LE QUOTIDIEN
La dégradation des comptes de la Sécurité sociale, et de ceux de la branche maladie en particulier, était-elle prévisible ?
BEATRICE MAJNONI D'INTIGNANO
Cette situation n'est en rien une surprise. Elle est liée au ralentissement de l'économie et au dérapage des dépenses de santé. En prenant ses fonctions, Jean-François Mattei a déclaré que la santé n'avait pas de prix - exactement la même formule que celle employée par Jack Ralite, en 1981 - et donc encouragé les médecins à faire fi de toute pression. Voici que le ministre est rejoint par le dérapage.
Le gouvernement prévoit de faire plus d'un milliard d'euros d'économie essentiellement avec les mesures sur le médicament annoncées dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2003. Est-ce réaliste ?
Oui, sûrement. On sait que le médicament est un domaine où les gaspillages sont très importants : il y a les médicaments sans utilité, les prescriptions qui ne sont pas toujours conformes aux indications définies par l'administration lors de l'autorisation de mise sur le marché (AMM)... Mais attention, l'économie, ce n'est pas « faire des économies » mais « faire au mieux avec l'argent disponible ».
Le système des forfaits de remboursement par groupe générique est-il source d'économie ?
Les Allemands font cela depuis dix ans. Cela leur a permis de baisser sensiblement le taux de croissance de leurs dépenses de santé. En outre, sur le principe, ces forfaits paraissent raisonnables. Aucune personne sensée ne peut pousser des cris d'orfraie devant cette décision qui aurait dû être prise depuis dix ans et que les gouvernements précédents n'ont pas prise uniquement par manque de courage politique. D'ailleurs, aujourd'hui, je suis sûre que la plupart des Français approuvent cette mesure.
Est-elle si facile à comprendre ? L'alignement du remboursement des médicaments sur celui de leur générique quand il existe n'est pas forcément une mesure très lisible pour le grand public.
Les choses me paraissent relativement simples. Si on dit aux gens : « Vous avez une boîte rouge à 100 euros, une boîte verte à 130 euros. Elles contiennent toutes les deux exactement la même chose. Est-il normal que la collectivité vous paie la plus chère, alors qu'il y a par ailleurs des besoins importants, en équipements de haute technologie dans les hôpitaux par exemple ? », ils comprendront vite. Ce n'est pas sorcier de prendre conscience qu'il vaut mieux mettre l'argent là où il est utile que là où il est inutile.
Certaines de ces économies ne se font-elles pas sur le dos de l'assuré ? Il ne connaît pas forcément l'existence d'un générique et peut donc être pénalisé.
Ne faisons pas l'injure aux assurés sociaux de penser qu'ils sont bêtes. Ils vont apprendre très vite à faire la différence entre la boîte verte et la boîte rouge. Il y a toujours des gens qui aiment porter des produits de marque, mais ceux-là peuvent se les payer.
Est-ce que la politique des forfaits ne tue pas le générique ?
Les pays qui ont fait le choix de ce genre de mesure consomment entre 30 et 40 % de génériques ; nous en consommons 5 %. Je pense donc, au contraire, que cela promeut puissamment le générique.
Sauf que, si les industriels font le choix d'aligner le prix de leurs médicaments princeps sur celui des génériques, l'utilité de ces derniers disparaît.
Cet alignement des prix est exactement ce qui s'est passé dans des pays comme l'Allemagne ou les Etats-Unis et, ainsi que je le disais, cela n'a pas fait disparaître le générique. Et quand bien même ! L'effet économique serait obtenu. Youpi, très bien. Après tout, peu importe que les gens consomment le générique ou le princeps si c'est pour le même prix.
Les médicaments qui vont être déremboursés ont aujourd'hui des prix bas par rapport au reste du marché et ne sont souvent remboursés qu'à 35 %. Dans ces conditions, l'économie réalisée paraît minime.
Mais si une centaine de ces médicaments dont l'efficacité n'a pas été démontrée est déremboursée, au bout du compte, on fera pas mal d'économies. Compte tenu de ce que la croissance est faible, de ce que les retraites coûtent très cher et de ce que les dépenses de santé augmentent, il n'y a que trois scénarios d'avenir possibles. Un scénario de régulation. Un scénario de déremboursement - selon moi - le tiers de ses charges peut être retiré à l'assurance-maladie. Un scénario de conflit des générations, dans lequel on ne maîtrise ni les dépenses de santé ni les retraites et on prélève pour la protection sociale 40 % du revenu des actifs.
Les médecins libéraux ne sont plus soumis à aucun système de maîtrise. N'est-ce pas un danger ?
Même si c'était légitime, on a eu tort d'accorder une augmentation très substantielle aux médecins généralistes - peu de Français ont vu leur revenu augmenter dans de telles proportions au cours des cent dernières années - sans introduire des efforts de régulation. Car il n'y a plus aucun système de régulation. Le contrôle des honoraires a été annulé par la Cour de cassation et par le Conseil d'Etat ; il n'y a pas d'optimisation des prescriptions. Or on ne peut pas penser que les dépenses de santé vont continuer d'augmenter sur un rythme annuel de + 7 % ou + 8 %. Ce n'est pas finançable. Qui va payer ?
Considérez-vous, en disant cela, que les mesures qui seront prises dans le cadre du PLFSS n'auront qu'un effet très marginal ?
Elles constituent une goutte d'eau, en effet, puisque les médicaments ne pèsent finalement pas très lourd dans les dépenses de santé - autour de 17 % des remboursements. Actuellement, les priorités concernent le traitement des urgences (je pense qu'il y a autant de gaspillage aux urgences que dans le domaine du médicament), la régulation des honoraires des spécialistes, la maîtrise de la prescription et la restructuration des hôpitaux.
(1) Béatrice Majnoni d'Intignano est professeur des Universités à Paris- XII-Val-de-Marne, elle est membre du Conseil d'analyse économique auprès du Premier ministre et a publié en 2001 aux PUF un « Que sais-je ? » consacré au thème « Santé et économie en Europe ».
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