Ce n'est pas la première fois que des chercheurs s'intéressent aux anomalies rétiniennes microvasculaires secondaires à une hypertension artérielle et/ou à d'autres processus athéromateux. Il est tentant, en effet, de considérer le degré d'atteinte rétinienne comme un marqueur des lésions cérébrales microvasculaires car les artérioles des deux tissus ont des caractéristiques anatomiques et physiologiques communes. Mais aucun lien significatif entre l'atteinte rétinienne microvasculaire et les AVC n'avait encore été trouvé, probablement du fait de la quantification visuelle des lésions, subjective et non reproductible. L'étude publiée cette semaine dans le « Lancet » par une équipe pluridisciplinaire nord-américaine est enfin arrivée à cette fin. Il faut reconnaître que les moyens techniques utilisés pour quantifier le degré de sténose artériolaire sont d'un autre âge.
L'étude est partie d'une population âgée de 51 à 72 ans et vivant dans différentes zones urbaines des Etats-Unis. Les sujets étaient examinés une première fois puis trois ans et six ans plus tard. Durant le troisième examen clinique, une photographie rétinienne de l'un des deux yeux (sélectionné par randomisation) était prise. Le degré d'atteinte rétinienne microvasculaire était d'abord classé selon les critères habituels puis analysé de façon plus fine à l'aide du diamètre des artérioles et des veinules rétiniennes. La photographie numérisée à haute résolution permet en effet de donner un « score de rétrécissement artériolaire » en additionnant les ratios artério-veineux du calibre des vaisseaux. Les personnes qui présentaient un AVC durant les trois à cinq années de suivi étaient identifiées et retenues comme cas index sur la base de leur dossier médical.
Sur les 15 792 hommes et femmes initialement inclus, seulement 10 358 ont satisfait les critères de suivi. Il est intéressant de constater qu'il s'agissait le plus souvent de sujets jeunes, de race blanche, sans hypertension, ni diabète, ni coronaropathie et dont les facteurs de risque athéromateux habituels (cholestérol, pression artérielle, triglycérides, masse corporelle) étaient généralement plus bas que ceux des sujets exclus de l'étude.
Rétrécissements artériolaire focal et artérioveineux
Parmi les sujets retenus, les anomalies rétiniennes les plus fréquentes étaient le rétrécissement artériolaire focal (14,9 %), le rétrécissement artérioveineux (14,3 %) puis les autres anomalies rétiniennes (7 %). La prévalence de l'ensemble des lésions rétiniennes était généralement plus élevée chez les hypertendus (n = 4 595) et chez les diabétiques (n = 1 759).
Sur une durée moyenne de trois à cinq ans, 110 personnes ont fait un AVC : 96 ischémiques, 13 hémorragiques et un mixte (ce dernier a été classé dans les deux groupes). L'incidence cumulative annuelle des AVC était significativement plus élevée chez les candidats porteurs de lésions microvasculaires rétiniennes. Ce constat était vérifié pour les différentes catégories de patients à risque, c'est-à-dire les hypertendus (n = 87), les diabétiques (n = 72) et qu'il s'agisse d'un accident hémorragique ou ischémique.
Pour chaque AVC, un risque relatif brut lié à l'analyse de la photographie rétinienne a été attribué (de 1,57 à 7,80). Le risque relatif d'AVC s'est révélé significativement augmenté pour chaque baisse d'un quantile du ratio artérioveineux ; le risque relatif étant multiplié par 2,35 entre les deux extrêmes (premier et cinquième quantile). Après ajustement par l'âge, le sexe, l'origine raciale et le centre pratiquant l'examen ophtalmologique, le critère « rétrécissement artériolaire focal » n'a pas été retenu comme facteur de risque d'AVC. En revanche, la présence d'une sténose artérioveineuse et de toute autre rétinopathie restait un facteur déterminant d'AVC après analyse multivariée.
Les hypertendus et les diabétiques
Les auteurs de l'article vont jusqu'à estimer (dans la population choisie) qu'une rétinopathie vasculaire, toutes natures confondues, augmente le risque d'AVC de 10,1 % (de 7,9 % pour la sténose artérioveineuse). La majoration du risque est plus élevée chez les hypertendus (+ 15,4 %) et les diabétiques (+ 28,9 %).
Faut-il, à l'issue de ces résultats, proposer la photographie rétinienne en remplacement de l'examen visuel de la rétine pour stratifier le risque d'AVC des patients ? Il est beaucoup trop tôt pour répondre à la question d'autant que la puissance statistique de l'étude est faible, notamment pour les AVC hémorragiques et qu'un certain nombre de biais, liés à l'autosélection de la population étudiée, peuvent expliquer la significativité des résultats.
Tien Yin Wong et coll., «The Lancet», vol. 358, 6 octobre 2001.
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