C'EST PAR LA BANDE qu'a (re)surgi le dossier de la représentativité des syndicats médicaux. Interrogée par le sénateur UMP Alain Vasselle, dans le cadre de l'examen du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), Roselyne Bachelot a mis les pieds dans le plat. «La question de la représentativité des syndicats professionnels de médecins est posée, a admis la ministre de la Santé (…) J'ai encore besoin d'approfondir la concertation, avant de la finaliser dans les semaines à venir. Je pourrai répondre très bientôt à vos interrogations.» Très bientôt ? Au ministère de la Santé, on décrypte la « sortie » de Roselyne Bachelot avec une prudence de Sioux. «La représentativité des syndicats est un sujet de préoccupation récurrent depuis les élections aux URML (unions régionales de médecins libéraux) , explique-t-on avenue de Ségur. Le fait est que la vie de la convention est réduite: il y a des gens dedans, des gens dehors qui veulent rentrer. Pour le gouvernement, il est important d'intéresser la profession à accompagner les réformes…»
Une façon de placer l'enjeu de la représentativité sur le terrain conventionnel, donc politique. A juste titre : seules les organisations représentatives participent à la négociation avec l'assurance-maladie, où se décident les affaires sonnantes et trébuchantes de la médecine libérale ; et, depuis 2006, seuls les syndicats représentatifs peuvent exercer le droit d'opposition majoritaire aux accords conventionnels. Redistribuer les cartes, même partiellement, ne serait sans doute pas neutre.
Les raisons du malaise.
La dernière enquête de représentativité a été diligentée à l'été 2002 par Jean-François Mattei. Le résultat (voir encadré) a aiguisé les antagonismes syndicaux et les surenchères, créant un contexte qui n'a pas facilité la marche du train conventionnel.
Cinq ans plus tard, le malaise demeure. La Fédération des médecins de France (FMF) n'a jamais digéré d'avoir été « disqualifiée » dans le collège généraliste en 2002 au moment où des centaines de médecins des coordinations rejoignaient son giron. Ce syndicat hostile à la convention actuelle estime surtout avoir gagné dans les urnes en 2006 sa «légitimité démocratique» pour représenter les médecins dans les deux collèges. Pour la FMF, la représentativité est une condition sine qua non d'une éventuelle implication dans le processus de réformes.
L'audience électorale, un indice important.
Autre discordance : la représentativité établie en 2002 ignore par définition la percée récente du syndicat Espace Généraliste (EG) qui, malgré son implantation géographique en peau de léopard, a obtenu 12 % des voix généralistes aux élections professionnelles de 2006. A contrario, la représentativité pour les spécialistes qu'avait obtenue le syndicat Alliance (issu en 2002 de la fusion de l'Union collégiale des chirurgiens et spécialistes français – UCCSF – et du SMI-France) n'irait plus de soi. Or cette organisation, implantée dans les spécialités à plateaux techniques, est un des trois signataires de la convention.
Dès lors, qui mérite d'être représentatif aujourd'hui ? Quelle importance accorder aux résultats des élections aux URML ? Surtout, le gouvernement peut-il changer les règles du jeu à mi-parcours de la convention, sans attendre la période normale de déclenchement d'une enquête, six à neuf mois avant l'échéance de la convention (ce qui conduirait à 2009) ?
La réponse à ces questions pourrait redessiner le paysage syndical et modifier les équilibres conventionnels.
En 2002, la représentativité avait été appréciée en fonction des critères suivants : effectifs et cotisations ; indépendance ; expérience ; et ancienneté du syndicat. L'an passé, la loi de financement de la Sécurité sociale a ajouté l' «audience électorale» sans préciser la valeur de cet item. Il y a un an, Xavier Bertrand, ministre de la Santé, avait donné sa vision des choses : le résultat des élections aux URML sera un «indice important», mais pas le «seul critère» de représentativité. Le ministre insistait sur l'implantation sur une part «significative» du territoire, des cotisants «suffisants», une ancienneté «minimale»…Si elle en a l'intention, Roselyne Bachelot pourrait rouvrir le dossier de la représentativité sur la base de ce cahier des charges.
