Rhumatismes inflammatoires chroniques

Bases de génomique fonctionnelle

Publié le 23/04/2008
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PAR LES Dr THIERRY LEQUERRÉ, Pr XAVIER LE LOËT, Pr OLIVIER VITTECOQ Et LE Consortium EGERIE

CONTRAIREMENT à la génomique structurale qui se limite à l'étude du patrimoine génétique d'un individu, la génomique fonctionnelle apporte des informations sur les phénomènes de régulation de l'expression des gènes et sur les modifications post-transcriptionnelles (maturation des ARNm) ou post-traductionnelles (maturation des protéines) à l'origine des modulations des voies de signalisation cellulaires (figure 1). L'étude des gènes, des ARNm et des protéines qui en découlent représente maintenant trois approches complémentaires pour une meilleure compréhension des processus physiopathologiques impliqués dans les rhumatismes inflammatoires chroniques (RIC) (figure 1). Nous aborderons successivement l'étude de l'expression des gènes, puis celle des protéines, en décrivant de façon sommaire les technologies utilisées et les retombées attendues pour chacune d'entre elles.

L'étude de l'expression des gènes.

L'étude d'un ARNm (ou transcrit) permet de quantifier le niveau d'expression d'un gène à l'aide des techniques de Northern blot ou de Reverse Transcription-Polymerase Chain Reaction (RT-PCR) et de localiser préférentiellement le transcrit à l'aide de l'hybridation insitu (figure 1). La limite essentielle de ces techniques est leur incapacité à étudier un grand nombre de gènes simultanément ne donnant pas une vue globale des processus impliqués. C'est pourquoi les techniques de « puces à ADN » ou « microarrays » ont été développées afin d'analyser le transcriptome, c'est-à-dire l'ensemble de tous les ARNm présents dans une cellule ou un tissu donné, dans une condition physiologique ou pathologique et à un moment donnés. Il est maintenant bien établi qu'une telle identification de l'ensemble des gènes exprimés dans une cellule et l'analyse de leurs fluctuations apportent une somme inestimable d'informations que ne peut remplacer l'analyse, même très détaillée, de l'expression de quelques gènes et de leurs transcrits (1, 2). Avec une telle approche, J. E. Gottenberg et coll. ont pu définir une « signature interféron » (ensemble de gènes régulés par l'interféron) dans le syndrome de Goujerot-Sjögren par analyse des glandes salivaires accessoires (3). A partir des cellules mononucléées (lymphocytes et monocytes) du sang périphérique (PBMC), F. Allantaz et coll. ont identifié un profil d'expression génique (combinaison de transcrits) constitué de 88 gènes permettant de poser le diagnostic d'arthrite juvénile idiopathique dans sa forme systémique dès les premiers symptômes (4). L'analyse des transcriptomes de PBMC nous a permis d'identifier et de valider une combinaison de marqueurs prédictifs de réponse à l'infliximab (anti-TNFa), mais aussi à l'anakinra (IL-1Ra) chez des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde (PR) (5, 6). L'analyse des transcriptomes, c'est-à-dire des ARNm, peut donc fournir de précieuses informations pour l'identification de marqueurs du diagnostic et du pronostic d'une maladie ou de réponse aux traitements.

L'étude de l'expression des protéines.

