Quelques faits récents suscitent la réflexion. L'accouchement d'une femme de 62 ans grâce à l'insémination du sperme de son frère ainsi que l'annonce par deux médecins-chercheurs du projet de cloner un humain prochainement ont refroidi l'opinion publique quant à l'utilité de la recherche médicale. De tels faits incitent à opter pour une législation ferme. D'un autre côté, l'obtention de cellules myocardiques et sanguines à partir de cellules souches ouvre des espoirs thérapeutiques infinis et invite à accorder un maximum de liberté aux chercheurs. Alors, comment parvenir à concilier science, médecine, éthique et droit ?
Mais avant toute chose, est-il nécessaire d'imposer par la loi un cadre d'application strict à la recherche médicale ? Question soulevée par Pierre Guenancia, philosophe. Car après tout, la médecine est bien une des rares professions à respecter une déontologie stricte ; sa régulation se fait donc en interne.
Certes, mais il ne faut pas confondre pratique médicale et recherche médicale. La recherche n'est pas soumise à la même déontologie que la médecine. Si elle doit être encadrée, ce sera par l'Etat. « L'idée de limiter la recherche médicale fondamentale me paraît contraire à l'idée de science, souligne Pierre Guenancia. On ne peut juger par soi-même de la véracité d'un fait qu'en disposant d'une liberté d'action totale. Pour autant, ceux qui veulent réglementer la recherche ne sont pas des obscurantistes. Ils sont conscients des risques causés par certaines découvertes in vitro lorsque celles-ci seront appliquées in vivo . » En bref, oui à une recherche fondamentale sans limites, mais gare aux débordements de la recherche appliquée.
Un but unique, la guérison
En ce qui concerne la recherche appliquée, le généticien Alain Fischer a jugé bon de rappeler quelques exemples de questions éthiques soulevées par certains progrès récents. A commencer par l'utilisation du DPI (diagnostic préimplantatoire), acceptée par beaucoup quand il s'agit de s'assurer que le futur embryon sera sain, mais critiquée dans le cadre d'un usage élargi. En effet, « que répondre à des parents qui souhaitent un second enfant sélectionné par DPI pour être HLA compatible avec leur premier enfant leucémique ? », s'interroge Alain Fischer. Certes, la vie du premier enfant pourrait être sauvée grâce au don de moelle osseuse du second. Mais « la guérison doit rester le but unique de la médecine », rappelle Pierre Guenancia. Or, dans ce cas, le second enfant, non encore conçu, n'est pas malade. Faut-il accepter la fabrication d'un enfant-médicament ? La loi n'a pas encore tranché. Autre problème éthique de taille : la possibilité d'une thérapie génique sur les cellules germinales. Alain Fischer condamne vivement cette pratique car « en apportant de nouvelles propriétés à la descendance, on risque l'eugénisme ». De même, l'utilisation de cellules embryonnaires souches à des fins de thérapie cellulaire soulève une autre question éthique, non résolue à ce jour. Alain Fischer tente d'apporter plusieurs explications au flou politique actuel. « En premier lieu, les prises de décision seraient plus rapides si les experts scientifiques avaient une place plus importante dans notre société. Par ailleurs, il ne serait pas inutile que les politiques, avocats et industriels français améliorent leur culture scientifique. Cela éviterait nombre d'impasses et d'erreurs de jugement inutiles. »
Vincent Diebolt, directeur juridique du CHU de Montpellier, déplore, quant à lui, les lacunes du cadre censé réglementer la recherche en milieu hospitalier. « Chacun peut interpréter cette réglementation comme bon lui semble. Par exemple, on peut discuter du bénéfice individuel direct obtenu par les cobayes humains lorsque ceux-ci sont placés sous placebo. » On peut également s'interroger sur la validité de certains principes législatifs. « Un malade d'Alzheimer est-il capable de fournir son consentement éclairé pour telle intervention ? » Vincent Diebolt souligne « l'indispensable adaptation du droit pour une prise en compte des avancées des biotechnologies ».
Le brevet n'est pas un outil adapté
Autre sujet polémique s'il en est, la brevetabilité du vivant. Pour Daniel Dupret, président de la société Proteus spécialisée en biotechnologies, « l'existence des brevets est la condition sine qua non pour promouvoir le développement de la recherche ». Et peu importe les dérives qui peuvent en découler, à l'instar de la fameuse affaire Myriad Genetics, société sur le point d'obtenir le monopole mondial concernant les tests de dépistage d'une susceptibilité au cancer du sein et des ovaires, grâce au dépôt de brevets sur les gènes. « Cet exemple de monopole grâce aux brevets n'est pourtant pas le premier exemple du genre », rappelle Daniel Dupret. Il en a été de même lors de la sortie d'autres techniques, comme celles concernant les anticorps monoclonaux ou les marqueurs tumoraux. »
Le brevet est-il réellement un outil adapté à la recherche médicale ? Pas vraiment, estime Michèle Anahory, avocate, car « il y met un frein ». D'une façon plus générale, la juriste déplore le fait que la société attend tout du droit pour résoudre l'ensemble des problèmes d'éthique causés par la recherche médicale. « Le droit se contentera d'appliquer l'opinion collective ; au départ, c'est donc à chacun de réfléchir à ces questions et de se forger sa propre idée. »
Le principal problème juridique réside dans le fait que l'objet de la recherche est difficile à délimiter. Par exemple, quelle est la frontière précise entre clonage thérapeutique et clonage reproductif ? De même, pour légiférer sur les cellules souches, il convient de définir au préalable le statut de l'embryon. Et qu'est-ce, précisément, que la dignité humaine ? Autant de questions délicates, mais incontournables, si l'on veut un jour parvenir à une législation claire et sans ambiguïté. Législation, qui, pour être réellement efficace, ne pourra se contenter d'une application à l'échelle nationale. Bien qu'elle soit nécessaire, la révision du projet de loi sur la bioéthique ne pourra suffire. Une coordination internationale est indispensable.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature