EST-IL NÉCESSAIRE de rappeler les polémiques qui agitent nos concitoyens dès que l'on touche au vin, cet emblème national ? Partisans et opposants du breuvage se recrutent, sachons-le, aussi bien chez les médecins que dans le reste de la population. Harry W. Paul, professeur émérite d'histoire à l'université de Floride (Etats-Unis), s'est amusé à retracer les différents épisodes d'une relation qui oscille entre amour et haine, dogme et fantaisie, recherche scientifique et mythe quasi religieux : celles des médecins avec le vin.
Des soins peu orthodoxes.
Le vin fut longtemps utilisé à titre thérapeutique, notamment dans le cadre de la prévention des maladies infectieuses, probablement du fait que l'absorption d'une boisson alcoolisée était à une époque « moins pire » que de boire une eau porteuse de germes toxiques. Cependant, explique l'historien, le vin conserva longtemps auprès des médecins français une aura « due, en partie, sans doute, au fait que les médecins appartenaient depuis longtemps au cercle fortuné des amateurs de grands crus ». Au cours de l'histoire, différents courants de médecins œnophiles s'opposèrent aux partisans de la lutte contre l'alcoolisme - qu'ils furent parfois également. Entre autres perles, le traité de Georges Portmann et Maw Eylaud rassemble en 1936 les différentes utilisations thérapeutiques du vin. Pour eux et certains de leurs collègues, le vin peut être utilisé comme excipient, élément nutritif, médicament pédiatrique ( « l'enfant peut commencer à 4 ans, avec environ 50 g étendus d'eau »), contrepoison (surtout le vin blanc), élixir de longévité, traitement d'appoint de la tuberculose, renforçateur de l'action de la quinine en cas de malaria, médication de la fièvre typhoïde et d'un certain nombre d'infections, notamment intestinales, voire traitement paradoxal contre l'alcoolisme en psychiatrie. Quant au champagne, il « avait aussi la réputation de rendre moins sot grâce à son action stimulante sur le cerveau » et « pouvait même ramener à la vie après un traumatisme ou une abondante hémorragie ». De leur côté, des médecins établirent dans les années 1930 « que l'injection du vin dans les veines ou dans les muscles jouait un rôle positif face à l'infection, en provoquant une hausse des globules blancs ». Avec le temps vinrent les distinctions entre les effets du vin lui-même et ceux de l'alcool en général, puis l'abandon progressif de ces thérapies, malgré des résurgences périodiques.
Visions opposées du monde.
« Les analyses globales sur les bienfaits de telle ou telle boisson ne prennent pas toujours en compte la dimension sociale du problème », estime Harry W. Paul, qui rappelle que, « dans beaucoup de pays, le vin est l'apanage des classes supérieures » qui sont, pour de nombreuses raisons, « mieux protégées que les autres ». De plus, « l'industrie vitivinicole n'a jamais marchandé son soutien au corps médical », tandis que « le vin a toujours eu cette chance d'être perçu à la fois comme la boisson de l'élite et comme un index de réussite sociale - y compris par les médecins ! » En réalité, au-delà des résultats plus moins scientifiques et même des enjeux économiques pourtant importants, s'affrontent diverses visions du monde : celle de l'amateur de bonnes choses, prêt à affronter un risque personnel, face à celle du défenseur de la santé publique confronté quotidiennement aux ravages de l'alcool ; celle du promoteur des sciences exactes, face à celle de l'adepte d'une certaine fantaisie de la vie ; et même celle du médecin qui conseille la modération à son patient, avant d'aller goûter un grand cru chez des amis... « Le vin est un présent de Dionysos, le Bacchus romain, un dieux généreux mais cruel », conclut l'historien pour qui « le rôle thérapeutique du vin appartient désormais presque entièrement à l'histoire ».
Parrainé par un grand cru
L'ouvrage de Harry W. Paul, « Bacchus sur ordonnance - La médecine par le vin, de la Belle Epoque au paradoxe français », est paru en 2001 aux Etats-Unis. Il est disponible depuis 2005 aux Presses universitaires de France grâce à une traduction de Jean-Pierre de Beaumarchais, qui partage la vie de Philippine de Rothschild. Cette dernière, propriétaire du domaine de Mouton Rothschild, premier grand cru classé de France, a signé la préface de l'ouvrage et participé à sa médiatisation, afin, dit-elle, de lutter contre « la banalisation du plaisir et l'oubli du passé ».
PUF, 184 pages, 19 euros.
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