Les techniques de Western blot ou ELISA permettent de détecter la présence et l'abondance de quelques protéines. Il s'agit de produits situés en aval des gènes et des ARNm. A l'instar du transcriptome, le protéome correspond à l'ensemble des protéines présentes dans une cellule, un tissu ou un prélèvement biologique, à un instant et dans un environnement donnés. Il existe plusieurs outils pour étudier l'expression des protéines (figure 3) (7). L'électrophorèse bidimensionnelle (séparation des protéines en fonction de leur charge électrique et en fonction de leur masse moléculaire) et la spectrométrie de masse (SM : appareil servant à définir le spectre de masse moléculaire spécifique de chaque peptide) permettent de caractériser certaines protéines avec leurs modifications post-traductionnelles (maturation des protéines : glycosylation, phosphorylation, déamination…) (8, 9). Cette approche est performante, mais dispose d'un faible débit d'où le développement de plates-formes associant le fractionnement des échantillons protéiques par chromatographie (séparation des protéines en fonction de leur différence d'affinité entre une phase mobile et une phase stationnaire) et la SM pour obtenir des profils protéiques plus rapidement. Ces techniques offrent l'avantage de détecter des protéines à faible concentration, mais la quantification est souvent difficile, d'où le développement de techniques SELDI-TOF (Surface Enhanced Laser Desorption and Ionization) qui permettent de fixer les protéines d'un milieu biologique complexe sur différentes surfaces ou billes selon leur affinité biochimique ou biologique et de les analyser ensuite par SM. Enfin, il existe des outils permettant de mesurer de multiples paramètres simultanément et qui consistent à détecter plusieurs molécules simultanément dans un seul milieu réactionnel, dans une même unité de temps. Ces techniques dites multiplex permettent de mesurer des marqueurs déjà connus en réalisant une réduction significative de coût, de temps et de volume d'échantillons biologiques. Ces systèmes multiplex font appel à des biopuces ou biochips, directement inspirées des puces à ADN. En analysant le liquide synovial et le sérum de 10 patients atteints de PR (5 patients « érosifs » et 5 patients « non érosifs ») par chromatographie et SM, H. Liao et coll. ont déterminé 33 marqueurs sur 418 protéines identifiées, capables de discriminer parfaitement les patients « érosifs » et « non érosifs ». Ces marqueurs (protéine C réactive, cagranulines S100A8, S100A9, S100A12…) ont été ensuite validés dans le sérum de 30 autres patients atteints de PR (15 « érosifs » et 15 « non érosifs ») (10). Par ailleurs, C. Trocmé et coll. ont identifié un set de protéines sériques capables de prédire la réponse ou la non-réponse à l'infliximab chez des patients atteints de PR (11).

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Figure 3. Exemple d'analyse protéomique

La méthode SELDI-TOF est fondée sur la capture des protéines par une surface de type chromatographique (hydrophobe, ionique, métallique...). La révélation des molécules retenues par cette surface est assurée par un spectromètre de masse donnant ainsi un profil des protéines retenues.

L'analyse des transcriptomes et des protéomes devrait permettre d'identifier des gènes cibles et/ou des biomarqueurs diagnostiques, pronostiques ou de prédiction de la réponse aux traitements. A terme, des algorithmes, élaborés à partir de combinaisons de marqueurs transcriptomiques et protéomiques permettront, sans aucun doute, d'optimiser la prise en charge des RIC.

* Service de rhumatologie, CHU-hôpitaux de Rouen & INSERM 905, IFRMP 23, Institut hospitalo-universitaire de recherche biomédicale, université de Rouen.

Glossaire

Chromatographie d'affinité: technique d'analyse qualitative et quantitative au cours de laquelle un échantillon contenant une ou plusieurs espèces est entraîné par un courant de phase mobile (liquide, gaz ou fluide) le long d'une phase stationnaire.

• Microarray: support en verre sur lequel sont déposées de façon ordonnée des sondes connues (oligonucléotides) et destinées à être hybridées avec les ARNm de deux conditions biologiques différentes et marqués par deux fluorophores différents.

• Profil d'expression génique ou signature: combinaison de gènes.

• Protéome : ensemble des protéines présentes dans une cellule ou un tissu, à un moment et dans une condition donnés.

• Spectrométrie de masse: technique physique d'analyse permettant de détecter et d'identifier des molécules d'intérêt par mesure de leur masse mono-isotopique.

• Traduction : processus par lequel les ARNm sont traduits en protéines.

• Transcription : processus biologique ubiquitaire qui consiste, au sein de la cellule, en la copie des régions codantes de l'ADN en molécules d'ARNm.

