De notre envoyée spéciale
Les toutes nouvelles éoliennes du parc de Cabril, situées sur les hauteurs de la Serra de Montemura, à deux heures de route de Porto, au nord du Portugal, n'ont pas entamé le moral des chèvres, qui continuent à brouter sans se soucier du battement des pales. Ni le bruit, à peine perceptible lorsque l'on se trouve à leur pied (le niveau sonore de ces machines modernes ne dépasse pas 50 décibels à une distance de 300 mètres, c'est-à-dire celui d'une conversation jugée normale), ni le va-et-vient des pales, qui effectuent entre 24 et 28 tours par minute, ne perturbent le cheminement de ces bêtes, à près de 1 300 mètres d'altitude.
« C'est un arbre qui sort de la terre », s'enthousiasme André Antolini, directeur général du groupe SIIF Energies, un des leaders français des énergies renouvelables, filiale d'EDF. Il n'en est pourtant rien : du haut de leur 107 mètres, les éoliennes transforment indubitablement le paysage. Certains trouveront que leur forme élancée, d'une couleur gris mat, se fond dans le paysage, d'autres pesteront contre ces successeurs des moulins à vent qui sapent l'horizon.
C'est dans cette région montagneuse, où s'enchevêtrent les blocs de granit, que le groupe SIIF Energies a développé le projet, aujourd'hui considéré comme le plus important du Portugal en termes de puissance installée d'éolienne (production maximale d'électricité en une heure). Il comprend la réalisation de deux parcs éoliens, Pinheiro et Cabril, du nom des principales communes sur lesquelles ils sont implantés, sur une surface totale d'environ 500 hectares. Distants l'un de l'autre d'environ 5 kilomètres, les deux parcs sont respectivement constitués de 12 et de 9 aérogénérateurs d'une puissance unitaire de 1,8 mégawatt (MW), soit une puissance installée totale de 37,8 MW. Ces nouveaux aérogénérateurs, plus performants, permettent d'optimiser les lieux : au début du projet, le parc de Cabril devait accueillir 30 machines au lieu de 9 aujourd'hui. Sur les 500 hectares des parcs, loués en partie aux communautés villageoises (les « baldios », littéralement les terres communautaires), un peu moins de dix hectares ont été utilisés. Le reste est toujours à la disposition des villageois. Le parc de Cabril, actuellement en phase de test, sera inauguré officiellement en octobre, tandis que le parc de Pinheiro, encore en construction, ne sera vraisemblablement connecté au réseau d'électricité du Portugal (EDP) qu'au début du quatrième trimestre de cette année.
Développer une région
Ancien ministre de l'Environnement portugais, Carlos Pimenta développe avec conviction l'implantation de fermes éoliennes au nom de SIIF Energies. Pour lui, il ne s'agit pas uniquement de tirer profit de cette nouvelle énergie, mais également de développer une région pauvre et non rentable. « Tous les projets de fermes éoliennes ont fait l'objet d'études d'impact, explique-t-il. Des fouilles archéologiques ont été entreprises, la faune et la flore ont été étudiées. Il a fallu également nettoyer les sites : les décharges sauvages étaient nombreuses. Nous tenons à assumer un rôle environnemental », assure-t-il. Avec les associations locales culturelles et environnementales, les responsables du chantier des fermes éoliennes ont prévu de lancer des événements culturels autour de ces nouvelles figures du paysage. Les éoliennes ont pour vocation d'être les vedettes d'un parcours touristique et les supports d'une éducation sur l'environnement. « Nous allons publier, dans tout le Portugal, une brochure sur cette partie mal connue du pays, poursuit Carlos Pimenta. Les élèves de la région vont recevoir des cours d'éducation sur l'environnement : nous voulons leur révéler les richesses de la montagne », commente-t-il.
La réalisation des parcs de Pinheiro et de Cabril a toutefois demandé beaucoup de ténacité aux membres de SIIF Energies Portugal. Il a fallu obtenir un nombre important d'autorisations : celles des ministres concernés (les parcs ont été considérés par le gouvernement comme d'intérêt public en juin 2000), du maire qui dirige la région administrative, des collectivités locales (les « freguesias ») et des représentants des baldios sur lesquels sont implantées les éoliennes. Au niveau régional, le principal moteur des transactions est financier. « Les premiers contacts avec les personnalités locales datent de 1997, raconte Lima Texeira, le directeur de SIIF Energies Portugal. Avant nous, deux autres entrepreneurs les avaient démarchées. L'essentiel a été d'obtenir leur confiance », affirme-t-il. « Nous avons choisi également le plus offrant », ajoute Joao Matias, maire de la région administrative de Castro Daire. Outre le prix de la location de la terre, l'ensemble de la communauté des citoyens concernés a reçu, jusqu'à aujourd'hui, 650 000 euros.
