On estime qu'un délai de trois à six mois est indispensable aux entreprises pour négocier leur passage à l'euro. Dans le domaine humanitaire, les grandes organisations se déclarent prêtes à basculer définitivement dans la nouvelle monnaie, le 18 février prochain. Martial Ducroux, président de SR.MS CIME Adgency, une agence de communication spécialisée dans les grandes causes, le confirme : « Les grosses associations - une cinquantaine - se sont préparées. Leurs logiciels et leurs systèmes informatiques sont désormais à l'heure de l'euro. Elles ont anticipé la bascule de leur comptabilité et pris leurs dispositions auprès des banques. »
En interne, tout va bien. En revanche, les organisations humanitaires doivent faire face à une inconnue : le comportement de leurs donateurs. Dans sa lettre d'information « Actualités euro », adressée aux principales associations du domaine humanitaire, SR.MS CIME Adgency estime que « plus que toute autre entreprise, les associations doivent faire preuve de pédagogie pour rassurer leurs donateurs et éviter un désengagement de ceux-ci au début de l'année 2002 ».
La diminution des dons est la grande inquiétude des collecteurs de fonds. « Le secteur de la grande distribution prévoit une baisse de 15 % du volume d'affaires en 2002. Nous ne sommes pas une île déserte dans la société française. Pourquoi la collecte de fonds et l'humanitaire échapperait-ils à ce contexte général », constate Thierry Pecquenard, délégué national au développement de la Croix-Rouge. « Nous ne sommes pas à l'abri d'un attentisme de la part des donateurs, renchérit Isabelle Sinkelstein, à la direction de la communication et du développement de Médecins du Monde (MDM) . Nous sommes prudents dans nos objectifs. »
Dans la tourmente, la Ligue contre le cancer affiche, en revanche, une belle sérénité, confiante quant à la « fidélité » des bienfaiteurs. A Médecins sans Frontières (MSF), on se veut également « serein ». L'opération « Un franc par jour », lancée en 1993 autour de l'idée qu'un franc équivaut au prix de deux repas médicalisés pour un enfant victime de la famine, assure (par prélèvement automatique) la moitié des recettes de l'association. L'organisation peut, en outre, compter sur des dons en provenance de pays étrangers. Néanmoins, MSF n'exclut pas de réviser à la baisse ses prévisions de recettes.
Faute d'avoir anticipé le passage à l'euro, les Français pourraient être tentés, en 2002, de lever le stylo au moment de signer le chèque. « On craint qu'ils ne temporisent. Le temps de s'habituer à la nouvelle monnaie », remarque-t-on à MDM. « Le passage à l'euro ? Actuellement, les Français n'y pensent pas, note Martial Ducroux . Le ministre des Finances avait misé sur un taux de chèques en euros de 75 à 95 % au mois de décembre prochain. Or, sur la masse des chèques en circulation au mois d'août, seulement 3 % étaient rédigés en euros. »
Moyenne d'âge : 65 ans
C'est au dernier moment que la France pourrait bien découvrir qu'une baguette de pain coûte 0,67 euro, que le litre de lait passe à 0,70 euro, qu'ils iront au cinéma pour 6,86 euros et qu'ils rouleront au prix de 1,21 euro le litre de super. Toute une série de repères à acquérir sur fond de feuille de paie en apparence réduite : l'équivalent euro du SMIC (7 101,38 F) est de 1 082,60 euros. Cette perte des repères, les collecteurs de fond la redoutent d'autant plus que la moyenne d'âge de leurs donateurs est de 65 ans et plus. Beaucoup risquent d'avoir le sentiment d'avoir perdu en terme de retraite, quand leurs relevés seront à quatre chiffres au lieu de cinq. « Parmi les donateurs les plus âgés, certains comptent encore en anciens francs », confie-t-on dans une association. En outre, les « seniors » n'aiment pas beaucoup les prélèvements automatiques qui auraient pu simplifier les choses. Selon Martial Ducroux, « le prélèvement automatique représente en moyenne 3 à 5 % des dons aux associations. Au départ, la générosité, c'était donner de l'argent à la sortie des églises. Ensuite, on a glissé le billet dans l'enveloppe, puis le chèque ».
« Même en euros, votre pouvoir d'achat reste un pouvoir d'action », explique MDM dans son journal destiné aux donateurs. L'association a décidé de « simplifier au maximum » ses campagnes de collecte de dons : une carte du monde, un camion dessiné sur un continent avec des gens autour et, sur le camion, un message : « 51 euros = une paire de chaussures = un traitement antibiotique pour 55 personnes ».
13 millions de pièces jaunes
« A nous d'être suffisamment forts, en termes de communication, pour montrer le dévouement des bénévoles sur le terrain, pour montrer que leurs actions répondent à des besoins », estime Thierry Pecquenard, à la Croix-Rouge. Comme l'Association des paralysés de France, comme le Comité catholique contre la faim et pour le développement, comme la Ligue contre le cancer, la Croix-Rouge française lance une vaste campagne de solidarité, destinée à collecter les pièces et les billets qui deviendront obsolètes le 17 février 2002. Les 1 800 urnes de collecte de la Croix-Rouge seront installées dans les espaces d'accueil des aéroports de Paris, auprès des stations-service BP et dans d'autres lieux (restaurants, magasins, etc.). Les autres associations, citées précédemment, ont, quant à elles, opté pour des « boîtes à francs », mises à disposition du public chez des commerçants, dans les salles de sport et de concert, etc. Une concurrence pour l'opération pièces jaunes de la Fondation Hôpitaux de Paris-Hôpitaux de France, lancée par Bernadette Chirac ? « Il y a 13 millions de pièces jaunes sur le marché de la Banque de France, rétorque-t-on à la fondation . On ne peut pas parler de concurrence. »
Outre le passage à la monnaie unique, les collecteurs de fonds nourrissent d'autres inquiétudes : 2002 doit être l'année de deux élections en France, celle du président de la République et celle des députés. « Les périodes électorales ont toujours eu des répercussions négatives sur les dons, précise Martial Ducroux . Les gens se disent : "Tout çà, c'est à l'Etat de le faire". » A la Croix-Rouge, Thierry Pecquenard évoque, pour sa part, les tensions internationales. « En 1991, au moment de la guerre du Golfe, nous avions observé une chute sensible des dons. Les récents événements devraient avoir un impact plus fort encore. »
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