• Transcriptome : ensemble des ARNm présents dans une cellule ou un tissu, à un moment et dans une condition donnés.

Références bibliographiques :
(1) Lequerré T, Coulouarn C, Derambure C, Lefebvre G, Vittecoq O, Daveau M, Salier JP, Le Loët X. A new tool for rheumatology: large-scale analysis of gene expression. Joint Bone Spine 2003;70:248-56.
(2) Devauchelle V, Chiocchia G. What place for DNA microarray in inflammatory diseases? Rev Med Interne 2004; 25:732-9.
(3) Gottenberg JE, Cagnard N, Lucchesi C, Letourneur F, Mistou S, Lazure T, Jacques S, Ba N, Ittah M, Lepajolec C, Labetoulle M, Ardizzone M, Sibilia J, Fournier C, Chiocchia G, Mariette X. Activation of IFN pathways and plasmacytoid dendritic cell recruitment in target organs of primary Sjögren's syndrome. Proc Natl Acad Sci U S A 2006; 103:2770-5.
(4) Allantaz F, Chaussabel D, Stichweh D, Bennett L, Allman W, Mejias A, Ardura M, Chung W, Wise C, Palucka K, Ramilo O, Punaro M, Banchereau J, Pascual V. Blood leukocyte microarrays to diagnose systemic onset juvenile idiopathic arthritis and follow the response to IL-1 blockade. J Exp Med 2007; 204:2131-44.
(5) Lequerré T, Gauthier-Jauneau AC, Bansard C, Derambure C, Hiron M, Vittecoq O, Daveau M, Mejjad O, Daragon A, Tron F, Le Loët X, Salier JP. Gene profiling in white blood cells predicts infliximab responsiveness in rheumatoid arthritis. Arthritis Res Ther 2006; 8:R105-15.
(6) Bansard C, Lequerré T, Hiron M, Vittecoq O, Derambure C, Daveau M, Pouplin S, Mejjad O, Daragon A, Salier JP, Le Loët X. Identification de marqueurs prédictifs de réponse à l'anakinra chez des patients atteints de polyarthrite rhumatoïde. SFR 2007, Paris Rev Rhum 2007;74:
(7) Lehmann S, Dupuy A, Peoc'h K, Roche S, Baudin B, Quillard M, Berger F, Briand G, Chwetzoff S, Dine G, Gonzalo P, Dastugue B, Sève M, Siest G, Beaudeux JL. Present possibilities and future development of clinical proteomics. Ann Biol Clin 2007; 65:463-71.
(8) Saulot V, Vittecoq O, Charlionet R, Fardellone P, Lange C, Marvin L, Machour N, Le Loët X, Gilbert D, Tron F. Presence of autoantibodies to the glycolytic enzyme alpha-enolase in sera from patients with early rheumatoid arthritis. Arthritis Rheum 2002; 46:1196-201.
(9) Goëb V, Thomas-L'Otellier M, Daveau R, Charlionet R, Fardellonne, Tron F, Le Loët X, Gilbert D, Vittecoq O. The auto-immune response in early rheumatoid arthritis is directed against citrullinated enzymes of the glycolytic pathway and molecular chaperonins. Arthritis Rheum 2007;54: S.
(10) Liao H, Wu J, Kuhn E, Chin W, Chang B, Jones MD, O'Neil S, Clauser KR, Karl J, Hasler F, Roubenoff R, Zolg W, Guild BC. Use of mass spectrometry to identify protein biomarkers of disease severity in the synovial fluid and serum of patients with rheumatoid arthritis. Arthritis Rheum 2004; 50:3792-803.
(11) Trocmé C, Grange L, Marotte H, Prades B, Alexandre C, Tebib J, Miossec P, Morel F, Juvin R, Gaudin P. Predictive response to rheumatoid arthritis infliximab treatment : detection of serum biomarkers by SELDI- TOF technology. Arthritis Rheum 2004;51: S244.

LE LOET Xavier, LEQUERRE Thierry, VITTECOQ Olivier

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8360