LE CONSTAT du chaos mondial n'empêche pas de reconnaître que les gouvernements occidentaux se battent avec la dernière énergie contre la chute des marchés financiers et se donnent les moyens de requinquer un système en perdition. La débâcle des cours montre que la crise du crédit est compliquée par une crise de confiance : les acteurs économiques sont tellement démoralisés, la spéculation a acquis une si mauvaise réputation, l'avenir semble si sombre que les habitués de la Bourse ne sont même pas tentés de ramasser d'énormes paquets d'actions dont le prix est devenu dérisoire, sans rapport avec la réalité industrielle ou économique, et qu'il serait judicieux d'acheter.
S'il est incontestable que les gouvernements occidentaux ont trop tardé à mesurer la gravité de la crise du crédit, qui a commencé il y a quinze mois avec l'affaire des subprimes, on ne saurait dire que les dirigeants américains et européens sont restés inertes face à la panique générale. Tout au plus doit-on admettre que les Allemands ont hésité à jouer le jeu européen ; mais ils ont fini par se rallier au point de vue de Nicolas Sarkozy quand leurs réticences ont été balayées par la chute libre des cours. Sonnée par le passif de Hypo Real Estate (peut-être 100 milliards d'euros), inquiète des rumeurs pessimistes au sujet de l'invulnérable Deutsche Bank, la chancelière Angela Merkel a fini par approuver les démarches multiples auxquelles le président actuel de l'Europe se livre depuis plus d'une semaine.
Gauche et droite renvoyées à leurs démons.
De plus, la crise venue d'Amérique s'est propagée en Europe avec la vitesse d'un incendie de forêt au mois d'août. Maintenant, c'est clair : c'est à l'échelle planétaire que se livre la bataille, et la coordination de la baisse des taux d'intérêt en témoigne, même si cette baisse n'a pas freiné la chute des cours.
Bien entendu, personne n'est assez naïf pour croire que la détermination des gouvernements suffira à régler le problème. La question ne porte pas sur un incident de parcours que nous laisserions derrière nous avant la fin de l'année ; elle porte sur une thérapie qui sera administrée pendant de longs mois ; sur des conséquences économiques auxquelles nul n'échappera ; sur la réforme d'un système dont on ne cesse de nous dire qu'il est assez endommagé pour cesser de fonctionner comme auparavant ; et aussi sur la leçon indispensable qu'il faut tirer du drame financier.
Le chef de l'État a chargé François Fillon de défendre, mercredi devant l'Assemblée, la politique qu'il a adoptée face à la crise ; une fois de plus, le Premier ministre est descendu dans la fosse aux lions. Le débat d'idées qui agite les Français en ce moment est-il intéressant ? La gauche triomphe : n'a-t-elle pas toujours dénoncé la perversité de l'argent et de la finance, même si, depuis Mitterrand, elle s'est acoquinée avec eux ? Les socialistes, qui flirtaient récemment encore avec le libéralisme, sont embarrassés et cherchent à faire oublier une attitude conciliante qui serait condamnée par les faits. Mais il n'y a rien de sérieux dans ce débat : le capitalisme le plus échevelé n'a jamais empêché la forte présence de l'État dans tous les rouages économiques, ne serait-ce que par l'entremise du budget et par des programmes sociaux qui existent même aux États-Unis dans les domaines de la santé, de l'aide sociale et de la retraite.
A CEUX QUI VEULENT EN FINIR AVEC LE SYSTEME, IL FAUT REPONDRE PAR LA REFORME
Même Olivier Besancenot ne préconise pas un retour au collectivisme, qui s'est effondré avec fracas en 1989 (personne n'a une aussi courte mémoire). La caricature que l'on dresse du système à la faveur d'ardentes polémiques ne cachera pas une réalité tenace : en matière d'économie, c'est le dosage d'État qui compte ; ce sont les options budgétaires, l'utilité ou le danger du déficit, la fiscalité au service de la croissance, l'indispensable filet social.
La solution, c'est le bon sens.
L'idée qu'il est temps de jeter le système qui nous gouverne n'est pas seulement exagérée, même si les frustrations sont énormes, même si la crise est gravissime ; elle est tout simplement inapplicable. En revanche, l'idée que rien ne doit être interdit à un gouvernement quand la spéculation et l'irresponsabilité menacent les comptes en banque des gens modestes est parfaitement valable, et comment l'opposition parlementaire ne reconnaîtrait pas le bien-fondé de l'action de M. Sarkozy si la nécessité de s'opposer ne l'emportait sur la bonne foi ? Ce qui nous menace, après l'appauvrissement, c'est que nous nourrissions contre le capitalisme une telle aversion que nous renoncerions à ses avantages après avoir laissé ses inconvénients nous intoxiquer ; c'est que la réaction à la crise soit, en quelque sorte, à sa mesure : aussi destructrice qu'elle.
À quoi il faut s'empresser d'ajouter que nous avons tous été assez meurtris, ou que nous le serons encore assez, pour ne plus tolérer que la cupidité de quelques-uns mette en danger tous les autres. Quand la tempête aura cessé et quand nous évaluerons les dégâts, il faudra changer de fond en comble les règles du jeu financier, exiger la moralité des comptes, abandonner l'économie virtuelle et ses compositions surréalistes qui finissent par exploser, revenir, en quelque sorte, à l'arithmétique par opposition à l'équation à plusieurs inconnues. Mais la solution ne consiste pas à revêtir une salopette et à refaire les Cent Fleurs. La solution, c'est le pragmatisme, le réalisme et le bon sens.
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