Hommage à Boris Kochno à l'Opéra de Paris

Beau devoir de mémoire

Publié le 09/12/2001
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Classique

Si le nom de Diaghilev évoque les Ballets russes, il ne faut pas oublier le rôle joué par Boris Kochno (1904-1990) qui, à peine émigré de Russie, devint en 1921 son secrétaire à l'âge de 17 ans. Sa carrière se poursuivit après la mort du grand chorégraphe comme le montre le film de Pierre Philippe « Un portrait de Boris Kochno » montré en prélude à l'hommage que rend l'Opéra de Paris à ce personnage de la vie intellectuelle parisienne. Il fut à l'origine des Ballets 33 puis de ceux de Roland Petit (Ballet des Champs-Elysées), fut librettiste comme en attestent « Mavra », opéra-bouffe en un acte de Stravinski qui ouvrait cet soirée et « Le Fils prodigue », ballet en trois tableaux sur une musique de Serge Prokofiev, et catalyseur entre artistes comme pour « Les Sept Péchés capitaux » qu'il a suggéré en 1933 à Kurt Weill et Bertolt Brecht, alors réfugiés à Paris.

C'est donc un spectacle un peu atypique que cet hommage, une manière de club-sandwich européen avec un peu d'opéra, un peu de ballet et enfin la réunion des deux, mais en dépit de la diversité des styles des ouvrages présentés, un régal pour l'amateur de spectacle.
Gentille farce à la russe d'après Pouchkine concoctée par Kochno et Stravinski en 1922 en hommage à la Mère patrie, « Mavra » bénéficiait pour le défendre d'un excellent quatuor de chanteurs russes et l'ingénieuse mise en scène d'Humbert Camerlo présentant une datcha en coupe défilant comme un train à l'endroit puis à l'envers est irrésistible. Puis « Le Fils prodigue » (1929), dernière chorégraphie de Balanchine pour les Ballets russe de Diaghilev, pièce à l'argument biblique (parabole de Saint-Luc) sur une musique un peu faible bien que signée par Prokofiev, pourrait être fragile dans les vieux décors et costumes réalisés d'après les maquettes de Georges Rouault, si les merveilleux danseurs du Ballet de l'Opéra de Paris n'avaient pas réussi le miracle de la rendre passionnante. Le premier danseur Jérémie Bélingard, non seulement un athlète mais sachant aussi être très émouvant dans le tableau du retour et la danseuse étoile Agnès Letestu, royale dans son rôle de Courtisane ont rendu justice à la chorégraphie narrative et sans virtuosité inutile de Georges Balanchine.

Un bain de fantaisie

Il fallait que la nouvelle présentation très moderne des « Sept Péchés capitaux » (1933) ait les reins solides pour passer après cette plongée dans l'esthétique à la russe des années vingt. Laura Scozzi pour la chorégraphie et Laurent Pelly pour la mise en scène et les costumes, ont réalisé un bien plaisant spectacle, un vrai bain de fantaisie éloignant le propos de son esthétique un peu trop teutonne pour la rapprocher de la revue à l'américaine mais aussi égratigner cette Amérique de rêve que Brecht et Weill avaient déjà croqué dans leur « Mahagonny ». Ainsi dans une esthétique mêlant allègrement le confort américain corny des années quarante, l'art de l'affiche à la française et la satyre à tout crin, une dizaine de danseurs, quatre chanteurs figurant une famille américaine doublée par des danseurs-acteurs et une foule de figurants délurés illustrent au pied de la lettre mais avec une distance humoristique appropriée le propos chanté par Anna, narratrice de l'énumération des sept péchés.
Anna la première, c'est le mezzo-soprano suédois Anne Sofie von Otter méconnaissable dans sa robe à fleur et sous sa perruque rousse, belle - trop belle peut-être - interprète de la gouailleuse héroïne brechtienne. Mais Anna a son double, la danseuse étoile Elisabeth Maurin elle aussi dans un contre emploi vertigineux, son triple même car elle-même est doublée par Caroline Bance, pétulante choryphée, puis démultipliée à l'infini grâce aux excellentes danseuses de la troupe. Tous les clichés y passent et l'on s'amuse du début à la fin de cette fresque qu'il faudrait revoir plusieurs fois pour en apprécier toute la richesse.
Il faut aussi rendre justice à l'Orchestre de l'Opéra de Paris dirigé par Alexandre Polianichko impeccable tout au long de ce passionnant hommage.

Opéra-Garnier (08.36.69.78.68) dernières représentations les 10 et 11 décembre à 19 h 30. Prix des places : de 6,10 à 80,04 euros.
A l'occasion de cet hommage, l'Opéra de Paris a édité une superbe plaquette de 150 pages « Hommage à Boris Kochno », à la fois programme et mine de renseignements sur l'homme, son œuvre et son époque.

Olivier Brunel

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7027