La prostitution, en ces temps de période électorale, est la cible de plusieurs maires UMP. Les mesures prises, ici et là, pourraient avoir un effet au niveau national.
A Orléans, Serge Grouard a signé trois arrêtés visant à « assainir » la cité de Jeanne d'Arc. « On est passé d'une quinzaine de prostituées, il y a quelques années, à une centaine en 2002, et cela se passe sous les fenêtres des habitations », précise-t-on à l'Hôtel de Ville. Pour « une question de morale publique, à l'égard notamment des mineurs, et de santé publique, car sur des allées de promenades on retrouve des seringues et des préservatifs usagés », un texte municipal interdit, depuis le 1er juin, le stationnement et les allées et venues des prostituées, venues principalement d'Europe de l'Est et d'Afrique, le long des quais de la Loire. Une initiative à laquelle le Dr Anne-Marie Aubry-Rapilliard, dermatologue orléanaise, se dit plutôt favorable.
Pour les mineurs, le maire a reconduit le « couvre-feu » après 23 h pour les moins de 13 ans inauguré en 2001, dans une zone et pour une durée plus grandes. La troisième décision de l'autorité municipale a trait aux « bivouacs » : les attroupements de marginaux, avec gros chiens et bouteilles d'alcool, sont proscrits, sans que l'on veuille s'attaquer à la mendicité.
Services rendus
A Aix-en-Provence, Maryse Joissains entend elle aussi mettre fin aux perturbations routières et aux « risques graves pour la salubrité et la santé publique » que la prostitution entraîne. Toutefois, elle sait, en femme de droit avertie (elle est avocate), qu'il faudra en débattre dans la nouvelle Assemblée. En effet, la loi actuelle condamne le proxénétisme, mais ne permet pas d'incriminer la personne qui se prostitue. D'ailleurs, les péripatéticiennes reconnues comme des contribuables à part entière par le fisc. Pour l'heure, le Dr Françoise Roudil, dermatologue aixoise, n'est pas convaincue par l'arrêté Joissains. « Ceux qui l'ont pris invoquent la santé publique ! Mais on peut retourner l'argument, car les prostituées rendent des services, fait-elle remarquer. Si elles sont là, c'est qu'il y a un besoin des clients. On peut dès lors parler d'une fonction sociale, qui met en jeu, certes, le tabou du sexe toujours bien réel, non ? C'est un débat qu'il convient d'ouvrir. Pourquoi ces femmes existent-elles ? Et quel est leur rôle ?»
A Strasbourg, ce que d'aucuns qualifient d'oukase (à la mi-mai), répond en fait à la mobilisation sans précédent des habitants d'un quartier bourgeois. « Il était indispensable d'entreprendre quelque chose dans ce secteur pavillonnaire », admet le Dr Fabienne Keller, homonyme de la première magistrate de la ville. « De 11 heures à 3 heures du matin, les prostituées déambulent, et des automobilistes y stationnent en triple file au risque de provoquer des accidents. Dans tous les cas, il en résulte de réelles entraves à la liberté. Bien sûr, elles vont se déplacer ailleurs (ce n'est pas un interdit formel), mais les riverains et les promeneurs n'en pouvaient plus. Il serait judicieux de mettre la main sur ceux qui les exploitent. » « Personnellement, poursuit la dermatologue, je vois ces filles, originaires de pays de l'Est, ne parlant ni anglais, ni allemand, nifrançais,venir au centre de dépistage où j'exerce. Elles ont des notions d'hygiène relativement correctes. La plupart, mères de famille, arrivent pour gagner de l'argent, munies d'un permis de séjour touristique, et au bout d'un mois et demi, elles repartent dans leur pays, où je constate qu'elles sont bien suivies sur le plan gynécologique et médical. »
Une action à long terme
A Paris, rue de Saussure, dans le 17e arrondissement, le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, a promis une « action de nettoyage » à des résidents, excédés par l'insécurité liée en partie à la prostitution. Le Dr Corinne Hautbois est pour sa part dubitative. « C'est facile d'envisager les choses sous cet angle, estime la généraliste, qui effectue un remplacement dans cette artère chaude de la capitale. Mais il y a sûrement autre chose à faire sur le long terme. D'autant que nous assistons ici à une explosion de la prostitution. Commençons par nous interroger : pourquoi sont-elles de plus en plus nombreuses ? Et si elles sont là, ce n'est pour leur plaisir. N'est-ce pas là que se situe le nud du problème ?»
