«L’OBJECTIF DE L’ACTIONmédicale est d’aboutir à une stratégie qui apportera au patient le bénéfice le plus important en minimisant les risques et les coûts. Cette action médicale peut être scindée en deux grandes étapes classiques: la décision diagnostique qui, à partir de l’analyse des signes cliniques, permet d’évoquer un ou plusieurs diagnostics, et la décision thérapeutique, qui, à partir de l’analyse précédente, permet d’apporter une réponse thérapeutique adaptée», analyse le Pr Sadek Beloucif (CHU Amiens). Ces décisions sont fondées à la fois sur les faits observés et sur toutes les connaissances auxquelles le médecin peut accéder soit parce qu’il les a en mémoire, soit parce qu’il peut s’y référer (livre, Internet, avis d’expert). Les connaissances médicales regroupent des notions empiriques et physiopathologiques.
Pour la prise de décision diagnostique, les connaissances empiriques reposent sur des constatations qui permettent de décrire des maladies (par exemple, le sus-décalage ST est l’un des premiers signes électrocardiographiques d’un infarctus dans le territoire concerné) et, en matière thérapeutique, ces connaissances sont le plus souvent fondées sur les conclusions d’essais thérapeutiques.
La décision médicale fait aussi appel à des connaissances empiriques quantitatives qui sont de même nature que les précédentes, mais concernent des données chiffrées (le pH normal est compris entre 7,35 et 7,45, par exemple). La physiopathologie est également prise en compte. Elle permet de mettre en rapport un fait avec un état physiologique (par exemple, il existe un lien entre l’inversion du rapport sodium/potassium urinaire et l’hyperaldostéronisme).
«La méthode classique de raisonnement en médecine est de l’ordre hypothético-déductive: en analysant les faits, un certain nombre d’hypothèses sont évoquées. La déduction est faite à partir des signes confirmant ou infirmant les différentes hypothèses; ce qui permet de réduire le champ des possibilités. Mais, à côté de cette méthode classique, il est envisageable d’aboutir au diagnostic par des méthodes probabilistes», continue le Pr Beloucif. Depuis quelques années, des systèmes informatiques ont été développés afin d’apporter une aide au médecin : informatisation des arbres décisionnels, applications probabilistes permettant, à partir de l’analyse des données, d’attribuer un coefficient de vraisemblance au diagnostic (par exemple, infection à staphylocoque au décours d’une hospitalisation : 80 % de staphylocoques methi-R), et de systèmes experts qui sont censés reproduire le comportement d’un expert par le biais du cheminement de raisonnement.
«Au Canada, depuis une dizaine d’années, des systèmes d’aides à la décision médicale ont été développés dans les services d’urgences. Ils sont principalement fondés sur la mise à la disposition des infirmières d’accueil et d’orientation des urgences (IAO) de protocoles diagnostiques et thérapeutiques qui peuvent être mis en route sans recours à un avis médical. Ainsi, lorsqu’un patient se présente pour un traumatisme de la cheville, c’est l’infirmière qui l’examine et qui, en fonction de critères préétablis (critères d’Ottawa), prescrit ou non un bilan radiologique. C’est elle aussi qui évalue de façon régulière la douleur des patients qui attendent d’être examinés par un médecin et qui peut mettre en place un traitement antidouleur (allant même jusqu’aux antalgiques majeurs de type morphiniques), sans l’avis du praticien, et selon les règles établies par le protocole de soins», explique le Dr François Lecomte (praticien hospitalier au urgences du CHU Cochin, à Paris, et qui a travaillé à Toronto, à l’hôpital Saint-Michaels).
Recentrer l’activité médicale.
Pour le Pr Philippe Juvin (chef de service des urgences à l’hôpital Beaujon, à Clichy), «en France, le prédiagnostic par l’IAO s’est quasiment généralisé. Cette délégation des tâches permet de recentrer l’activité médicale et de valoriser les paramédicaux.Le prédiagnosticconduit à garder le niveau d’urgence en prenant en compte des paramètres cliniques (pouls, pression artérielle, fréquence respiratoire) et paracliniques (ECG, bandelette urinaire...) et en se fondant sur des algorithmes propres à chaque service».
«La particularité de la décision médicale aux urgences, poursuit le médecin, tient à différents facteurs: un nombre important de patients (30 par médecin et par jour en moyenne) , des malades dont les antécédents médicaux ne sont pas connus (ce qui pourrait être nettement amélioré par la mise en place du dossier médical partagé) , une possible barrière de compréhension et de langue et la détresse globale –médicale et sociale–, dans laquelle se trouve une majorité de patients.»
L’expérience récente du CHU de Beaujon (voir encadré) montre que, même dans les services d’urgences, la prise de décision peut être améliorée par des mesures simples visant à fluidifier l’encombrement habituel qui règne dans ces services. Le diagnostic est plus rapidement posé, le traitement mis en place et l’orientation améliorée.
Décider plus vite
La nouvelle organisation du service des urgences à l’hôpital Beaujon (Clichy) a permis de diminuer de deux tiers environ le temps de décision médicale aux urgences. C’est grâce à une meilleure réactivité du plateau médico-technique que le diagnostic est désormais posé en 30 minutes, contre 1 h 30 auparavant. Pour obtenir ce résultat, des procédures simplifiées, clarifiées et formalisées ont été mises en place dans les services d’examens radiologiques et biologiques : hiérarchisation du niveau d’urgence et réalisation prioritaire des examens en provenance de ce service.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature