AU TERME de quatre mois de « brainstorming » national sur l'organisation des soins de premier recours, Roselyne Bachelot n'avait pas l'intention de gâcher, par des propos trop incisifs, la journée de restitution des travaux des états généraux de l'organisation de la santé (EGOS). Dans son discours de clôture en présence d'élus, de professionnels, de patients, de représentants des syndicats de praticiens installés et de jeunes médecins, la ministre de la Santé a énuméré les propositions les plus consensuelles émanant de la synthèse des travaux (adaptation des cursus de formation, renforcement de la coopération interpro, maisons de santé, transfert maîtrisé de tâches), évitant soigneusement d'aborder les sujets de friction potentiels (régulation éventuelle dans les zones surdotées, contraintes pour les médecins déjà installés…) de même que la question pourtant cruciale des moyens financiers à sa disposition. Des précautions qui n'ont pas empêché son intervention d'être perturbée pendant plusieurs minutes par les protestations de quelques dizaines de représentants des infirmières (voir encadré).
Arbitrages.
Le gouvernement dispose en tout cas d'un « kit » complet de recommandations dans tous les domaines pour rénover les soins de premiers recours et garantir une égalité d'accès aux soins par une meilleure répartition des professionnels (lire ci-dessous). Le travail ne manque pas d'allure mais son sort reste incertain. «Les fruits de cette réflexion, je vous le garantis, vous les retrouverez dans le projet de loi que je défendrai dans quelques mois [à l'automne, NDLR] , a assuré Roselyne Bachelot. Vous les retrouverez aussi dans les négociations conventionnelles.» Les arbitrages ne sont pas rendus et il faudra attendre la double traduction législative et conventionnelle pour vérifier l'impact concret des EGOS.
La ministre a du moins confirmé sa volonté d'avancer sur la coopération interprofessionnelle et le transfert «maîtrisé» de certaines tâches (« le Quotidien » du 7 avril). «Les médecins sont débordés par des actes de suivi qui pourrait être assurés par d'autres.»
Elle a également rassuré les médecins de ville en garantissant que les maisons de santé pluridisciplinaires «procéderont d'initiatives libérales».Cent projets seront soutenus financièrement pour 2008, à hauteur de 50 000 euros par projet, un «effort qui sera poursuivi et amplifié». Pour Roselyne Bachelot, ces regroupements constituent «le substrat nécessaire à une organisation du travail».
La ministre reprend également à son compte la notion d' «organisation de l'offre de soins de premiers recours». Et, pour la première fois, elle avance l'idée d'un «interlocuteur de sortie» pour orienter les patients après une hospitalisation dans le maquis des soins libéraux. Cette nouvelle fonction de « coordinateur » sera-t-elle rémunérée ? On n'en saura pas plus. D'autres retouches sont à l'étude. Les cursus de formation initiale des professions de santé devront favoriser le «décloisonnement ville-hôpital».Quant au lancement du dispositif de formation continue obligatoire, il est (une nouvelle fois) reporté et sera redéfini dans le cadre du projet de loi «dès l'automne».
Roselyne Bachelot n'ayant cité explicitement aucune mesure contraignante (ni sur l'installation dans les zones désertées ni pour les médecins installés dans les zones surdotées), les réactions du monde médical traduisent, à l'exception de la CSMF (Confédération des syndicats médicaux français), une bienveillante neutralité.
La retenue des médecins .
«Il ne pouvait pas sortir de grandes choses de ces EGOS, juge le Dr Dinorino Cabrera (Syndicat des médecins libéraux, SML). Il y a eu beaucoup d'auditions, la médiatisation d'un débat, place aux négociations.» Pour MG-France, les travaux marquent une étape qui formalise mieux l'échelon des soins primaires. «L'ensemble des problèmes posés est d'une telle ampleur qu'ils nécessitent une réforme ambitieuse, commente son président, le Dr Martial Olivier-Koehret. Il faudra de nombreuses mesures pendant une période prolongée et une volonté politique forte pour répondre à la crise.» Emmanuel Gallot, président des internes de médecine générale (ISNAR-IMG) est persuadé que la réforme demandera du temps : «Nous avons esquissé des solutions qui nécessiteront des outils conventionnels et législatifs.» Pour le Dr Jean-Claude Régi, président de la FMF (Fédération des médecins de France), « c'est une plate-forme solide pour débuter les négociations».
Seule la CSMF exprime ouvertement ses «doutes». «Les états généraux ne doivent en aucun cas déboucher sur des mesures pénalisant les médecins déjà installés», met en garde le Dr Michel Chassang. Le président de la Confédération s'inquiète également des «capacités de l'Etat à financer les promesses des EGOS après l'annonce d'un plan de rigueur pour la Sécu par le ministre du Budget».
Les infirmières brouillent le message de la ministre
Une quarantaine d'infirmières de la Fédération nationale des infirmières (FNI) et de l'Organisation nationale des syndicats d'infirmiers libéraux (ONSIL) ont manifesté bruyamment leur mécontentement lors de la clôture des états généraux. Faisant retentir des cornes de brume, elles ont rendu inaudible le début du discours de Roselyne Bachelot. «Ces concertations n'ont laissé aucune place aux vrais débats pour ne pas déroger à la pensée unique du moment», commentait à la sortie de la Maison de la chimie, Philippe Tisserand, président de la FNI. La Fédération et l'ONSIL estiment ne pas avoir eu l'occasion d'exprimer leur avis pendant ces états généraux. «Ces conclusions proposent une vision passéiste de l'infirmière», décrie l'ONSIL, pour qui les états généraux se résument à «la promotion des maisons de santé avec à terme le salariat pour les infirmiers libéraux». «Nous n'avons pas eu l'occasion de revenir sur le démantèlement de notre profession en réintroduisant la ré-ingénierie des diplômes, vaste chantier de démolition et d'éclatement de notre profession», affirme Jean-Michel Elvira, président de l'ONSIL. Les deux associations d'infirmières demandent une nouvelle concertation. Elles déplorent que l'Union nationale des professionnelles des professions de santé (UNPS) ait chapeauté la deuxième phase des EGOS, «sans tenir compte des critères de représentativité syndicale». «Tous les membres de l'UNPS ont été concertés et la FNI a refusé de présider une table ronde lors de la réunion conclusive», assure le Dr Cabrera, président de l'UNPS.
La FNI envisage de lancer un mot d'ordre d'arrêt de la permanence des soins infirmiers lors des ponts du mois de mai. «Nous demandons à renégocier notre rôle de premier recours», confie Philippe Tisserand.
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