PAS DE MIRACLE pour l'année jubilaire ! En 2008, 150 ans après les 18 apparitions de la grotte, l'Eglise ne devrait proclamer canoniquement aucune guérison miraculeuse en lien avec le sanctuaire de Lourdes. Les trois dossiers soumis au CMIL (Comité médical international), qui s'est réuni pour les examiner le 1er décembre, ont tous été retoqués. L'organe consultatif, constitué d'une vingtaine de chefs de clinique des hôpitaux, chargé d'examiner les rapports d'expertise médicale et psychiatrique en vue d'apporter une garantie pleine et entière au caractère «exceptionnel» des guérisons, n'a pas été médicalement convaincu.
«Les trois cas étaient pourtant très bien documentés, estime le Dr Patrick Theillier, responsable du bureau médical. En particulier celui d'une leucémie myéloïde aiguë, avec atteinte du nerf crânien, guérie depuis douze ans. Le patient avait subi une chimiothérapie et l'un des experts a estimé qu'à lui seul ce traitement pouvait expliquer la guérison.» Les critères de Lambertini, rédigés en 1734, stipulent en effet que, pour obtenir la guérison, «nulle médication n'ait été donnée ou, s'il est avéré que des médicaments ont été prescrits, qu'ils n'aient pu avoir d'action utile». De même, ces critères exigent que «la maladie effacée ne se reproduise pas». Autrement dit, que la guérison soit médicalement attestée comme définitive. C'est ce qui a conduit, faute de recul suffisant, à écarter les deux autres cas, une SEP et une maladie de Crohn.
« Mais, s'insurge le Dr Theillier, comment voulez-vous, en l'état actuel de la médecine, que puissent être satisfaits deux critères pareils: quel patient va renoncer au traitement médical qui lui est prescrit pour sa pathologie parce qu'il envisage de se rendre à Lourdes? Et quel médecin va oser parler de guérison définitive alors que les experts n'évoquent plus que des rémissions, dites spontanées ou prolongées? Faudra-t-il attendre vingt ans de plus pour se prononcer?» Ou la mort du patient ?
Le médecin des sanctuaires estime qu'en d'autres temps ces trois dossiers auraient fait l'objet d'une homologation médicale et qu'ils auraient pu accéder au statut de miracle, après vérification des critères théologiques par les évêques concernés. Inversement, des guérisons ont, dans un passé pas forcément éloigné, bénéficié d'une reconnaissance canonique qui, aujourd'hui, seraient probablement écartées. Les investigations ne sont plus comparables.
La recherche de preuves.
Le Dr Theillier, dans son livre document qui paraît aujourd'hui*, observe que deux phénomènes cumulent leurs effets pour réduire le nombre des guérisons reconnues miraculeuses : «D'une part, les personnes guéries hésitent de plus en plus à se faire connaître pour éviter les désagréments que procure de nos jours ces situations. D'autre part, insensiblement, la lecture médicale a pris le devant de la scène et les conditions d'admission se sont durcies.»
Dans les archives du CMIL, les dossiers remontant à une cinquantaine d'années ne comportent guère plus d'une quinzaine de feuillets, aujourd'hui, ils font fréquemment plus de trois cents pages. Une expertise appelle le plus souvent une contre-expertise. Indéfiniment. « On demande aux médecins de réunir des preuves définitives, constate-t-il, alors que personne ne détiendra jamais la preuve scientifique irréfutable d'un miracle.»
Certes, remarquait le Pr François-Bernard Michel, président du CMIL, en présentant l'an dernier une redéfinition des modalités de reconnaissance, «nous ne voulons pas de miracles au rabais, nous entendons pousser au plus loin les investigations scientifiques».
A force, craint le médecin du sanctuaire, «on ne pourra plus sortir du dilemme par trop dualiste “miracle-pas miracle” ». Dès lors, s'interroge-t-il, «les guérisons observées à Lourdes doivent-elles rester des événements rares qui se rapportent uniquement à la catégorie du miracle tel qu'il est défini par les règles canoniques? Ou bien doivent-elles être reçues en première intention comme une manifestation de la compassion de Dieu pour tous? On mettrait un terme au dualisme miracle-non-miracle en évoquant des “grâces de guérisons authentiques” », authentiques car authentifiées par les autorités ecclésiastiques.
