C’EST EN 1988, à l’hôpital Saint-Louis (Paris), que le Pr Eliane Gluckmann a réalisé la première greffe de sang placentaire. Le patient, un enfant atteint d’une maladie hématologique génétique grave, l’anémie de Fanconi, avait été traité avec succès grâce aux cellules souches contenues dans le sang de cordon de sa petite soeur, donneuse compatible d’un point de vue immunologique et indemne de la maladie. Depuis, la greffe de sang de cordon est devenue une alternative reconnue à la greffe de moelle dans le traitement de diverses maladies du sang, en particulier dans celui des leucémies.
Des banques publiques de sang placentaire, dont l’approvisionnement dépend de dons bénévoles, anonymes et gratuits, ont été constituées en Europe et au Etats-Unis dès le début des années 1990. Leur fonctionnement inclut un système de traçabilité qui permet, en cas de besoin, la réalisation de greffes autologues (faites au donneur lui-même) ou allogéniques intrafamiliales (faites à un parent du donneur), si l’échantillon donné n’a pas déjà été utilisé pour traiter un malade non apparenté.
Plus de 5 000 unités de sang placentaire sont aujourd’hui conservées dans les deux banques publiques françaises (localisées à Besançon et à Bordeaux) et près de 240 000 unités sont disponibles au travers du réseau international mis en place par le Bone Marrow Donors Worldwide. L’an passé, ces dons ont permis la greffe de 174 patients français.
Parallèlement à ces initiatives publiques, gratuites et altruistes, des dizaines de banques privées de sang de cordon ont été créées depuis le milieu des années 1990, d’abord aux Etats-Unis, puis un peu partout dans le monde. Pour, en moyenne, de 1 000 à 2 000 euros (plus une centaine d’euros par année de stockage), ces banques proposent aux futurs parents de recueillir et de conserver pour eux les précieuses cellules contenues dans le sang de cordon de leur enfant. L’utilisation des cellules sera alors réservée à l’enfant et à sa famille.
Aucun établissement de ce type n’a encore été autorisé en France. Cependant, aucun texte ne les interdit a priori, dans la mesure où ils peuvent fournir des preuves de leur respect des techniques de bonnes pratiques et des principes éthiques fixés par le code de la santé.
Interrogé sur l’intérêt de ces banques commerciales, le comité consultatif national d’éthique (Ccne) a adopté une position réservée. Il ne considère pas qu’il soit «légitime de s’opposer de parti pris à une volonté affirmée de parents qui désireraient préserver toutes les chances d’une potentialité thérapeutique de cellules souches autologues pour leur enfant dans le futur», mais il s’inquiète «d’une vision excessivement utilitariste, utopiste et commerciale de la conservation autologue du sang placentaire».
Des risques non maîtrisés.
La liste des arguments contre une conservation privée des cellules de sang de cordon se divise en deux catégories, scientifique et éthique.
D’un point de vue scientifique, dans l’état actuel des connaissances, le stockage systématique de cellules de sang de cordon dans la perspective d’une greffe autologue semble tout simplement inutile : les indications thérapeutiques à la greffe autologue de cellules de sang de cordon sont en effet, pour l’instant, presque virtuelles. D’après le Groupe européen d’éthique des sciences et des nouvelles technologies, la probabilité actuelle qu’une unité de sang de cordon soit utilisée dans le cadre d’une greffe autologue est de l’ordre de 1/20 000.
La greffe de sang placentaire est aujourd’hui exclusivement indiquée dans le traitement de maladies hématologiques, essentiellement dans celui de leucémies aiguës. Or le recours à une greffe allogénique de moelle ou de cellules de sang de cordon paraît généralement plus adapté au traitement de ces pathologies que la greffe autologue, cela pour plusieurs raisons : d’une part, il semble qu’une compatibilité immunologique légèrement « imparfaite » des cellules greffées participe à l’efficacité de la greffe, peut-être en favorisant l’élimination des cellules leucémiques (on parle de réaction du greffon contre les cellules leucémiques). D’autre part, l’existence de mutations préleucémiques dans les cellules recueillies à la naissance du patient ne peut a priori être exclue. Greffer des cellules autologues à un malade atteint de leucémie, c’est donc prendre le risque de lui apporter des cellules déjà altérées. Enfin, on ignore tout de la survie par congélation des cellules souches à plus de dix ans. Si une greffe autologue doit être envisagée plus d’une décennie après la naissance du patient, rien ne garantit que ses cellules placentaires auront conservé leur intégrité et leur capacité à reconstituer son système hématopoïétique.
