L 'ETUDE épidémiologique réalisée sous l'égide du Pr Spira* est la quatrième du genre. Depuis près de dix ans, les épidémiologistes se sont intéressés aux cas de leucémie survenus en Nord-Cotentin, région caractérisée par une forte implantation nucléaire.
Les études précédentes avaient été menées chez de jeunes enfants et de jeunes adultes de moins de 25 ans vivant à proximité de l'usine de retraitement des déchets nucléaires de la COGEMA à la Hague, en fonctionnement depuis 1966. Elles avaient toutes conclu à un faible excès de leucémies chez l'enfant, comparé à la valeur attendue statistiquement, exceptée l'étude du Pr Viel, qui constatait un excédent de leucémies infantiles dans le canton de Beaumont (4 cas pour 1,4 attendu).
Réalisés sur une période de suivi plus étendue (jusqu'en 1998), les travaux du Pr Spira s'appuient sur des méthodes d'analyse et d'estimation plus précises que celles employées auparavant.
Les scientifiques décrivent l'incidence des cas de leucémie selon le sexe, la zone de résidence, la tranche d'âge et le type de leucémie. Le travail des chercheurs a consisté à étudier les cas de leucémie enregistrés dans la population d'enfants et de jeunes adultes âgés de moins de 25 ans, résidant dans un rayon de 35 km autour de l'usine nucléaire de la Hague (zone comprenant plus de 60 000 personnes).
Les résultats de la dernière actualisation sont exprimés en termes de risque relatif de leucémie, c'est-à-dire le rapport entre la fréquence des cas de leucémie observée dans la population étudiée et la fréquence attendue au regard des données recueillies dans les autres registres français.
Or, les conclusions de l'étude du Pr Spira confirment les résultats obtenus par le Pr Viel. Elles montrent que le nombre total de patients atteints de leucémie sur l'ensemble des dix cantons du Nord-Cotentin entre 1978 et 1998 est comparable à ce qui est observé ailleurs en France. Dans cette zone, le risque relatif le plus élevé est observé au sein du canton de Beaumont-la Hague : au total, 5 cas sont apparus pour 2,3 attendus, soit un risque relatif de 2,17. A l'intérieur de ce canton, c'est pour les enfants âgés de 5 à 9 ans que l'on retrouve le risque relatif le plus élevé (3 cas alors que l'on en attendait 0,47, c'est-à-dire un risque relatif de 6,38).
Plusieurs hypothèses
Pour tenter d'expliquer la survenue de cette maladie, plusieurs pistes ont été avancées : l'exposition à la radioactivité des pères d'enfant atteint de leucémie, l'exposition des enfants et des jeunes adultes à la radioactivité environnante et les mouvements de population. Mais aucune étude épidémiologique n'a pu jusqu'à présent confirmer les deux premières pistes. La troisième hypothèse est actuellement explorée par l'équipe du Pr Spira. Des travaux en cours semblent indiquer qu'il existe une corrélation entre les mouvements de population qui se sont produits à l'occasion du « grand chantier » de construction de l'usine de la Hague et la survenue de leucémies. Cette hypothèse repose sur une éventuelle origine virale de la pathologie.
Pour l'association Les mères en colère, créée en 1997 pour « appeler la COGEMA à plus de transparence et d'objectivité », cette explication est inacceptable et « délétère ». La version du « brassage de population est un peu courte, disent-elles. L'accueil des ouvriers venus de Turquie et du Portugal était, certes, précaire, mais ils étaient au maximum 1 500 répartis dans tout le nord du département de la Manche, bien au-delà du seul canton de Beaumont ».
Les mères en colère préfèrent, quant à elles, mettre en avant le brassage des pollutions radioactives et chimiques, liquides et gazeuses qui seraient « en provenance de l'usine COGEMA-la Hague, de ses déchets entassés dans des silos et de la décharge voisine gérée par l'ANDRA ».
Au regard de l'étude qu'il a menée, le Pr Spira insiste sur la nécessité de poursuivre une surveillance fine de la survenue des cancers de l'enfant dans le département de la Manche « et en particulier des leucémies aiguës lymphoblastiques, pour mieux comprendre les circonstances de cette affection des globules blancs du sang ». Les mères en colère demandent, de leur côté, des examens réguliers de la numération sanguine des 830 enfants du canton de Beaumont, des études sur l'exposition des professionnels, des recherches sur les polluants pouvant avoir des effets sur l'ADN du fœtus et, enfin, l'arrêt du stockage et du retraitement des combustibles irradiés en provenance des pays étrangers.
* L'étude du Pr Spira paraît au mois de juillet dans le « Journal of Epidemiology and Community Health ».
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