DE NOTRE ENVOYE SPECIAL
SALOUËL (Somme). Dans la salle de réunion de la biobanque de Picardie, non loin de l’entrée du CHU d’Amiens (hôpital Sud), Fay Betsou rayonne : la responsable du laboratoire CRB vient d’obtenir la notification officielle de la nouvelle : l’OMS, département TDR (Research Development for Tropical Disease), a choisi son établissement comme centre de référence pour la réception, l’étiquetage, l’enregistrement des bases de données et le stockage d’échantillons de sérum, urine et crachat. Une reconnaissance qui a valeur de consécration quand on sait que la Biobanque de Picardie succède, au sein de l’instance onusienne, à une biobanque située dans le Massachusetts (Etats-Unis).
L’histoire est allée vite. Au départ, en 1991, c’est un biologiste, le Dr Jean-Pierre Sueur, qui convainc le conseil général de la Somme et le conseil régional de Picardie de soutenir la création d’un nouvel outil de recherche : une sérothèque, imaginée dans un premier temps, explique-t-il, pour conserver des sérums et qui évoluera très vite en stockant d’autres prélèvements : ARN, ADN, urine, liquide synovial, tissus…
Le visionnaire et le vif-argent.
Au passage, ce «visionnaire», comme le qualifie Fay Betsou, va inventer le néologisme biobanque. Les premières collections se constituent, avec des partenaires publics (centre de prévention et d’examens de santé, CHR de Compiègne, de Reims, IUT de Compiègne) et privés (sociétés de diagnostic biologique). En 1993, la Biobanque est sélectionnée par le réseau Chlamydia pour devenir le siège de son centre européen de sérologie ; c’est le coup d’envoi d’une carrière internationale, où la Picardie joue les championnes du monde.
Pasteurienne de tempérament vif-argent et d’origine grecque, Fay Betsou, qui a soutenu sa thèse de microbiologie moléculaire sur le vaccin cellulaire contre la coqueluche, prend la direction scientifique des opérations en 1998. Un temps, il va lui falloir s’éloigner de la recherche appliquée pour se lancer dans une aventure de gestion qui n’a pas de précédent, ni en France ni à l’étranger : une démarche qualité selon la norme ISO 9001, axée sur le management (approche processus). La chercheuse planche avec le Ceiso, un cabinet de qualiticiens, en lien avec un groupe de travail international, l’Isber (International Society for Biological and Environmental Repositories), embryon d’un réseau mondial, qui se réunit une fois par an, dans l’objectif de créer une standardisation minimale pour la préparation, la nomenclature et l’éthique.
L’enjeu de ces paramètres qualité est stratégique. «Il ne s’agit pas, avec nos biobanques, de créer de simples lieux d’archivage, explique Fay Betsou : il faut mettre à disposition des échantillons conservés et documentés dans le cadre de projets de recherche; la réussite, en termes de validité et de reproductibilité, des méthodes d’immunoanalyse ou de biologie moléculaire, dépend de la qualité des échantillons. Et cette qualité est liée directement à la rigueur des procédures mises en place par les biobanques.»
Au millimètre.
Collecte des prélèvements dans une camionnette frigorifique, mise en paillette haute sécurité en résine ionomère, pour éviter toute interaction physico-chimique entre contenu et contenant, identification par codes-barres inviolables et infalsifiables, aliquotage, cryoconservation à – 80 °C en congélateur électrique et/ou – 196 °C dans l’azote liquide, tout ici doit donc être sérié au millimètre : le type de tube de prélèvement pour un échantillon sanguin, le temps d’ischémie chaude/froide pour un tissu, la position du patient prélevé, orthostatique ou pas, les modalités de transport (température, délais), les modalités de préparation (centrifugation, extraction, fixation, aliquotage en tubes et paillettes), les choix de conservation (température à – 20, – 80, – 130 °C, azote liquide, nombre des congélations-décongélations).
Tout aussi rigoureuses doivent être les méthodes d’analyses ou de contrôle qualité retenues (PCR, RT, hybridation moléculaire, électrophorèse 1 ou 2-D, tri cellulaire…).
De la qualité de ce management dépend évidemment celle de la recherche qui suivra : la fiabilité des ressources biologiques conditionne autant que la pureté des réactifs chimiques et la précision du matériel, la reproductibilité et la validation de tous les travaux.
«Evidemment, on a essuyé les plâtres, et on continue, raconte Thomas Labioch, l’un des deux techniciens de la Biobanque. Les temps héroïques ne sont pas si vieux, se souvient cet ancien de l’institut Pasteur de Lille, où des échantillons nous étaient livrés dans des sacs poubelles sortis d’ambulances dépourvues de système de réfrigération!»
