RIEN DE PLUS DIFFICILE que de réaliser une exposition autour d'un grand écrivain. Comment en effet en fixer les limites et comment éviter le piège d'un parcours rébarbatif ? Le centre Pompidou est coutumier de ce genre de manifestations – Barthes, Cocteau, Artaud... Mais lorsqu'il s'agit de Samuel Beckett, dont l'oeuvre éclectique échappe à toute classification, la tâche est particulièrement périlleuse. Beckett, s'il s'illustra en tant que grand romancier et dramaturge, auteur du très célèbre « En attendant Godot », fut également – on l'oublie trop souvent – metteur en scène et réalisateur de films pour le cinéma et la télévision.
Double lecture.
L'exposition du centre Pompidou franchit tous les obstacles. Elle a ceci d'original qu'elle propose, dans chaque thématique qu'elle développe, une double lecture de Beckett. D'une part, de nombreuses oeuvres d'artistes contemporains de l'auteur, et, d'autre part, des commandes auprès de jeunes artistes actuels. Ce regard parallèle est scénographié dès la première salle : des oeuvres d'artistes tels que Mona Hatoum, Bruce Nauman, Paul McCarthy ou Andrew Kötting, qui s'inspirent de l'univers beckettien, sont mises en relation avec les manuscrits de l'écrivain, ainsi qu'avec l'installation d'Alain Fleischer (un écran où apparaît un grand livre ouvert rempli de l'imaginaire de Beckett).
Dans l'espace consacré au théâtre, les pièces mythiques du dramaturge – de « Oh les beaux jours » à « l'Impromptu d'Ohio », en passant par « Fin de partie » – sont évoquées par des photos, des maquettes et des archives audiovisuelles, agrémentées par l'oeuvre sonore « Noir-Gris » de Jérôme Combier, jeune compositeur qui a imaginé un jeu de correspondance entre le rythme de l'écriture de Beckett et celui de la musique.
L'écrivain et l'homme.
Au milieu de l'exposition, une salle est consacrée à la biographie de Beckett, «ce truc qu'on appelle ma vie» disait-il. Le visiteur se familiarise, grâce à des photos, des correspondances, des archives intimes, avec l'écrivain, mais également avec l'homme : son enfance irlandaise, sa rencontre avec James Joyce, son engagement dans la Résistance, sa découverte du théâtre, son choix de la langue française (il écrira de nombreux romans dans notre langue)... « How far is the sky », une oeuvre de la réalisatrice Pascale Bouhénic, permet de suivre une série d'entretiens avec des témoins, des jeunes écrivains, des artistes, des lecteurs de Samuel Beckett (Werner Spies, Geneviève Asse, Jean Echenoz…).
D'autres curiosités allument l'oeil et attisent l'intérêt : « Film » que Beckett tourna en 1964 avec Buster Keaton ; la variation de Stan Douglas (jeune artiste canadien) autour du cinéma de Beckett et de celui d'Orson Welles ; « Quad », oeuvre surprenante que Beckett créa pour la télévision dans les années 1980 ; ou encore les toiles minimalistes de Sol LeWitt (disparu le 8 avril dernier), Robert Motherwell, Sean Scully et Bruce Nauman, et les textes bouleversants de poésie que Beckett rédigea sur l'oeuvre de son ami, le peintre Bram van Velde…
L'exposition se clôt sur de petits foyers d'écoute plongés dans le noir, où l'on peut entendre déclamer de cours textes de Beckett (lus par Michael Lonsdale). L'occasion de redécouvrir cette langue minimaliste, pure et lapidaire, cet univers où triomphent l'absurde et la dérision, ces mots qui disent la tragique condition humaine.
Ce parcours a aussi le mérite de montrer un autre Beckett : passionné de peinture, proche des peintres de son temps et inventeur d'une esthétique de l'image qui a profondément marqué une génération de vidéastes.
– Centre Pompidou, tél. 01.44.78.12.33, Tlj sauf mardi, de 11 h à 21 h. Entrée : 10 euros (8 euros). Jusqu'au 25 juin. – A voir : soirée de performance au Centre culturel irlandais (5, rue des Irlandais, 5e, tél. 01.58.52.10.30) : « Beckett's Ghosts Paris », les 3 et 4 mai, de 18 h à 21 h. Entrée : 3 euros. Représentation en continu de deux oeuvres courtes de Samuel Beckett (Not I et Breath). Les 11, 12 et 13 mai, « Beckett au cinéma » présente au centre Pompidou, sur grand écran, les films écrits et/ou réalisés par l'écrivain irlandais.
– A lire : « Objet Beckett », le catalogue de l'exposition (une vingtaine d'écrivains, français et étrangers parlent de Beckett), coédition centre Pompidou/IMEC, 127 p., 40 euros.
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