Camille Cabral, transsexuelle française d'origine brésilienne, conseillère Vert du 17e arrondissement de Paris*, dénonce à son tour, avec fougue, ce qu'elle considère comme une « stigmatisation des travailleurs du sexe ». Hier dermatologue au Brésil (elle a passé des équivalences à Bichat), Camille Cabral milite depuis quinze ans pour la santé publique : « C'est plus politique », souligne-t-elle. Fondatrice en 1992 et animatrice de PASTT (Prévention, Action, Santé, Travailleurs, Transgenres, voir encadré), elle met en garde, avec force arguments, contre « la criminalisation des travailleurs du sexe », car c'est le moyen « de les envoyer vers la clandestinité » avec toutes les « répercussions graves » qui s'ensuivront « sur leur santé et leur sécurité ». Quant aux maisons closes, « instrumentalisées par une société hypocrite jusqu'en 1946 », ce n'est pas, non plus, la solution. « Elles protégeaient les femmes mariées et les filles célibataires des harcèlements des hommes, mais la syphilis et les gonorrhées y ont connu des pics, et les travailleurs du sexe y étaient exploités par des maquerelles. C'est donc à juste titre, estime-t-elle, que Marthe Richard les a fait fermer » (loi du 13 avril 1946). « Il est indispensable de comprendre que les travailleurs du sexe jouent un rôle humain important, plaide le Dr Camille Cabral. Il s'inscrivent dans le tissu social. En conséquence, plutôt que de les ghettoïser, il est nécessaire de casser les zones de non-droit où ils sont acculés, et d'en faire des citoyens à part entière avec protection sociale et droit à la retraite. Les taxer de vagabondage ? c'est anticonstitutionnel. ».
Dans le même esprit, « il serait aberrant de mettre à l'amende les clients, comme cela se passe en Suède. Que fait-on à Orléans, à Strasbourg et à Aix, si ce n'est de clandestiniser les prostituées en les éloignant des centres-villes, en les privant de protection et en rendant plus difficile la diffusion de messages de prévention sanitaire ? A l'inverse, plus on les reconnaîtra, plus on les protégera, plus il sera facile de les insérer socialement. Comprenons bien, d'autre part, qu'il est vain de sexualiser les vagues d'émigration de femmes du Nigeria, du Ghana et du Sierra Leone ou de n'importe quel pays de l'Est, tous aussi pauvres. Ces populations vont mal chez elles, ce qui les contraint à fuir économiquement, et travailler dans la clandestinité, exposées aux mafias. C'est au monde riche de revoir ses devoirs face aux plus démunis ».
L'idéal, à en croire le Dr Camille Cabral, serait d'imiter « l'exemple suisse ». Là-bas, les travailleurs du sexe sont délivrés de tout intermédiaire, ils exercent en libéral, en somme, et offrent des prestations de service dans des bars et autres lieux accueillant un public « dans le besoin sexuel ». L'Australie semble, aussi, exemplaire, avec ses hôtels privés, bon marché, où des travailleurs du sexe gagnent leur vie à l'abri du racket et du manque d'hygiène. « Oui, il faudrait que les politiques se bougent en ce sens, conclut le Dr Camille Cabral, au lieu de s'enferrer dans la prohibition au nom d'un puritanisme révolu ».
* Candidate aux législatives dans la 16e circonscription de Paris (17e), arrivée en 6e position sur 21 candidats, avec 2,34 % des voix, le Dr Camille Cabral a fait figurer sur sa profession de foi la revendication « Des droits pour les travailleurs du sexe ».
A l'aide des travailleurs du sexe
L'association PASTT (Prévention, Action, Santé, Travailleurs, Transgenres)* lutte contre le sida, les MST et l'exclusion, et pour les droits des travailleurs du sexe. Onze salariés y participent. Elle dispose d'un bus, qui arpente les rue de Paris et le bois de Boulogne. Ce « véhicule de la convivialité » distribue préservatifs, gels et cafés. A cela s'ajoutent six appartements dont quatre sont réservés aux personnes victimes du VIH.
PASTT anime des programmes d'aide et d'insertion sociale en faveur des travailleurs du sexe. En 2001, elle a pris contact avec 1 100 d'entre eux, sur les 5 000 à 7 000 qui travailleraient dans la capitale, selon les chiffres de l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (Intérieur). Enfin, elle apporte une assistance psychologique aux prisonniers de Fleury-Mérogis.
* 94,rue Lafayette, Paris 10e. Tél. 01.53.24.15.40.
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