«Nous avons dû prendre notre bâton de pèlerin pour aller expliquer dans les services de prélèvement ce que nous faisions et comment, explique Katy Beaumont, l’autre technicienne. Au début, nous étions considérés comme des gêneurs qui venaient alourdir les charges de travail des uns et des autres, il s’est donc agi d’obtenir l’adhésion des personnels, les infirmières, pour les modalités de prélèvement.»
Et même pour les chercheurs, il a fallu se faire pédagogue pour recadrer les demandes avec les procédures, revoir les volumes appropriés pour faciliter le travail de valorisation. Beaucoup d’entre eux ne sont pas forcément en mesure de définir précisément leurs desiderata pour leurs échantillons.
Après quatre années à diffuser inlassablement la bonne parole, la Biobanque a sensiblement réduit la proportion des collections dites orphelines : les ressources collectées sont non seulement fiables, mais elles sont utiles. C’est le retour sur investissement d’une procédure très onéreuse en temps et dans laquelle ne se sont aventurés à ce jour que l’Institut Pasteur et le Généthon.
Une quarantaine de collections.
Entre-temps dotée d’un statut associatif qui lui permet de mieux faire l’interface entre public et privé, soutenue par le département bio-ingénierie du ministère de la Recherche, la Biobanque s’est constituée, en développant ses collections, un impressionnant palmarès : projet hépatite C de l’Inserm (avec le Pr Gilles Duverlie, virologue au CHU d’Amiens), projets sur les Chlamydia (mise au point du test de sélection dans l’urine), la maladie de Horton (Registre national, Pr Pierre Duhaut), la maladie de Crohn (Pr Jean-Louis Dupas)…
A ce jour, une quarantaine de collections sont stockées dans 80 tiroirs, soit 80 0000 échantillons qui se rapportent aux maladies infectieuses, inflammatoires, auto-immunes, génétiques, ainsi qu’aux cancers.
«Il vaut mieux être certifié et disposer d’un logiciel d’information efficace pour gérer toutes les informations liées aux échantillons à visée de recherche», sourit Fay Betsou. Ce logiciel intègre tous les éléments qui concernent la provenance, la préparation, la conservation, les destinations. Il gère aussi les paramètres liés à la cryoconservation.
La responsable scientifique «vit à 300 à l’heure», comme elle dit. Entre un séminaire de biobanking à Bangkok qui réunissait tous les pays de l’Asie du Sud-Est et les journées d’information CRB de l’Inserm, à Florence, une réunion de l’Isber à Singapour, elle vit l’aventure des CRB avec la conviction très militante que ces centres conditionnent les performances de la recherche du siècle dans tous les domaines : découverte de marqueurs diagnostiques et pronostiques, tests diagnostiques, comparaison de différentes trousses, constitution de lots d’échantillons contrôle. Une conviction qui tend certes à être de mieux en mieux partagée : avec la valorisation, quelques prestations de services spécialisées, expertises techniques et ressources propres à la R1D (contrats et subventions) permettent de récupérer une partie des coûts.
Le financement de l’activité CRB est assuré aujourd’hui par une convention avec le CHU d’Amiens. Le développement de la Biobanque en tant qu’activité de valorisation est le fruit d’une participation de collectivités locales (conseil général de la Somme, conseil régional de Picardie, Amiens Métropole) et d’organismes publics tel l’Anvar. A terme, l’objectif des scientifiques, c’est l’autosuffisance financière, condition d’une pérennité de l’entreprise.
Le succès d’Amiens commence à être connu et reconnu. En juin 2005, les ministres de la Santé et de l’Education, Xavier Bertrand et Gilles de Robien, sont venus se rendre compte sur place du travail accompli, mais c’était en leur qualité de régionaux de l’étape. Chaque année, le sort de la Biobanque de Picardie, malgré le label OMS, peut être remis en question, au gré des aléas de la politique départementale ou régionale. Face à de semblables incertitudes, le temps des croisades n’est pas révolu…
Dans l’attente d’un statut rénové
Dans un avis rendu le 20 mars 2003 (« Collections de matériel biologique et données d’information associées »), le Comité consultatif national d’éthique (Ccne) insiste sur la nécessité de prendre conscience que «le contenu des biobanques est une richesse à mettre en commun». Pour cela, il suggère de confier à une instance publique l’étude des finalités d’utilisation des échantillons et des données associées. Il préconise le libre accès aux banques d’ADN et la mise au point d’instruments pour construire une solidarité et un partage, avec un prélèvement financier sur les profits, effectué au service des tâches d’intérêt général.
Le Ccne appelle de ses voeux la mise en place d’un statut rénové pour les biobanques, sous la responsabilité des pouvoirs publics, avec un souci de transparence et d’information, pour que «le citoyen soit mis en mesure de comprendre les enjeux des développements techniques en cause».
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