Le Temps de la médecine :
La mort en face
Il est salarié de l'IGR depuis cinq ans, avec une rémunération correspondant à celle d'un assistant social, à temps plein. La soixantaine rassurante, avec sa stature haute et massive, son vaste front, son regard tranquille derrière ses grosses lunettes d'écaille, le père François Bon se présente volontiers, avec un sourire un peu navré, comme « le dernier des Mohicans ». Un peu partout en effet, dans les aumôneries hospitalières, ce sont des laïcs qui ont pris la relève des clercs. Il est l'un des derniers prêtres à exercer ce ministère.
Ici, à l'IGR, les aumôniers sont au nombre de six : lui-même, Laurent Coupon, un pasteur protestant présent à quart de temps, sur Maryse, une ancienne infirmière, qui uvre à mi-temps, et, une ou deux après-midi par semaine, trois mères de famille qui se relayent.
Pas d'aumônier musulman, ni juif. Dans le cahier des charges de l'aumônerie, il lui incombe d'alerter la mosquée de Paris lorsqu'un patient musulman arrive au stade terminal (voir encadré). Pour les malades de religion juive, la prise en charge religieuse est le plus souvent affaire de famille, les parents alertant un rabbin quand approche la fin de vie.
« Mon travail, raconte le père Bon, se partage entre mon bureau, au rez-de-chaussée, où je me tiens chaque matin à la disposition des familles et des soignants, et les étages, que je parcours l'après-midi pour rendre des visites. Six ou sept en général.Avant d'entrer dans une chambre, je me suis fixé pour règle de passer systématiquement par la salle des soins pour parler avec les soignants. C'est normal, je débarque sur leur lieu de travail, je me dois de les saluer. Elles font un travail irremplaçable à force d'attentions et de délicatesse. On est en amitié les uns avec les autres, au service des mêmes personnes. Les médecins ? Je les vois beaucoup moins, ils sont concentrés sur leurs dossiers, il faut prendre rendez-vous... »
Présence et écoute
Réglementairement, l'aumônier s'abstient d'aller voir quelqu'un qui ne l'a pas convié. Certes, quand il arrive, il « annonce la couleur religieuse », identifiable tout de suite à son badge et à la croix qu'il porte au revers de son veston. Mais la conversation prend rarement un tour religieux. « Mon rôle, c'est une présence, une écoute offerte aux gens, explique-t-il. Je pose peu de questions. On parle de tout et de rien. Ils évoquent la région d'où ils viennent. Leur famille. On parle peu de la maladie et des traitements. »
Avec le temps, des liens se nouent. « Au rythme des nouveaux traitements, je reconnais ceux qui reviennent tous les mois, pour un, deux ou trois jours. A chaque fois, ce sont des retrouvailles. »
Depuis cinq ans qu'il est là, lâche François Bon, ceux des débuts sont souvent partis.
« La mort, c'est exceptionnel quand on en parle. Comme avec cette vieille dame qui voulait préparer avec moi son enterrement dans tous ses détails. Mais on vit avec intensité tous ces moments. Je me rends compte de l'évolution, avec les rechutes, l'amaigrissement. Les gens ne se confessent pas à proprement parler, mais ils réévaluent leur parcours, ils se réconcilient avec leur entourage, avec eux-mêmes. Insensiblement, ils laissent tomber les choses secondaires et retrouvent leurs dernières forces pour profiter des choses importantes. »
« Bien sûr, la mort n'est pas belle, constate François Bon. C'est rare de voir quelqu'un qui meurt épanoui, mais ça arrive. Comme avec cet homme de 50 ans que ses premières chimios paniquaient littéralement et qui, arrivé au bout, évoquait le bel été qu'il venait de passer dans le Sud-Ouest, profitant de sa vie avec les autres.
Ou ce garçon de 26 ans, au stade terminal, et toujours à s'enquérir de ma santé, de ma vie. »
Devant tous ces gens qui rassemblent leurs dernières forces pour vivre leur mort du mieux qu'ils peuvent, l'aumônier se dit « rempli d'admiration pour le courage, les ressources du cur humain, cette conviction profonde que chaque être participe de la même source d'humanité ».
C'est le temps du silence, de la simple présence, les mains nues.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature