L’information entre médecins et malades

Autopsie d’un mensonge

Publié le 10/09/2006
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NOTRE éPOQUE glorifie l’information comme la communication et a garanti, par la législation, son application dans le domaine de la médecine et des relations médecins-malades. Cette question de l’information transmise au malade prend toute son acuité lorsqu’il est question de maladie grave. En dehors des volontés médiatisées de transparence et des professions de foi en la nécessaire communication, qu’en est-il en pratique de la transmission de la vérité et de l’usage de son alter ego, le mensonge ? Sylvie Fainzang, anthropologue, directeur de recherche à l’Inserm, membre du Cermes (Centre de recherche médecine, sciences, santé et société), a choisi d’analyser la question de l’information et du mensonge sans en inférer une position normative, sans jugement, dans une attitude d’ «empathie ethnologique». Pendant quatre ans, elle a observé les relations entre une centaine de patients et leur équipe soignante (80 patients atteints de cancer et une vingtaine, de maladies chroniques sévères non cancéreuses) pour mieux cerner la nature des informations transmises par les uns et par les autres, pour capter les malentendus, saisir et analyser les non-dits ; en considérant que le discours des uns est aussi valable que celui des autres, de façon à comprendre leurs raisons et leurs logiques propres.

Pour réaliser cet observatoire, S. Fainzang a assisté à des consultations de la manière la plus neutre possible ( «Je pris le parti de me fondre dans l’espace et de me faire oublier») et elle a interrogé, séparément bien sûr, les médecins et les malades, pour comprendre et analyser leurs réactions et leurs paroles. Sa perspective d’analyse n’était ni éthique, ni morale, ni psychologique mais sociale. Cette observation d’un tiers, aussi neutre que possible, passionnera ceux qui s’intéressent à la dynamique relationnelle d’une consultation.

Premier constat : presque tout le monde ment, chacun à sa façon, médecins comme malades, même si les mensonges des uns et des autres ne sont pas sous-tendus par les mêmes mécanismes. Ce mensonge peut être aussi bien dissimulation d’une vérité que production d’une parole fausse. Du côté de ceux qui détiennent l’information, les temps ont changé et le mensonge ne concerne plus le diagnostic – on annonce l’existence d’un cancer – mais celui du pronostic, on ne parle pas de métastase. Le tabou a changé d’objet, «du refus d’annoncer la maladie au refus d’annoncer son aggravation». Malgré l’incitation, voire l’obligation légale, d’informer les patients, les pratiques entre médecins et malades restent enchâssées dans des schémas sociaux et culturels contraignants. Il n’est pas question de bonne ou de mauvaise foi. Ce que les médecins choisissent de dire ou de cacher à leurs patients n’est pas exclusivement motivé par la psychologie ou l’état pathologique du malade, mais par son statut socioculturel réel ou supposé, conclut l’anthropologue.

Mentir en médecine comme dans la vie.

Médecins comme malades mentent et leurs mensonges semblent faire partie intégrante des relations thérapeutiques comme de toutes relations sociales. Les deux parties paraissent le savoir et élaborer chacune des stratégies de détection du mensonge : les patients aux aguets interprètent chaque geste pour y déceler la vérité dissimulée, du sourire au regard fuyant en passant par un geste amical du médecin ou par la longueur de l’ordonnance. Les médecins interrogent l’entourage de leurs malades. S. Fainzang décrypte les dialogues des consultations avec la patience d’un entomologiste et livre l’analyse après coup des deux parties. Cette analyse est édifiante.

Quelle place occupe le mensonge au sein de la relation médecin-malade et dans l’échange d’information ? Pour le patient, exposer ses symptômes, c’est risquer de conduire le médecin à évoquer une aggravation de la maladie ; les dissimuler, c’est croire se protéger. Ne pas tout dire, d’une certaine façon «jouer un rôle»; c’est aussi exprimer une certaine résistance vis-à-vis du pouvoir médical.

Pour le médecin, limiter ou travestir l’information se justifie par la nécessaire adaptation au patient. L’information s’inscrirait, explique l’anthropologue, dans une mécanique de reproduction sociale, les médecins essayant de s’adapter à l’aptitude supposée des patients à recevoir l’information, si bien qu’ils informent mieux ceux qui ont accès de manière autonome à l’information, du fait de leur statut socioculturel.

Au bout du compte, dans de nombreuses situations, qu’en est-il donc de ce fameux consentement des patients ? D’une certaine façon, le code de déontologie médicale, qui laisse au médecin la liberté de ne pas dire la vérité s’il le fait dans l’intérêt du malade, est en contradiction avec la loi du 4 mars 2002 relative au droit des malades. Plutôt que d’un consentement éclairé, ne s’agirait-il pas d’un consentement résigné ? Il faut sans doute remettre en question l’idée que le patient soit doté d’un véritable pouvoir de décision fondé sur une information croissante. «Dans le corps médical comme parmi les malades, on assiste davantage à des professions de foi sur la nécessité de l’information qu’à des comportements effectifs, attestant la volonté de la donner ou de la réclamer», écrit l’auteur.

« La Relation médecins-malades : information et mensonge », Sylvie Fainzang, PUF, collection « Ethnologies », 152 pages, 21 euros.

> Dr CAROLINE MARTINEAU

Source : lequotidiendumedecin.fr: 8005