COMMENT peut-on définir ce qui différencie l'homme de l'animal ? Cette question est bien embarrassante, comme le montre ce couple interrogé à brûle-pourpoint dans l'une des nombreuses séquences vidéo qui émaillent le parcours de l'exposition « Bêtes et Hommes », à la Grande Halle de la Villette. «Un animal, ça réfléchit pas, tente de répondre la femme. Ça fait par instinct, par habitude (...). L'animal comprend, c'est vrai, mais il ne réfléchit pas.» Plusieurs démentis sont apportés par la suite, notamment grâce à ce film d'une dizaine de minutes où l'on voit un chimpanzé qui, pour récupérer une banane suspendue entre deux arbres, empile plusieurs cageots et se saisit d'un bâton suffisamment long pour atteindre le fruit désiré : Banco !
La visite de l'exposition « Bêtes et Hommes » ne manque pas de piquant. Cette Grande Halle de la Villette, qui abrita en son temps les Grands Abattoirs de Paris, est habilement mise en valeur par l'architecte-scénographe Patrick Bouchain, qui propose un concept scénographique fondé «sur ce qui rassemble l'homme et l'animal: l'abri, le refuge, la tanière». On déambule autour d'intimes huttes en toile de jute le long d'un parcours parsemé de créations de nombreux artistes contemporains, plasticiens, designers, illustrateurs, vidéastes et photographes. Presque trois heures d'audiovisuels pimentent le contenu documentaire. Un des objectifs de l'exposition est de montrer comment humains et animaux se sont mutuellement transformés, à travers des pratiques concrètes. Les Grecs anciens prenaient très au sérieux l'apport qu'ils tiraient de l'observation des animaux. Ils lui ont donné un nom, dont notre langue a perdu jusqu'au souvenir : la mètis. Les Grecs «nous auraient expliqué que la mètis , faite de ruse, d'inventivité et de souplesse d'esprit, ne peut s'apprendre que dans les contacts les plus intimes avec les animaux, des contacts à la fois faits de connivence et de rivalité», rappelle Vinciane Despret, psychologue, philosophe et commissaire scientifique de l'exposition.
Chimpanzés guérisseurs.
Comment savons-nous aujourd'hui que les feuilles d'Aspilia mossambicensis ont des vertus antiparasitaires, que les tiges d'Acanthus pubescens ont une activité antibiotique, ou encore que mastiquer l'écorce résineuse du tronc de l'Albizia grandibracteata a une activité antitumorale ? Grâce à l'observation des chimpanzés guérisseurs. Mais, attention, il serait illusoire et fort présomptueux de prétendre (l'homme) à tout comprendre ou interpréter (de l'animal) : fuyez la tentation de l'anthropomorphisme. «Si vous voyez un crapaud rester indifférent devant la sauterelle immobile qu'il convoitait quelques secondes auparavant, vous avez deux possibilités: vous pouvez clore la question en pensant que ce crapaud est un peu demeuré, ou encore que les animaux ne sont pas très malins, indique Vinciane Despret. En revanche, envisager les choses du point de vue du crapaud vous conduira à une réponse beaucoup plus intéressante: le crapaud ne voit pas la sauterelle justement parce qu'elle est immobile. Non seulement son équipement sensoriel est différent du nôtre, mais ce qui peut prendre la signification de proie doit être obligatoirement, du point de vue du crapaud, quelque chose qui est en mouvement.»
Cohabitation.
Tout n'est pas agréable à voir dans cette exposition qui aborde de nombreux sujets. Si l'on rêve de rapporter chez soi l'ingénieux « canapé teckel » conçu par Hilton Mc Connico, le chimpanzé de l'Américain Tony Matelli, poignardé par toutes sortes d'outils humains, met plutôt mal à l'aise. Tout comme la vidéo qui met en parallèle élevage industriel et élevage traditionnel. « Je pense que si les animaux parlaient, dit un éleveur industriel porcin , on se ferait engueuler tous les jours.»
La cohabitation homme-animal est-elle possible ? Oui, répond l'exposition, en montrant notamment l'exemple de ces agriculteurs des Deux-Sèvres qui se sont adaptés afin de respecter l'habitat et les conditions de vie de cette espèce en sursis, l'outarde canepetière. Ou encore que les pigeons parisiens, loin d'être effrayés par les picots en métal, se les sont appropriés pour en faire leur nid. Ceux qui s'intéressent à l'univers animal seront donc sûrement comblés. On peut toutefois s'interroger, au regard de l'esprit qui anime l'exposition, sur la nécessité de la présence d'animaux (mainates, iguanes, outardes, corneilles, loutres et vautours), même si, évidemment, «leur habitat a été conçu pour rassembler toutes les conditions nécessaires à leur confort sans copier pour autant la nature où ces animaux, habitués à l'homme, ne pourront jamaisvivre». Cet «élément émotionnel», estime le Pr Jean-Claude Nouët, président de la fondation Ligue française des droits de l'animal, montre que «les relations entre l'homme et l'animal sont en pleine mutation, mais que, malgré tout, on continue à avoir des habitudes d'un autre temps».
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