Le sujet va être débattu lors de la prochaine réunion du CMIL, qui se tiendra les 28 et 29 avril. Egalement à l'ordre du jour du comité, la prise en compte des guérisons de troubles psychiques et mentaux, ainsi que des addictions. Quoique fort nombreuses parmi les pèlerins, ces pathologies restent à ce jour exclues du champ des procédures de vérification. Et alors que, en cette année jubilaire, avec le voyage attendu du pape (à une date non encore fixée) et l'afflux de 7 millions de pèlerins, les sanctuaires sont en pleine ébullition, l'annonce de la réforme des procédures appliquées aux guérisons pourrait être faite en décembre. Et venir comme un point d'orgue médical et religieux.
« Lourdes, des miracles pour notre guérison », Presses de la Renaissance, 346 p., 19 euros.
Les chiffres des miracles
Pour l'année 1858 (l'année des apparitions mariales à Bernadette Soubirous), le Dr Pierre Dozous, généraliste de Lourdes, a enregistré une centaine de cas de guérisons sur lesquelles, après un tri effectué par le Pr Henri Vergez, de la faculté de Montpellier, l'évêque de Tarbes et Lourdes a authentifié sept miracles. Un siècle et demi plus tard, un total de 67 miracles ont été spécifiquement homologués par l'Eglise (c'est-à-dire par les évêques des diocèses de résidence des personnes guéries inexplicablement), le dernier en 2005 (« le Quotidien » du 17 novembre 2005).
Dès lors qu'ont été mises en place des procédures médicales pour vérifier les caractères certain, définitif et inexplicable des guérisons, avec des procédures de contrôle de plus en plus rigoureuses, le nombre des guérisons reconnues n'a fait que décroître. Il est tombé à une moyenne de douze à quinze chaque année dans la période la plus creuse, entre 1972 à 1990.
En reprenant les archives du Bureau médical de Lourdes dont il est responsable, le Dr Patrick Theillier a compté 7 200 guérisons enregistrées. Depuis dix ans qu'il est lui-même présent à Lourdes, le praticien a comptabilisé une moyenne d'une cinquantaine de déclarations par an, soit une par semaine. Un chiffre à rapprocher de la moyenne des déclarations sur 150 ans, qui atteint 46 cas annuels. «Il n'y a donc pas lieu de s'inquiéter, estime le médecin de Lourdes, tout en reconnaissant qu' il semble qu'il y ait moins de guérisons physiques aujourd'hui qu'hier. Après tout, remarque-t-il, la médecine a fait quelques progrès depuis 150ans... Dieu agit par les médiations humaines et, pour ce qui est de la santé, par l'intermédiaire des médecins et de la médecine, non à coups de miracles.»
La procédure actuelle
Sous la présidence du Pr François-Bernard Michel, le Comité médical international de Lourdes a édicté une procédure en trois étapes pour la reconnaissance des miracles.
La première étape, «la guérison déclarée», doit être recueillie par le médecin des sanctuaires, lequel procède à une première évaluation (historique, bilan, circonstance).
La deuxième étape, «la guérison inattendue», s'appuie sur une instruction complémentaire : étude comparative des documents médicaux avant et après la guérison, pour établir la réalité du passage d'une maladie connue, précisément diagnostiquée, à un état de santé retrouvé. La guérison doit présenter un caractère tout à fait inhabituel dans son évolution. Des experts reconnus dans les spécialités concernées sont consultés avant que le dossier ne soit soumis à l'avis collégial du CMIL. Pour le Pr Michel, cette mise à contribution des experts est capitale pour pousser au plus loin les investigations scientifiques et éviter des miracles au rabais.
La troisième étape, la reconnaissance canonique du miracle, revient, au final, à l'autorité ecclésiastique, en l'occurrence l'évêque du diocèse du patient guéri. A lui de s'assurer de la dimension spirituelle de la guérison.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature