BICHAT - CLAUDE-BERNARD, le groupement universitaire nord, porte de Saint-Ouen à Paris, est le CHU de l'AP-HP qui compte la proportion la plus élevée de médecins étrangers ou d'origine étrangère : 70 % des attachés et des PH au service des urgences, selon l'Association des médecins urgentistes hospitaliers de France (Amuhf). En cet après-midi ordinaire, le hall d'attente affiche complet. Au poste médical central, c'est l'effervescence habituelle d'un grand service qui tient la cadence moyenne de 200 consultations/jour. Soignants et médecins se croisent, complètent les dossiers sur écran, téléphonent, discutent des cas à problème.
Les attentats au Royaume-Uni et les suspects, irakiens et indiens, qui seraient médecins ? Des terroristes en blouse blanche ? «Bien sûr, personnellement, je ne peux que condamner toute action terroriste et a fortiori quand elle est perpétrée par un médecin, c'est-à-dire quelqu'un qui a passé des années à apprendre à sauver des vies et qui se retrouve au milieu des poseurs de bombes, ou passager d'une voiture bélier.» Pour le Dr N., la quarantaine, praticien hospitalier en France depuis dix ans et originaire du Congo-Brazzaville, qui tient à préciser qu'il est de confession chrétienne, «médecin et terroriste, c'est totalement impensable. Et ici, dans notre service, personne n'imagine que l'un de nous pourrait participer à des actions violentes».
Une confiance totale.
Les médecins étrangers ou d'origine étrangère interrogés par « le Quotidien » sont unanimes : aucun regard, aucune réflexion, aucune suspicion, donc aucune stigmatisation n'est décelable parmi le personnel ou les patients depuis que les médias français ont relayé les informations en provenance du Royaume-Uni.
«Je n'étais même pas au courant du fait qu'il y avait eu des tentatives d'attentats en Grande-Bretagne», avoue Cécile D., interne. Françoise L., sa jeune collègue interne, absorbée dans le dossier d'un patient, lève la tête une seconde : «Vous savez, pour moi, cette histoire, c'est vraiment RAS!»
Le Dr G., praticien originaire d'Amérique latine, réclamé partout à la fois sur le système de sonorisation du service, ne sera guère plus loquace, qui se borne à dire qu'il ne fait pas de politique, que les affaires britanniques ne le concernent aucunement. Pas le temps, pas envie et, visiblement, pas besoin de parler ou de s'expliquer.
Quand même, l'adjoint du chef de service, le Dr Christophe Choquet*, se montre plus prolixe. «Je puis vous assurer, pour ma part, que les praticiens à diplôme étranger sont des professionnels qui font excessivement bien leur travail et qu'ils manifestent un souci éthique à toute épreuve. Si certains se permettent de faire un amalgame entre les comportements de ces médecins et ce qui s'est passé à Londres ou à Glasgow, c'est tout simplement scandaleux!», s'indigne-t-il. Selon lui, la confiance entre médecins étrangers et français est totale. A telle enseigne que les seconds ont pris fait et cause pour les premiers lors de leur dernier mouvement de grève, il y a deux semaines, pour l'obtention d'une prime de garde identique pour tous, sans distinction statutaire.
«Que certains insinuent qu'il pourrait exister le moindre problème avec les médecins à diplôme étranger, que ce soit en termes de formation, de compétence ou de dévouement, de rigueur éthique, ou, selon tout autre critère, que l'on demande aux pouvoirs publics de renforcer les contrôles dont ils font l'objet, c'est particulièrement choquant, confirme, avec une égale véhémence, le Pr Enrique Cassalino*, chef du service. Quand je les embauche, quand je leur donne des gardes à assurer, je leur remets les clés de mon service, et je le fais en toute confiance et en toute connaissance de cause. Qu'ils soient ou non de nationalité française, ne sont-ils pas, selon la formule de Max Gallo, des Français de coeur, eux qui ont fait le choix de la France, et sur lesquels repose aujourd'hui la santé publique?»
Que ces praticiens à diplôme étranger soient très nombreux dans son établissement, le Pr Cassalino, lui-même né au Pérou, souligne que cela ne constitue pas une situation exceptionnelle, bien des établissements périphériques fonctionnant avec les mêmes recrutements. Alors, «plutôt que de chasser les sorcières et d'allumer d'éventuels bûchers, les autorités seraient quand même mieux inspirées de leur rendre l'hommage qu'ils méritent. Ce sont eux qui font tourner les hôpitaux, ici comme ailleurs».
Visiblement, le communiqué ordinal (lire page 6) qui en appelle à l' «ardente nécessité de vérifier les compétences et l'application des règles éthiques» est diversement apprécié dans ce grand CHU.
* Ces médecins se sont exprimés à l'extérieur de l'établissement, conformément aux règlements en vigueur.
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