interne des Hôpitaux de Paris. Le titre aujourd'hui n'existe plus. On est interne de la région Ile-de-France. Alors, il y a un avant et un après la réforme de 1984.
Avant. « Le plus fabuleux, c'est le jour où vous étiez nommé interne. Vous aviez un sentiment de fierté extraordinaire, surtout lorsque vous veniez d'une famille de médecin. La voie royale s'ouvrait. Vous étiez considéré comme une valeur sûre », raconte Marc-Olivier Bitker, urologue, nommé le 23 mai 1975, qu'il considère aujourd'hui encore comme le plus beau jour de sa vie.
A évoquer leurs souvenirs d'Internat, les anciens deviennent vite intarissables. Parce qu'il s'agit de leurs années de jeunesse. Mais surtout parce que l'Internat leur a ouvert les portes d'une formation irremplaçable. « On participe à la vie des grands services et on se fait des copains pour toute la vie professionnelle, parce qu'on a vécu ensemble et qu'on sort du même moule. Ce tissu relationnel permet de ne jamais se sentir isolé si l'on a besoin d'un conseil », explique Jean Ichou, chirurgien vasculaire et thoracique, nommé en 1977, qui a choisi d'exercer en libéral après son clinicat.
« Je n'ai que de bons souvenirs, confirme Claude Sureau, gynécologue, ancien président de l'Académie de médecine, nommé en 1951 ; l'Internat, c'est un bon souvenir permanent. C'est extraordinaire de penser qu'à mon époque on arrivait en quatre ans à faire le tour d'une spécialité. »
Corvéables à merci
A raison de six mois par service, l'interne fait en effet le tour des hôpitaux parisiens à la manière des artisans qui accomplissent leur Tour de France. Le mot qui vient d'ailleurs sur toutes les lèvres est celui de compagnonnage avec les plus anciens. « Les chefs de clinique aimaient vous enseigner le métier. Je me souviens de l'un d'entre eux qui perdait des heures avec nous pour nous montrer une technique ou un tour de main », ajoute Marc-Olivier Bitker. Cette transmission entre générations, cette chaîne de solidarité est un des biens les plus précieux de l'Internat. « J'ai formé beaucoup d'internes et quand je constate que les trois quarts des chefs de service de ma spécialité ont été mes élèves, c'est une satisfaction profonde, se félicite Claude Sureau, chef de service à l'AP de 1974 à 1989 ; je reçois encore régulièrement des vux, des demandes d'avis. On reste le frère aîné. c'est très gratifiant. »
Jusqu'en 1984, l'interne vivait pour ainsi dire à l'hôpital. « En général nous n'étions pas mariés, rappelle Claude Sureau, qui a rencontré sa femme, élève sage-femme, à Port-Royal pendant son Internat, et on vivait sur place. Lorsque nous étions deux, nous étions de garde un jour sur deux et nous avions une chambre gratuite à notre disposition. »« On dormait à l'hôpital un jour sur trois, on n'était payé qu'à partir de la 5e garde », se souvient Marc-Olivier Bitker. « En chirurgie, nous n'étions que deux internes dans le service. Si l'un était malade, l'autre était de garde tous les jours. On était loin des 35 heures ! s'exclame Jean Ichou. L'interne était corvéable à merci mais il l'acceptait parce que cela faisait partie de sa formation et qu'il avait son avenir assuré. »
Droit de cuissage
C'est assurément cette proximité et cette promiscuité qui expliquaient l'atmosphère particulière des salles de garde avec leurs traditions spécifiques. Tous ceux qui furent économes, c'est-à-dire roi absolu de la salle de garde, y ont vécu des moments intenses « On avait quasiment un droit de cuissage. Mais il fallait avoir du bagout et de l'humour. Et se faire respecter. Pour ma part j'avais toujours, scotchées sous la table à ma place, quelques seringues remplies d'éosine ou de bleu de méthylène. Une bonne giclée et le récalcitrant était calmé. » Et de vanter les 60 bouteilles de calva et 600 bouteilles de champagne descendues sous son économat.
