« Il y a comme une chape de plomb au-dessus de ce procès », diagnostique le Dr Michel Combier. Un tabou ? « Non. Seulement une forme de consensus qui fait que simplement, on n’en parle pas ». Pour autant, le chef de file de l’Unof, qui a tombé la casquette syndicale pour nous répondre depuis son cabinet toulousain, reconnaît avoir peu de patients directement touchés par l’explosion du site AZF, le 21 septembre 2001. Son cabinet est en effet, assez éloigné du lieu où l’explosion s’est produite. Ce qui n’empêche pas le président de l’Urml de l’époque de se souvenir de l’immense élan de solidarité qui a immédiatement suivi le drame : « la réactivité a été vraiment grande, la cellule de crise s’est mise sur pied très vite. Généralistes, psychiatres, infirmiers, nous sommes tous allés au-devant des gens sur le site lui-même et dans les quartiers alentours ». Sur place, l’évacuation des blessés est bien sûr opérée par les services d’urgence et les pompiers. Mais ce sont les habitants des maisons et appartement avoisinants « dont les murs et les fenêtres ont été soufflés par l’explosion et qui se terrent dans ce qu’il reste leur domicile », qu’il faut aussi traiter. En effet, si officiellement quelque 2 500 personnes ont été soignées en milieu hospitalier au lendemain des faits, la Direction générale de la santé estimait, un an après l’explosion « que plus de 8 000 Toulousains avait consulté leur médecin généraliste pour un stress aigu post-traumatique dans les semaines qui ont suivi l’explosion et que 5 000 avaient débuté un traitement psychotrope ».
« Il faut se rappeler qu’AZF est intervenu dans un contexte particulier, dix jours après le 11 septembre aux États-Unis », souligne le Dr Combier. Le traumatisme a frappé toute la ville, personne ne comprenait véritablement ce qui s’était passé. Accident ? Négligence ? Attentat ? Plusieurs Toulousains d’origine maghrébine se souviennent d’ailleurs avoir été pris à partie et préféré rester chez eux plutôt que de courir le risque de se voir ranger dans la catégorie terroriste.
Est-ce la raison du malaise qui semble frapper les Toulousains lorsqu’on leur parle du procès qui vient de débuter ce début de semaine ? « Non, répond Michel Combier. Mais différentes thèses sur l’origine et les responsables de la catastrophe continuent à circuler. Et c’est pour cela que, finalement, ce procès, on n’en parle pas dans les salles d’attente ». Parce qu’on ne sait jamais sur qui on risque alors de tomber.
Le Dr Serge Bismuth, médecin généraliste expert toulousain auprès de la cour d’appel se souvient quant à lui, du nombre de dossiers qu’il a dû traiter. « En temps normal, j’en fais une quinzaine par an. Là, j’en ai traité presque deux cents en un an. C’est bien simple, en décembre 2002, ce sont huit mille dossiers partagés par une cinquantaine de médecins experts qui restaient encore en attente. Les gens avaient peur d’être oubliés ». Et aujourd’hui ? « Les victimes ont souffert dans leur chair et dans leur habitat. J’ai des patients qui me disent qu’ils ne suivront pas le procès. Ni au tribunal, ni à la télévision. La question essentielle, "qui va payer ? Qui est responsable" est toujours dans l’air, et le restera. C’est la raison pour laquelle, à mon sens, il sera extrêmement difficile de parvenir un jour à une forme de quitus pour la population toulousaine. Dans l’esprit de toutes les personnes concernées, une telle catastrophe n’aurait jamais du arriver ». La fatalité ne favorise pas le processus de deuil.
Pour le Dr Bertrand Rabier, dont le cabinet qu’il partage avec un autre confrère généraliste était, à l’époque des faits, situé à quelques encablures du lieu de l’explosion, ce procès sera au contraire, peut-être l’occasion, justement, de faire ce deuil. « Les traces seront bien sûr toujours là, mais déjà, je me souviens qu’environ deux ans après, les gens ont petit à petit recommencé à vivre ». La première année, en revanche, elle, a été très dure. Traumatologie classique pour nombre de salariés d’AZF et les habitants qui vivaient proche du site. « Mais surtout, dans notre quotidien de généraliste, ce sont les séquelles psychologiques, allant de l’anxiété légère à la dépression aiguë, et les troubles auditifs que nous avons suivi au long cours ». « Nous », ce sont tous les professionnels de santé du quartier. « L’élan de solidarité a été immense, cela a créé un lien qui, depuis est resté ». Et qui, a donné lieu, depuis, à la création d’une maison médicale de garde en 2004, dans le quartier qui a payé le plus lourd tribut humain, à la catastrophe AZF.
Lui même médecin généraliste, le président du conseil de l’ordre de Haute-Garonne, préfère positiver, en se focalisant sur le bâtiment qui est appelé à sortir des ruines de l’ancienne usine chimique : le cancéropole toulousain. « C’est un vrai projet de vie », insiste ainsi le Dr Stéphane Oustric. Même si la construction a pris du retard sur le calendrier initial, la friche industrielle située dans le sud de l’agglomération toulousaine, doit en effet donner naissance à un campus de recherche sur le cancer. Un complexe amené à employer deux mille chercheurs privés et publics et à accueillir une pépinière d’entreprises de biotechnologies, tandis que l’Etat, de son côté, finance la construction d’une clinique universitaire du cancer de 312 lits, axée sur l’innovation thérapeutique. Coût du chantier : 312 millions. Année d’ouverture annoncée : 2012. Tel le Phénix, la ville rose serait-elle, tout doucement, en train de renaitre de ses cendres ? Le procès qui s’est ouvert lundi le dira peut-être...
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