par les analyses pour lancer la préalerte. Celle-ci met en action la surveillance avant même qu'une personne exposée au risque ait présenté le moindre symptôme. Depuis le lancement du plan Biotox, avant même la notification d'un cas formellement diagnostiqué, nous pouvons considérer que le dispositif de surveillance est en alerte permanente sur le charbon.
Evaluer le potentiel de diffusion épidémique
Quelles mesures prendrez-vous si un cas vient à être confirmé ?
L'institut serait informé de façon quasi immédiate et déclencherait une investigation épidémiologique sur l'origine du cas, l'identification des autres personnes exposées à la même source, de façon concomitante ou ultérieurement, de manière à orienter les personnes à risque, à arrêter les mesures prophylactiques les plus rationnelles possible et à évaluer de façon aussi précise que possible le potentiel de diffusion épidémique de la bactérie en question.
Sur le plan épidémiologique, nos amis américains ont un peu plus d'expérience que nous, bien sûr, puisqu'ils sont confrontés au problème depuis déjà quelque temps. Dans le cadre des Control Disease Centers, ils disposent depuis deux ou trois ans d'un programme de préparation à ce type d'événements. Nous bénéficions de leur expérience, par exemple à travers les fiches de conduite à tenir et les fiches techniques sur des protocoles d'investigation épidémiologique. Nous nous en sommes très largement inspirés pour actualiser nos propres dispositifs. Les moyens mis en uvre par les Américains n'ont rien d'extraordinaire ; simplement, ils en maîtrisent la pratique depuis plus longtemps.
Nos effectifs sont déjà substantiels en temps normal et ils font actuellement l'objet d'un renforcement, à la fois au niveau de l'institut lui-même et à celui des différents centres nationaux de référence. Notre dispositif est pleinement opérationnel pour l'alerte et les capacités de détection et d'investigation. Cela dit, la montée en puissance dans nos effectifs d'épidémiologistes sera pleinement achevée dans les jours qui viennent.
Variole : une alerte mondiale
En dehors du charbon, quels sont les autres risques épidémiques sur lesquels vous vous préparez actuellement ?
Nous nous préparons de la même façon sur la peste, même si les risques semblent moindres que pour le charbon, car c'est un germe beaucoup plus difficile à maîtriser. Nous travaillons aussi sur le botulisme ou sur la variole. Si un cas de cette dernière maladie venait à être déclaré, l'alerte serait d'ailleurs mondiale, car c'est une maladie qui a complètement disparu de la planète.
Depuis le lancement de Biotox, nous avons mis l'ensemble de notre dispositif épidémiologique en hyper-alerte. A côté de la notification de maladies bien cernées telles que le charbon, le botulisme, ou, le cas échéant, la variole, notre dispositif est à même de dépister tout phénomène sanitaire anormal : émergence de cas de maladies pour lesquelles un diagnostic précis n'est pas vraiment possible, mais qui surviennent de manière quasi-épidémique, en provoquant des complications sérieuses.
Tout syndrome ou regroupement de malades qui présentent une maladie infectieuse sans diagnostic précis mais suffisamment grave doit nous être signalé. Depuis quelques jours, nous sommes donc informés par les hôpitaux et les médecins d'un certain nombre de phénomènes en présence desquels notre travail consiste à vérifier si on a réellement affaire à un acte malveillant ou terroriste. En l'état actuel des choses, tel n'a pas encore été le cas.
Mais ce renforcement dans la sensibilité de notre dispositif de surveillance entraîne pour nous un lourd prix à payer : nous devons être sur le pont en permanence pour valider la pléthore d'informations qui nous reviennent. Il n'y pas d'alternative.
Je ne dirai pas cela, car nous disposons aujourd'hui de huit années de surveillance des maladies infectieuses. Certes, nous n'avions pas encore fait face à des phénomènes de la gravité potentielle d'actes de bioterrorisme, mais dans le domaine des infections alimentaires, de la légionellose, de la surveillance des risques infectieux liés à la Coupe du monde de football ou aux grands rassemblements de population, l'institut dispose d'une appréciable expérience.
Une responsabilité d'épidémiologiste
Quel message pouvez-vous adresser aux médecins ?
Je voudrais insister sur la contribution de l'ensemble des médecins à notre action de santé publique en réponse à un attentat terroriste. Car, comme l'a souligné Bernard Kouchner, même si la situation est inédite, nous sommes dans un cadre de santé publique. En tant que professionnels de première ligne, les médecins ont certes une responsabilité de prise en charge, de diagnostic et de traitement des maladies. Mais je voudrais leur rappeler leur responsabilité d'épidémiologiste dans leur contribution au dispositif d'alerte. Tout médecin est un acteur de veille sanitaire. La réussite de l'Institut de veille sanitaire dépend totalement du degré de sensibilisation et de l'efficacité diagnostique du corps médical, à tous les niveaux. C'est de la capacité d'un généraliste de penser au diagnostic du charbon et à transférer son patient à l'hôpital que dépendent les jours et les heures où l'alerte va être déclenchée. L'efficacité de notre réponse prophylactique et thérapeutique est entièrement tributaire des généralistes.
C'est aussi notre rôle, ces jours-ci, de diffuser auprès d'eux les connaissances et les outils indispensables. Nous préparons un certain nombre de fiches et d'informations en direction de l'ensemble des professionnels, libéraux et hospitaliers.
Un Numéro Vert pour les médecins
Le ministre délégué à la Santé a mis en place une cellule d'information pour fournir aux médecins les réponses à toutes les questions qu'ils se posent et qui leur sont posées sur le bioterrorisme : en composant le Numéro Vert 0800.240.250, les professionnels de santé peuvent dialoguer avec des médecins à même de leur fournir tous les renseignements utiles sur le diagnostic, la prophylaxie, les traitements et les déclarations des infections dont l'origine peut être liée à une action terroriste. Les alertes cependant se multiplient, faisant craindre un affolement dans l'opinion, en France comme dans la plupart des pays occidentaux. Si le SAMU de Paris, pour sa part, n'enregistre qu'une demi-douzaine d'appels par jour, c'est, semble-t-il, parce que les personnes inquiètes préfèrent s'adresser directement à l'un des neuf hôpitaux de référence dont les noms figurent dans le plan Biotox.
A Paris, trois CHU sont ainsi littéralement pris d'assaut, au premier rang desquels la Pitié-Salpêtrière. Le troisième étage du pavillon Laveran, au service des maladies infectieuses du Pr François Bricaire, est désormais entièrement dédié aux personnes disant avoir été en contact avec des poudres suspectes. Les patients sont douchés, leurs vêtements sont enfermés dans des sacs et ils reçoivent une antibioprophylaxie pour une huitaine de jours. « Nous nous employons surtout à dédramatiser et à fournir une aide psychologique aux patients qui paniquent », explique le Dr Annick Datry, qui répond aux appels incessants à propos de courriers jugés suspects.
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