« Avec l'administration, nous avions des rapports à hurler de rire. Pour avoir une télévision, je menaçais de lâcher mes 120 internes et on l'avait le lendemain. »
Il y avait aussi la tradition, qui a failli reprendre lors de la dernière grève, de plâtrer des responsables administratifs dans leur bureau ou dans leur logement de fonction.
La fin des traditions ?
Et après 1984 ? A propos de cette réforme, certains ont pu parler de « mort de l'Internat ». Mais, estime Morgan Roupret, nommé en 1999, « le compagnonnage reste important ; l'interne est considéré comme un médecin temps plein et quand il va opérer avec le grand ponte dans les bons services, il bénéficie toujours de la meilleure formation. Pour être nommé dans la ville et la spécialité de son choix, c'est toujours la voie royale ». En revanche, la nouvelle organisation a cassé les traditions. Le rythme des gardes s'est réduit et le nombre des internes a beaucoup augmenté. Tandis que l'administration n'a eu de cesse de mettre fin au désordre interne.
Les chambres d'internes sont aujourd'hui louées à des étudiants étrangers ou à des internes de province. Quant aux salles de garde, elles sont souvent remises en question, au motif d'un coût supplémentaire de personnel. En 1995, des menaces ont pesé sur celle de Broussais, aussitôt défendue par la plupart des chefs de service et agrégés de l'hôpital. En septembre dernier, c'était celle de l'hôpital de Montreuil. Des internes parisiens sont venus griller des sardines dans le self de l'hôpital. Et l'administration a cédé devant le folklore.
« C'est vrai qu'il y a peu de gens motivés pour perpétuer les traditions, souligne Morgan Roupret ; ce sont souvent les chirurgiens parce qu'ils passent plus de temps à l'hôpital et assurent une dizaine de gardes mensuelles. » Econome à Necker, il s'efforce d'y préserver une bonne ambiance dans les règles : le repas amélioré hebdomadaire pour lequel on cotise au pot économal (de 50 à 80 euros par mois), les taxes pour ceux qui dérogent aux règles (interdiction de parler médecine, salut des collègues par une petite tape sur l'épaule), les « battues » (où l'on tape dans les mains ou sur les verres et les tables avec les couverts), le « tonus » de fin de semestre où l'on enterre ceux qui terminent leur Internat et deviendront des « fossiles ». Y compris la commande d'une fresque quand il reste suffisamment d'argent. « A la Pitié, j'ai organisé une soirée mousse, qui a inondé jusqu'aux urgences. L'administration avait été prévenue, les malades l'ont bien accueillie et tout s'est bien passé. » Les hôpitaux étant de plus en plus grands, la salle de garde permet aux différents services de se rencontrer et de décompresser un peu. L'AP-HP a d'ailleurs fini par admettre le rôle convivial des salles de garde et le nouvel HEGP dispose d'une salle de garde déjà très décorée.
« La relève est assurée », commente Guillaume Girault interne en pharmacie, président de l'association Le Plaisir des dieux, regroupement des salles de garde d'Ile-de-France, qui s'efforce de faire revivre les traditions (superbe site Web à voir absolument). Le webmestre du site, Yves Cukierman, anesthésiste, nommé en 1992, se félicite de voir beaucoup de jeunes participer. « Les traditions se perdent mais pas toutes et les services se battent pour avoir des internes. »
- 10 février 1802 (4 ventôse an X) : un décret du Consulat portant sur un règlement général pour le service de santé (121 articles) institue l'Internat des hôpitaux, école pratique de médecine d'une durée de quatre années (au plus), indépendante des examens de la faculté et accessible par un concours réservé aux seuls externes des hospices. Ce décret fait suite à un rapport rédigé un an plus tôt par cinq « citoyens ». Depuis plusieurs siècles, de jeunes médecins aidaient les médecins et les chirurgiens des hospices. On les appelaient les compagnons internes. Le premier concours a lieu le 13 septembre. Sur les 64 candidats, 24 sont nommés.
- 1813 : création par 11 internes de la Société hippocratique qui deviendra la Société générale des internes des hôpitaux. Objectif : recueillir les travaux relatifs à la médecine.
- 1823 : création par ordonnance du titre de chef de clinique.
- 1849 : création de l'Assistance publique de Paris. Le nombre de places à l'Internat passe à 40 sous le Second Empire.
- 1882 : fondation de l'Association amicale des internes et anciens internes des Hôpitaux et Hospices civils de Paris (AAIHP), reconnue d'utilité publique en 1893.
- 1885 : les femmes sont autorisées à se présenter au concours. La première reçue sera, en 1886, l'Américaine Augusta Klumpke, qui devait former avec son époux Déjerine un célèbre couple de neurologues.
- 1902 : en un siècle 3 357 internes ont été nommés.
- 1921 : les externes sont autorisés à se présenter au maximum quatre fois au concours de l'Internat. Cette année-là, ils sont 74 à être reçus sur 669.
- 1932 : les externes sont autorisés à se présenter au maximum cinq fois au concours de l'Internat.
- 1948 : création d'un fonds destiné à inciter les internes à s'initier aux techniques de la recherche.
- 1958 : création des CHU instaurant le plein temps hospitalier. L'Internat n'est pas touché.
- 1968 : à la suite des grèves de mai auxquelles ont participé les étudiants en médecine, l'Internat n'est pas remis en cause mais l'Externat est supprimé. Tous les étudiants bénéficient d'une formation pratique.
- 1984 : avec la suppression des CES, le concours de l'Internat devient le seul moyen d'accéder aux spécialités médicales (y compris la santé publique). Ceux qui ne passent pas le concours se tournent vers la médecine générale. Ils prennent le nom de résidents.
- 2002 : la loi de modernisation sociale prévoit que tous les étudiants devront désormais passer un examen national classant, qu'ils se destinent à être spécialistes ou généralistes. Ce nouvel Internat n'entrera en vigueur qu'en 2005. Tous les autres aspects de la réforme de l'Internat seront appliqués dès 2004.
L'AAIHP, présidée par le Pr Alain Haertig, organise trois événements :
- Exposition « Evolutions et Révolutions médicales - Destins d'internes » au CNAM (Conservatoire national des arts et métiers), du 23 février au 7 avril, sur 400 m2. Son but : montrer l'évolution de la médecine à travers les travaux et les innovations apportées par des internes. Faisant appel à une scénographie originale, elle plongera le visiteur dans le quotidien des spécialités les plus spectaculaires.
- Soirée de gala au Théâtre des Champs-Elysées le 22 février, avec la création d'une uvre musicale de Nicolas Bacri par l'Ensemble orchestral de Paris (direction David Stern). uvres de Fauré, Roussel et Beethoven.
- Parution le 20 février chez Gallimard d'un recueil de nouvelles sur l'Internat. Ces « Pages de garde » sont l'uvre d'une vingtaine d'écrivains, dont deux médecins (Jean-Christophe Ruffin et Gilbert Schlogel) qui ont accepté de se prêter à l'exercice.
L'association Le Plaisir des Dieux va ressusciter en novembre la tradition du bal de l'Internat qui s'est tenu chaque année salle Bullier, puis salle Wagram, de 1897 à 1992. Thème : « La folle histoire de l'Internat. »
Au musée de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, une exposition aura lieu à l'automne. Dans une perspective à la fois historique et anthropologique, elle permettra de faire le point sur l'évolution du régime de l'Internat.
Site du bicentenaire : www.bicentenairedelinternat.com.
Site sur les salles de garde et les traditions : www.leplaisirdesdieux.com.
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