Les routes conduisant aux parcs ont été goudronnées et des chemins ont été ouverts à travers la montagne. « Mais tous ces chemins peuvent être refermés du jour au lendemain, promet Carlos Pimenta. Nous avons stocké la terre de bruyère que nous avons déplacée et respecté les ruisselets de la montagne. Toutes les éoliennes (fondations comprises) sont recyclables à 95 %. »
La « durée de vie utile » de ces deux fermes éoliennes a en effet été estimée à vingt-cinq ans, période durant laquelle elles fourniront au réseau électrique, selon les approximations de SIIF Energies, 96 000 MWh par an, soit la satisfaction en besoin d'électricité d'environ 50 000 habitants. Le gouvernement portugais garantit au producteur de courant éolien un client permanent, la société nationale de transport d'électricité, et un prix très avantageux du kWh. De plus, sur la production brute d'électricité par mois, la loi prévoit une redistribution financière à hauteur de 2,5 % en faveur des collectivités locales. Pour SIIF Energies, le retour sur investissement, d'un montant total de 42 millions d'euros, est attendu en 2009.
La qualité de l'air
En ce qui concerne la qualité de l'air, SIIF Energies estime que les deux parcs de Pinheiro et de Cabril contribueront « à réduire significativement les rejets de gaz carbonique (CO2), de dioxyde de soufre (SO2), de monoxyde d'azote (NOx) et de particules dans l'atmosphère. En prenant comme élément de comparaison une centrale thermique d'EDP dans la ville de Setùbal, constate le groupe d'énergies renouvelables, ces parcs éoliens permettent d'éviter, pour la même production d'énergie, le rejet de 1 192 tonnes de SO2, 182 tonnes de NOx, 65 280 tonnes de CO2 et 19 tonnes de particules par an ».
Source de retombées financières directes, les éoliennes représentent aussi un axe de développement pour le pays, dépendant de ressources énergétiques extérieures à hauteur de 85 % (la moyenne européenne n'est que de 30 %). Contrairement à la France, grande spécialiste de l'énergie nucléaire, le Portugal est plutôt favorable à l'installation d'éoliennes, ce qui représente, pour SIIF Energies, un marché en pleine expansion. Au niveau européen, il a été imposé, en ce qui concerne l'énergie éolienne, un objectif de 40 gigawatts (GW) de puissance à installer d'ici à 2010. Pour le Portugal, dont la puissance installée est aujourd'hui de 150 MW, la directive européenne se traduit par la nécessité d'installer 3 500 MW d'énergie éolienne.
La France à la traîne
Quant à la France, qui a moins de 100 MW de puissance installée en énergie éolienne, elle devra atteindre, pour respecter l'objectif européen, près de 12 000 MW. Toutefois, en France, l'implantation des éoliennes est accueillie avec méfiance. Le sénateur Jean-François Le Grand, qui doit présenter une proposition de loi visant à définir un cadre juridique « clair et uniforme » sur l'implantation des éoliennes, traduit ce sentiment. « Des communes se laissent tenter par la perspective de taxe professionnelle supplémentaire, sans vraiment analyser les conséquences en matière d'impact sur le paysage, explique-t-il. Des particuliers se laissent également convaincre par des promesses d'ordre financier. Dans ce but, on leur promet notamment un retour sur investissement rapide en quelques années. On voit donc se développer une pression irraisonnée sur les sites, les paysages et les départements qui sont susceptibles d'accueillir de telles structures. » Aujourd'hui, selon la législation en vigueur, les éoliennes de plus de douze mètres nécessitent seulement un permis de construire, sous réserve que leur puissance soit inférieure à 1,5 MW. « Or, ajoute Jean-François Le Grand, ces dispositions ne permettent pas d'éviter les implantations anarchiques et excessives qui vont à l'encontre d'un des objectifs recherchés par les pouvoirs publics, les collectivités locales et territoriales, à savoir la protection de l'environnement. »
La proposition de loi vise donc à renforcer la réglementation en soumettant préalablement l'implantation de toute structure éolienne de plus de douze mètres à la réalisation d'une étude d'impact, ainsi qu'à une enquête publique.
Dans ce contexte, le défi lancé par l'Union européenne paraît fortement ambitieux. Dans son discours de politique générale, en juillet dernier, le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, a assuré qu'un « projet de loi d'orientation consacrera un rôle accru pour les énergies renouvelables ; mais aussi une place reconnue pour l'énergie nucléaire », n'a-t-il pas manqué de préciser.
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