Syndicats « croupions ».
En attendant, ses propos au Sénat ne sont pas passés inaperçus.
Partenaire de plus en plus critique, le président de la CSMF (Confédération des syndicats médicaux français) s'inquiète d'un «tripatouillage» sans concertation qui pourrait aboutir à favoriser «des syndicats croupions plus dociles à manoeuvrer». Si la représentativité «peut être discutée»,le Dr Michel Chassang estime que la principale réforme consisterait à instaurer une représentativité «unique» (généralistes/spécialistes), permettant de prendre en considération l'accès de la médecine générale au rang de spécialité. Ce qui poserait la question juridique du sort des organisations monocatégorielles… Au Syndicat des médecins libéraux (SML), le Dr Dinorino Cabrera a rodé son discours : «Le calendrier des enquêtes n'est pas celui des élections et je n'accepterai pas de m'engager si les règles changent en cours de route.»
Pour les organisations non signataires, les propos de Roselyne Bachelot peuvent traduire la volonté de faire bouger les lignes, en clair de dépasser l'axe CSMF/SML, ce qui serait un début d'ouverture. «Les choses bougent, il y a des appels du pied, constate le Dr Thierry Lebrun, premier vice-président de MG-France. Les états généraux sont un autre signe positif.» Pour le Dr Claude Bronner, qui préside Espace Généraliste, non représentatif, Roselyne Bachelot joue «au chat et à la souris». «Il y a deux hypothèses, analyse-t-il. Soit elle met la pression sur ses partenaires, soit elle veut vraiment changer la donne, si c'est la deuxième solution, je serais ravi.» Quant à la FMF, elle ne peut que tirer profit d'une remise à plat. «Mais pas besoin de lancer une enquête, les urnes ont parlé»,ironise le Dr Jean-Paul Hamon, chef de file de la FMF-Généraliste.
Quels soutiens pour les réformes de demain ?
Le débat de la représentativité est relancé dans un contexte particulier où les stratégies des uns et des autres ne sont pas figées. Les opposants du moment (FMF, MG-France) s'interrogent périodiquement sur l'opportunité de rejoindre une convention sur de nouvelles bases ; inversement, les soutiens de 2004-2005 (CSMF, SML) ont durci le ton, menaçant parfois de quitter le navire ; et des rapprochements se dessinent (FMF-Généraliste, Espace Généraliste).
Pour certains experts, enfin, les états généraux peuvent remettre en avant le rôle « politique » de MG-France. Pas anodin alors que se profilent des rendez-vous majeurs : réforme des recettes de la protection sociale, réforme du financement de la santé, mise en place des agences régionales de la santé (ARS). Derrière l'affaire de la représentativité syndicale pourraient donc se préparer d'autres grandes manoeuvres.
Le verdict de 2002 contesté par les élections de 2006
En 2002, l'enquête de représentativité avait « qualifié » la CSMF et le SML dans les deux collèges (généralistes et spécialistes). La FMF, en revanche, avait échoué dans sa tentative de représenter aussi les généralistes. MG-France, syndicat monocatégoriel, avait été logiquement déclaré représentatif des généralistes et Alliance avait gagné son pari chez les spécialistes.
Quatre ans plus tard, les élections 2006 aux unions régionales de médecins libéraux (URML) avaient troublé le jeu (irruption d'Espace Généraliste et de l'Union collégiale ; progression de la FMF-Généraliste non représentative ; effacement d'Alliance...). Les résultats étaient les suivants :
• Vote des généralistes
– MG-France : 31 %
– CSMF-UNOF : 26 %
– SML : 11 %
– FMF : 16 %
– Espace Généraliste : 12 %
– Autres : 4 %
• Vote des spécialistes
– CSMF : 38 %
– FMF : 36 %
– SML : 16 %
– Union collégiale : 8 %
– Autres : 2 %
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