Pour s’affranchir de ces limitations, les banques privées de sang de cordon ont développé un argument massue : les promesses de la médecine régénératrice. Des lignées de cellules souches mésenchymateuses multipotentes, potentiellement capables de conduire à la formation de cellules de l’os, du cartilage, des muscles, du foie et de bien d’autres tissus, ont récemment été identifiées dans le sang de cordon*. Les dirigeants des banques commerciales affirment que, dans un avenir très proche, ces cellules pourront servir à régénérer la plupart des tissus vitaux de l’enfant donneur. Choisir de conserver le sang de cordon de son bébé reviendrait donc à «ne pas laisser passer l’unique chance de préserver le composant clé de solutions thérapeutiques qui permettront de soigner des pathologies aussi diverses que la maladie d’Alzheimer, la maladie de Parkinson ou le diabète». Cependant, les chercheurs sont encore loin de maîtriser les processus qui permettront peut-être un jour d’utiliser ces cellules souches pour réparer n’importe quel tissu adulte endommagé. Les fascinantes propriétés de ces cellules à tout faire vont en effet de pair avec leur capacité à faire ce qu’on ne leur demande pas, comme s’engager dans une voie de différenciation inappropriée ou se transformer en cellule cancéreuse. De longues années d’expérimentation sont encore nécessaires pour que l’utilisation des cellules souches adultes multipotentes aboutisse à des applications cliniques.
De plus, si la progression des connaissances sur les cellules souches de sang placentaire permettait un jour d’élargir leur champ d’utilisation thérapeutique, la maîtrise de la manipulation des cellules souches issues du sang périphérique et d’autres tissus adultes aura certainement évolué en parallèle. On peut facilement imaginer qu’il sera alors préférable d’utiliser des cellules souches adultes « fraîchement » prélevées sur le patient, que des cellules de sang placentaire conservées depuis de nombreuses années.
La survie de la société.
D’un point de vue éthique, le Ccne souligne que «l’instauration de telles banques est de nature à s’opposer au principe de solidarité, sans lequel il n’y a pas de survie possible pour une société quelle qu’elle soit». Les banques privées commerciales constituent un obstacle au don altruiste et à la constitution de banques destinées à fournir des échantillons biologiques pour des greffes allogéniques. De plus, elles mettent en cause les principes de justice et d’équité : «Si des indications raisonnables à greffe de sang placentaire existaient, il conviendrait en effet que la proposition devint systématique et organisée, prise en charge, contrôlée sous la responsabilité publique», insiste le comité d’éthique.
* Lee et coll. « Blood », 2004, vol. 103, pp. 1669-1675.
Le don de sang placentaire en pratique
Le sang placentaire est collecté après la naissance et avant la délivrance. Cette collecte n’est pas douloureuse et ne comporte aucun danger, ni pour la mère ni pour l’enfant. Elle ne modifie pas les gestes médicaux de l’accouchement.
Cinq conditions sont indispensables pour réaliser ce don : l’entretien avec un médecin spécialiste pendant la grossesse, l’accouchement dans une maternité habilitée, l’examen clinique du bébé à la naissance et à l’âge de 3 mois, l’analyse du sang de la mère en vue d’un dépistage d’éventuelles maladies infectieuses au moment de l’accouchement et, trois mois plus tard, le devoir d’informer la banque en cas de survenue d’une maladie grave.
Pour toute question : France greffe de moelle, secrétariat des donneurs, tél. 01.55.93.65.34. Registre France greffe de moelle, Agence de la biomédecine, 1, avenue du Stade-de-France, 93212 La Plaine-Saint-Denis Cedex.
Avantage et limitation de la greffe de cellules placentaires
Les cellules de sang de cordon présentent un avantage par rapport aux cellules de la moelle osseuse : leur jeunesse et leur caractère immature semblent en effet diminuer le risque de rejet immunologique en cas de compatibilité HLA imparfaite et réduire la réaction du greffon contre l’hôte. Malheureusement, le nombre de cellules souches hématopoïétiques obtenues à partir d’un cordon est bien inférieur à celui recueilli lors d’un don de moelle (environ dix fois moins). De ce fait, ce type de greffe n’est généralement envisageable que chez les patients dont le poids est inférieur à 50 kg. C’est la raison pour laquelle le succès clinique des greffes de sang de cordon concerne essentiellement les enfants.
Cependant, des travaux récents montrent que la greffe de deux unités de sang placentaire, aussi proches que possible sur le plan de la compatibilité immunologique, pourrait être envisagée chez des sujets de poids plus élevé.
Par ailleurs, de nombreuses équipes de recherche s’attellent à la mise au point de protocoles qui permettraient d’obtenir une multiplication ex vivo des cellules thérapeutiques présentes dans le sang de cordon. Cette technologie pourrait en outre concilier la conservation de cellules de sang de cordon pour une utilisation autologue et le don pour une utilisation allogénique.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature