Le plan Sarkozy pour améliorer le pouvoir d'achat

Avec moi, le déluge

Publié le 28/05/2008
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LE CHEF DE L'ÉTAT veut à la fois améliorer sa cote de popularité et tenter sincèrement d'augmenter le pouvoir d'achat : dès lors que l'État ne peut plus accroître ses dépenses, la hausse du pouvoir d'achat ne peut venir que des revenus du travail. Le plan du président concerne uniquement le secteur privé et donc le patronat, qui risque d'être soumis à une rude épreuve : il s'agit de libérer les sommes versées au titre de la participation etquisont encore bloquées dans des comptes et d'appliquer à toutes les entreprises le principe de l'intéressement.

Pas d'effet visible avant dix-huit mois.

Cela signifie que les sociétés vont devoir accorder plus de mansuétude à leurs employés qu'à leurs actionnaires. M. Sarkozy entend en effet doubler les sommes de la participation en quatre ans et accroître l'intéressement. C'est autant d'argent qui sera ponctionné sur les bénéfices nets des compagnies. Le chef de l'État assortit ses intentions, qui seront contenues dans une loi votée avant l'été par le Parlement, de dispositifs fiscaux qui encourageront les entreprises à verser de la participation et de l'intéressement et à sanctionner, par une réduction des montants qu'elles obtiennent au titre de la diminution des charges sociales, celles qui ne se décident pas à donner plus d'argent à leurs employés.

Bien entendu, beaucoup de gens, dans les syndicats et l'opposition, font la fine bouche, et présentent un argument qui n'est pas dépourvu de valeur : une simple augmentation de salaire vaut mieux que participation et intéressement. D'aucuns craignent même que les entreprises compenseront le plan Sarkozy par un gel des salaires. Ce qui ne saurait être exclu, car chacune des voies envisagées pour l'augmentation du pouvoir d'achat exige un effort financier ou administratif du patronat.

Les mesures impliquent que les entreprises fassent d'abord des bénéfices et, compte tenu des abondements divers qui leur sont demandés, il vaudra mieux que les bénéfices soient élevés. M. Sarkozy, en songeant aux entreprises comme une alternative à l'État, se livre en tout cas à une petite révolution philosophique. Ses idées vont à l'encontre de la « libération des moyens de production » ; elles mettent l'accent sur le salarié plutôt que sur l'actionnaire ; elles sont de nature à lutter contre les dérives du capitalisme qu'il a eu l'occasion de stigmatiser ; et elles présentent l'avantage de ne pas solliciter une fois de plus un État épuisé.

Encore faudra-t-il que le patronat joue le jeu et ne s'abrite pas derrière une croissance insuffisante ou des revers stratégiques pour ne pas payer les contributions qui lui sont demandées. Ce n'est d'ailleurs pas au niveau du chiffre d'affaires des sociétés que la ponction interviendra, mais à celui des profits. Ce qui veut dire que le dynamisme industriel ne sera aucunement freiné par les mesures de M. Sarkozy et que seuls les bénéfices seront orientés différemment (ce qui, néanmoins, peut diminuer l'effort d'investissement).

Comme la loi TEPA de l'été 2007, la prochaine loi sur le pouvoir d'achat ne produira pas d'effet visible avant un an au moins et plus probablement dix-huit mois. Politiquement, elle peut se traduire, dans ce délai, par une progression un peu plus forte de la croissance et une hausse du pouvoir d'achat susceptible de valoir au président une gratitude qui fera alors remonter un peu sa cote de popularité. Il faut beaucoup plus de temps pour améliorer une image que pour la ternir.

PETITE REVOLUTION : IL S'AGIT D'ORIENTER LES PROFITS VERS LES SALARIES PLUTOT QUE VERS LES ACTIONNAIRES

Il nous donne le tournis.

Sur la méthode, marquée par l'omniprésence du président, on constate qu'il ne changera pas et qu'il continue à faire tout, tout seul alors que la question du pouvoir d'achat devrait relever de la compétence du Premier ministre. M. Sarkozy en a profité pour répéter que tout allait bien entre François Fillon et lui ; mais son seul comportement de mardi (chers concitoyens, n'est-il pas vrai que je me lève tôt?) montre qu'il se réserve à peu près tous les effets d'annonce. De sorte que le Premier ministre ne peut exister qu'en fournissant un jugement personnel qui est rarement du goût du président. Bref, nous ne savons pas vraiment où nous conduit ce foisonnement d'idées, de mesures, de décisions à l'emporte-pièce, où nous conduit la course folle d'un exécutif qui ne dort pas et peut adopter plusieurs mesures par jour, où nous conduit la multiplication des chantiers : pendant ce temps, gauche et droite se battent sur la réforme constitutionnelle, la colère des enseignants gronde, la réforme des retraites n'est pas achevée.

Ce président-là nous donne le tournis, se moque des conseils de prudence, se réjouit tout haut de ce que Mme Sarkozy ait eu le courage de se lever aussi tôt que lui pour aller à Rungis, comme s'il espérait reconquérir les Français grâce aux charmes de son épouse, s'empare de tous les thèmes et de tous les pouvoirs, ne tient aucun compte des déclarations parfois dissidentes de ses ministres, ne châtie personne et accepte même que Jean-François Copé, au nom de la majorité parlementaire, lui tienne la dragée haute, se contente, à propos des 35 heures, de jurer qu'elles ne seront pas abolies, mais ne corrige guère sur ce point Patrick Devedjian. Il court si vite qu'il laisse sur les deux bords de la route les conflits internes de la majorité, les critiques acerbes des socialistes, les manifestations et les grèves. Comme si son dessein consistait à offrir à ses opposants tant d'occasions de faire feu qu'ils seraient pétrifiés par le choix ; comme si, à courir de la sorte, il se plaçait au-delà de leur portée et qu'aucune arme ne pouvait l'atteindre. Si de ce désordre invraisemblable naît une société mobile, compétitive et forte, ce serait bien. Mais ce serait un miracle.

> RICHARD LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8380